sida, envie d’en être ? À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec un de nos militantEs, Emmanuel.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates. Naissance en 1975, enfance près du Mans. Déménagement à l’adolescence pour le Sud de la France, des études à Montpellier puis mon arrivée à Paris à partir de 97. Ma contamination en 1999 en même temps que je commençais ma thèse (que je termine aujourd’hui). De 2004 à aujourd’hui, un véritable engagement dans Act Up-Paris dont j’ai été co-président les deux dernières années. Tu as eu une jeunesse alternative ? Oui et non. Mais j’ai toujours eu le sentiment d’être différent. Rapidement, je m’étais construit le look qui allait avec et les fréquentations. Comment as-tu compris que tu étais homosexuel ? Tout petit, je faisais des jeux sexuels avec des garçons. J’imagine qu’ils ne sont pas tous devenus pédés ! Pour moi, le fait que j’étais homo devint une évidence vers 16 ans, même si je continuais à sortir avec des filles. Tout de suite je l’ai revendiqué. Qu’as-tu connu de l’homophobie ? Du coup pas beaucoup. Je crois que le fait d’annoncer la couleur comme je le faisais ne laissait pas beaucoup de prise à ceux qui auraient voulu l’utiliser contre moi. Mais l’homophobie est parfois plus insidieuse : c’est un jour une amie qui intercepte dans un café une discussion où l’on prétendait que j’avais obtenu une bourse universitaire parce que « je suçais mon prof ». Des trucs vraiment de niveau universitaire… Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ? En fait je le savais avant de faire les analyses car j’avais eu un rapport non protégé avec le mec avec qui j’étais à l’époque. Il voulait sans cesse baiser sans capote et prétendait être négatif et un jour j’ai cédé. Je me suis vite ravisé et j’ai arrêté en cours de route. Une semaine plus tard, j’ai appris qu’il était séropo et qu’il m’avait menti. Du coup, quand je suis tombé malade une quinzaine de jours après la fois où j’avais pris un risque, malade comme jamais, pour moi c’était évident. Je suis allé voir un médecin pédé complètement nul qui voulait absolument que ce soit une angine. Alors, je suis allé voir un médecin VIH qui m’a fait une antigénémie P24. Elle était positive. À l’époque que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ? J’étais super informé. J’avais même milité. Plusieurs amis étaient séropositifs, j’avais aussi eu des amants séropos. Je fréquentais pas mal les bordels et que ce soit avec mes plans cul ou avec mes maris, je baisais toujours safe. Et pour ta famille ? Compliqué. Faut dire que lorsque j’ai annoncé à ma mère que j’étais homo ,elle avait eu le malheur de me dire : « tu ne viendras pas te plaindre si t’as le sida ». C’était sans doute par peur, mais c’était maladroit. Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif ? Ben comme j’ai été dépisté en primo-infection, on m’a tout de suite mis sous traitement. Aujourd’hui j’ai près de dix ans de traitement dans la tronche. Les premières années, mon traitement était super lourd avec trois prises par jour et surtout me fatiguait beaucoup. Quel traitement as-tu pris, prends-tu ? Depuis un peu plus de deux ans, je prends Truvada® et Reyataz® boosté. Pour moi c’est le paradis en comparaison. N’empêche que c’est encore pas mal de fatigue et quelques petits effets secondaires auxquels on s’habitue à la longue. Le fait de ressembler parfois à un Simpson, les ballonnements, le sommeil agité, les problèmes de concentration, la libido qui vacille. Comment vois-tu l’avenir moléculaire ? J’en sais trop rien. Pour moi, la question c’est plus aujourd’hui de connaître les conséquences à long terme de tout ce qu’on nous colle comme chimie. Tu annonces tout de suite la couleur/ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Ça dépend. Comme je suis safe et que je ne mets pas en danger mes partenaires, cela ne me paraît pas toujours nécessaire. Et puis pour moi, c’est un peu de notoriété publique mon statut sérologique ! Comment vis-tu ? Dans dix ans, tu te vois comment ? Galère financière depuis pas mal d’années. Un nouveau mari depuis l’année dernière. Je termine ma thèse et j’ai la chance d’avoir décroché un contrat de recherche. Plutôt que dans dix ans, j’aimerais aujourd’hui devenir un vieux chercheur de 60 ans… juste pour voir comment ça fait. Le militantisme, qu’est-ce que cela t’apporte ? J’ai trouvé à Act Up-Paris une forme d’engagement politique qui n’avait pas besoin de passer par les compromis habituels dans les partis. Un outil redoutablement efficace aussi, grisant. Comme co-président, j’ai beaucoup appris, notamment sur la difficulté et l’intérêt du travail collectif. Qu’est ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Que dans la vie, la plupart des choses ne sont jamais définitives. Mais quand tu te contamines, tu ne peux jamais revenir en arrière. Tu ne peux pas imaginer quelle merde c’est et tout ce que cela peut changer. Je ne sais pas ce que je donnerais pour pouvoir revenir en arrière.