Les tests génotypiques pourraient-ils être utilisés dans le cadre d’affaires judiciaires pour déterminer si le/la présuméE coupable est à l’origine de la contamination d’unE plaignantE ? Rien n’est moins sûr.
Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de rappeler quelques éléments cruciaux autour du VIH, tout particulièrement le fait qu’il n’y a pas un VIH, mais de multiples variants.
Tout d’abord, il existe deux VIH : le VIH-1, le plus répandu et le VIH-2, présent principalement en Afrique occidentale. Le VIH-1 comprend lui-même trois groupes appelés M, N et O. Le groupe majoritaire (M) comprend 9 sous-types A, B (majoritaire en France), C (majoritaire au niveau mondial), D, F, G, H, J et K. Les types de gènes présents chez ces rétrovirus sont globalement les mêmes, mais d’un virus à l’autre, la séquence de chacun de ces gènes présente des variations. De plus, lorsque le virus infecte notre organisme, il insère son génome dans notre ADN mais ne reproduit pas fidèlement sa séquence initiale, ce qui conduit à de nouveaux virus avec des séquences nouvelles et du coup, des capacités différentes pour survivre dans l’organisme. Une pression de sélection due aux défenses de notre organisme, mais aussi aux traitements antirétroviraux quand leur combinaison n’est pas optimale, conduit aussi à l’émergence de multiples variants du VIH initial, le génome du VIH qui nous infecte est donc en perpétuel changement.
Carte d’identité du VIH
Si les variants du VIH présents chez une personne infectée se ressemblent, on peut néanmoins les distinguer en établissant la séquence d’une partie de leur génome. Pour y arriver, on effectue un prélèvement sanguin et on isole l’ADN des cellules infectées présentes.
Les techniques actuelles de biologie moléculaire permettent d’amplifier sélectivement les portions du génome viral inséré, même si celui-ci est en très faible quantité. C’est ce que l’on appelle faire un test génotypique et celui-ci est couramment utilisé au niveau médical pour évaluer le degré de résistance du VIH aux antirétroviraux, précisément en identifiant dans la séquence de certains gènes viraux les modifications connues pour signer une forte probabilité de résistance à certaines classes de médicaments.
Génotypage et médecine légale
La méthodologie de test génotypique a fait son entrée dans l’arsenal juridique au cours de plusieurs procès liés à la transmission du VIH. Recourir à une expertise de ce type vise à évaluer, par des algorithmes bioinformatiques de comparaison le degré de ‘parenté’ entre les séquences du génome des souches virales présentes chez deux personnes dont l’une est suspectée d’avoir transmis le VIH à l’autre. Le virus évoluant très vite dans l’organisme, la probabilité de retrouver exactement les mêmes séries de séquence chez deux personnes est faible. Pour autant, elles peuvent être proches, et il est donc nécessaire d’avoir des séquences comparatives de référence qui, par analogie avec la notion de distance physique, donneront une idée de l’échelle. Cet aspect est crucial pour éviter de conclure de façon erronée à une similarité entre séquences. Ainsi, on inclut dans la stratégie de comparaison des prélèvements sanguins de personnes infectées par le VIH provenant de la même région géographique, du même réseau social ou de la même communauté (des banques de tels prélèvements existent ici et là). Idéalement, ces prélèvements doivent aussi avoir été collectés à une période proche de celle de la transmission supposée entre les personnes en procès. Une fois les séquençages effectués, les virologistes peuvent construire un arbre phylogénétique qui permet de visualiser les différences et filiations entre toutes les séquences obtenues (voir illustration où les ronds noirs correspondent aux variants séquencés). Pour simplifier, si l’on remonte le long des ramifications, on se rapproche de la séquence du virus parental et les séquences similaires – mais non identiques – se retrouvent dans des ramifications proches. L’arbre est donc conçu pour représenter les ‘distances génétiques’ entre séquences.
Interprétation de l’arbre phylogénétique
Comment cette information apportée par les virologistes peut-elle être utilisée dans le cadre de procès de transmission supposée du VIH entre deux personnes ? Dans le passé, elle a été utilisée pour disculper la personne accusée d’avoir transmis le VIH dans le cas où les séquences divergeaient suffisamment pour rendre très improbable la contamination supposée (ce serait le cas sur la figure pour les ronds noirs 1 et 6, par exemple). Ainsi, lors des accusations de contamination d’enfants en Libye par du personnel médical étranger, l’analyse phylogénétique a permis de montrer que leur contamination datait d’avant l’arrivée de ce personnel.
Par contre, l’analyse phylogénétique ne peut pas prouver par elle-même que la transmission s’est produite directement entre deux personnes. En effet, même si les séquences apparaissent comme très proches (4e et 6e ronds noirs sur la figure), des séquences semblables (5e rond noir, plus proche en séquence du 6e) peuvent exister dans un réseau de transmission, et la majorité des personnes infectées par le VIH appartiennent à un tel réseau. D’autres scénarios que la transmission directe (entre personnes A et B) sont envisageables, comme l’implication d’une personne intermédiaire dans une chaîne de contamination (A contamine C qui contamine B) ou une contamination commune par une tierce personne (C contamine A et B). Enfin, il n’est pas possible, à moins d’effectuer d’autres analyses nettement plus sophistiquées, de conclure quant au sens de la contamination (A contamine B ou B contamine A ?). D’autres éléments de l’enquête évalués conjointement permettront de se faire une opinion. Car il s’agit bien de cela, se faire une opinion, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier que des possibilités d’erreur entourant la pratique existent, et pas seulement au niveau du suivi et de la manipulation des échantillons. L’arbre phylogénétique est fondé sur l’hypothèse scientifique selon laquelle on peut estimer la probabilité que les virus de deux personnes ont une origine commune récente, cela en relation avec des souches de comparaison spécifiques. Il s’agit ainsi seulement d’un modèle – qui plus est, appuyé par de la statistique qui ne mesure que des probabilités – et donc en aucun cas d’un fait avéré.
Il est indispensable que les propos prononcés par les expertEs lors d’un procès reflètent les limitations associées aux déductions qui peuvent être faites des analyses phylogénétiques.