La pénalisation de la transmission du VIH a pour conséquence inéluctable l’emprisonnement de personnes gravement malades. En effet, l’administration de substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente peut être punie en France jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle[[art. 222-7 à 222-14-1 du Code Pénal]]. Or, la prison demeure un lieu de non-respect de la protection de la santé et de la dignité des détenus, et notamment des malades. Dès lors, Act Up-Paris estime que les conditions de vie et d’accès aux soins en prison, ainsi que la difficile application de la loi sur la suspension de peine pour raisons de santé, rendent la détention incompatible avec la prise en charge d’une personne atteinte d’une pathologie lourde.
Des conditions de vie incompatibles avec la maladie
De nombreux rapports dénoncent la surpopulation et le manque chronique de moyens du système pénitentiaire français. En 2003, un rapport du Comité européen de prévention de la torture, avait fait état de « traitements inhumains et dégradants » dans les prisons françaises, conséquences de leur surpopulation. En juillet 2007, le nombre de places était de 50 557 pour 61 810 détenus, soit une densité de 122% et de 126% en juin 2008, un record absolu[[63.838 détenus en France : un record historique, Libération, 13 juin 2008 ; Nombre des détenus record dans les prisons françaises, Libération, 22 juillet 2008]]. Dix établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200%, 42 ont une densité comprise entre 150 et 200%, 51 entre 120 et 150%, 36 entre 100 et 120 % et 87 ont une densité inférieure à 100 %[[Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, 1er avril 2007, Direction de l’administration pénitentiaire]].
Dans son étude de 2006, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme s’indignait : « les locaux des douches sont souvent insalubres, sans aération et couverts de moisissure ». L’hygiène défectueuse en prison dépasse le cadre de la surpopulation carcérale, la promiscuité et l’état déplorable des locaux. Elle concerne aussi l’hygiène alimentaire car la nourriture en prison est source d’inégalités entre les détenus, dont la plupart sont sans ressources (certains aliments et compléments alimentaires ne sont accessibles aux détenus que s’ils les achètent).
Un accès aux soins insuffisant
Il est impossible pour les détenus malades de bénéficier d’un véritable accès aux soins en prison : compte tenu de la surpopulation carcérale, le personnel médical des Unités de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA) n’a pas les moyens de faire face à un surcroît de travail. Les détenus malades ayant besoin d’examens médicaux approfondis ou de traitements adéquats dans le cadre d’hospitalisation de moins de 48 heures doivent alors se rendre à l’hôpital de proximité. Mais de trop nombreuses extractions médicales sont annulées ou refusées en raison du manque de personnel policier ou pénitentiaire. De plus, les détenus malades sont contraints d’être menottés, ce qui constitue une source supplémentaire de stress et d’humiliation.
En France, le taux de prévalence en milieu carcéral est sept fois supérieur à la normale et les moyens médicaux sont insuffisants, notamment pour traiter les cas de sida au stade clinique 2 ou plus qui sont eux en augmentation[[« Sexualité carcérale et sida », association Ban Public]]. La plupart des traitements antirétroviraux sont disponibles en prison. Cependant, lors de l’entrée en détention ou lors des transferts, il arrive qu’il y ait des carences de quelques jours dans la prescription et l’accès aux antirétroviraux. De plus, le VIH est souvent associé à d’autres pathologies : cancers, atteintes cardiovasculaires ou hépatites virales, qui compliquent encore la prise en charge.
En outre, l‘accès aux soins pour les personnes séropositives détenues ne se résume pas à la mise sous antirétroviraux et à des consultations d’infectiologie. Il nécessite également l’accès à l’ensemble des médecins spécialistes pouvant intervenir dans l’apparition de maladies opportunistes et autres complications liées aux traitements. Or l’accès à des consultations spécialisées est aléatoire d’une prison à une autre, soit par manque de plateau technique à l’UCSA, soit parce que les extractions médicales à l’hôpital de rattachement sont complexes à mettre en place et contingentées. Par exemple, seuls 56 % des UCSA ont la liste des détenus libérables, 52 % leur donnent des médicaments, 40 % une ordonnance, un tiers font une lettre au médecin traitant et, au plus, un quart transmettent les coordonnées d’un médecin aux détenus libérés. Quant au relais avec une association, il n’est automatiquement assuré que dans 5 % des cas[[« Accompagnement médico-social post-carcéral des détenus atteints d’hépatites B, C et d’infection à VIH », enquête menée auprès des UCSA ]].
Le recours à des soins d’urgence, ou à un accompagnement médical, nécessaire en cas d’angoisse profonde, est quant à lui parfois rendu inaccessible. L’IGAS et l’IGSJ, dans leur rapport de 2001, notaient ainsi que « l’absence de médecin de garde, les conditions d’alerte des surveillants, les délais d’accès aux cellules [étaient] autant d’éléments qui peuvent aboutir à une gestion de l’urgence insatisfaisante ». En outre, l’Académie de Médecine, dans son rapport de décembre 2003, soulignait que « le suivi d’un traitement prescrit pour être réparti sur 24h a les plus grandes chances d’être interrompu ».
La suspension de peine remise en cause
La loi de 2002 sur la suspension de peine pour raisons de santé était porteuse d’espoirs pour les malades détenus et leurs familles. Grâce à elle, les personnes dont « le pronostic vital est engagé » pouvaient mourir hors des prisons et dans leur famille . Aux détenus malades dont l’« état de santé est durablement incompatible avec la détention », cette loi permettait de bénéficier des traitements adéquats ; elle favorisait une meilleure observance par rapport aux soins prodigués en détention.
Mais, trop peu appliquée, méconnue des détenus, cette loi est aujourd’hui drastiquement remise en cause par un des amendements adoptés en 2005, qui conditionne la suspension de peine à l’absence d’« un risque grave de renouvellement de l’infraction ». Cette notion, extrêmement floue, cautionne par avance l’arbitraire des décisions des juges d’application des peines, qui variera au gré de faits divers surmédiatisés.
Le nombre de personnes concernées commence seulement à être connu par l’administration pénitentiaire et le ministère de la santé. Combien de détenus sont atteints de pathologies graves et donc en droit de pouvoir bénéficier d’une suspension de peine ? Personne ne peut le dire avec exactitude aujourd’hui. L’urgence demeure pourtant pour chacun d’eux.
Les prisons sont surpeuplées et insalubres. On y recense un suicide tous les trois jours. Les conditions d’accès aux soins et aux traitements y sont notoirement incompatibles avec la prise en charge que nécessite un malade du sida. Une raison de plus pour ne pas pénaliser la transmission sexuelle du VIH, qui a pour conséquence concrète d’envoyer des malades en prison, où elles et ils ne peuvent se soigner correctement.