Comment s’y prend la justice pour tenter de prouver qui a contaminé qui par le VIH dans le cadre d’un procès autour d’une possible contamination par voie sexuelle ? En dehors des éléments de l’enquête complétés par des informations sur les habitudes et modes de vie des personnes en conflit, l’expertise médicale est maintenant entrée, à l’étranger, dans ce type de procès. Il s’agit des tests génotypiques jusqu’ici utilisés pour optimiser les traitements en évaluant le degré de résistance du VIH aux antirétroviraux par recherche de mutations dans la séquence des gènes viraux codant pour les cibles des antirétroviraux. En l’état, leur utilisation dans ce cadre judiciaire est cependant sujette à caution, tant le virus du sida est complexe.
A partir d’un prélèvement sanguin, on peut effectivement déterminer les séquences de fragments de gènes viraux. Ceci permet de savoir quel est le type de virus : VIH-2 ou VIH-1, lui-même composé de trois groupes, M, N et O, le groupe majoritaire M comprenant 9 sous-types. Après contamination, parce que le VIH se reproduit en faisant des erreurs, plusieurs variants viraux vont apparaître dans l’organisme avec des séquences virales légèrement différentes. Plus le temps passe, et plus ces séquences identifiables à partir de l’échantillon sanguin vont s’éloigner de la séquence du variant à l’origine de la contamination.
Est-ce que les tests génotypiques peuvent vraiment prouver qui a contaminé qui ?
Si le VIH n’évoluait pas dans l’organisme, la conclusion serait facile, au moins dans un cas. Deux séquences comparées différentes signifieraient une absence de contamination croisée. Pour autant, deux séquences identiques apporteraient-elles une preuve en faveur de la contamination supposée ? Non, car dans un réseau de contamination (cercle communautaire, social, etc.), la même séquence pourrait être retrouvée chez de multiples personnes sans que deux prises au hasard n’aient nécessairement eu des contacts sexuels. Ceci pointe les limites de cette analyse génotypique, rendue d’autant plus complexe par l’évolution effective et rapide du VIH dans l’organisme. Tout ce que l’on peut tenter de faire après séquençage des variants identifiés chez deux personnes, c’est, grâce à des méthodes bioinformatiques et statistiques, reconstruire la filiation supposée entre ces variants, ce que l’on appelle réaliser un arbre phylogénétique. Celui-ci doit, de plus, intégrer des séquences de référence provenant de la même région géographique, du même réseau social ou de la même communauté, pour donner une idée de la variabilité possible des séquences.
L’utilisation de tests génotypiques dans les affaires judiciaires pour tenter de déterminer si l’accuséE est à l’origine de la contamination du/ de la plaignantE est donc sujette à caution tant le virus est complexe. Nous attirons ainsi l’attention sur les limites d’exploitation de cette expertise dans le cadre des affaires judiciaires :
– l’information apportée par les virologistes peut être utilisée pour disculper la personne accusée d’avoir transmis le VIH lorsque les séquences divergent suffisamment pour rendre très improbable la contamination supposée ;
– en cas de séquences proches, l’analyse ne peut pas prouver que la transmission s’est produite directement entre deux personnes ;
– sur la base des séquences uniquement, il n’est pas possible, à moins d’effectuer d’autres analyses plus sophistiquées, de conclure quant au sens de la contamination (A contamine B ou B contamine A ?).
Il est donc indispensable que les propos prononcés par les experts lors d’un procès reflètent les limitations associées aux déductions qui peuvent être faites des analyses phylogénétiques. D’autres éléments de l’enquête évalués conjointement permettront de se faire une opinion.