Depuis le début de l’épidémie, les stratégies communes de lutte contre le sida consistent à informer massivement sur les modes de transmission du VIH, à promouvoir le préservatif, à inciter au dépistage et à affirmer la responsabilité individuelle de chacunE – quel que soit son statut sérologique – de se protéger. Ce dernier est principe essentiel, que l’on appelle la responsabilité partagée en cas de contamination. C’est ce fondamental que la pénalisation de la transmission sexuelle du VIH vient remettre frontalement en cause.
À Act Up-Paris, nous pensons que, pour éviter les contaminations, au lieu d’introduire la justice dans nos lits, de traîner les séropos devant les tribunaux puis de les jeter en prison, il faut se donner concrètement les moyens – à travers des campagnes de prévention plus précises et plus développées – de rendre tout le monde concerné par ce virus et donc à même d’adopter des comportements responsables.
Tous responsables : ni coupable, ni victime
Inspirée des principes de Denver, l’idée d’une responsabilité partagée face à la maladie fait consensus parmi les acteurs de la lutte contre le sida : « Le principe de « responsabilité partagée » soutenu par les acteurs de la santé publique est né du constat que la prévention ne pouvait pas reposer sur les seules personnes infectées. Il fallait pour cela éviter les réactions habituelles en cas d’épidémie, à savoir le rejet violent des personnes atteintes, vues comme responsables de leur état et coupables de la transmission ».
[[ Avis du CNS sur la pénalisation ]] Pour lutter efficacement contre le sida, il faut que tout le monde se sente concerné par le sida.
C’est l’ignorance qui entraîne l’accusation
Pénaliser la transmission du VIH, c’est, à l’inverse, désigner les personnes séropositives – du moins celles qui n’ignorent pas leur statut sérologique – comme uniques responsables de la propagation de l’épidémie. La réaction de porter plainte, que nous respectons, traduit souvent le sentiment de ne pas être concerné par le sida et révèle donc bien le manque d’information de la population générale. Car le visage de l’épidémie a changé. La plupart des contaminations concernent aujourd’hui des hétérosexuelLEs. Pourtant, cette population n’a pas intégré massivement la notion de responsabilité partagée. Et pour cause : les pouvoirs publics ne se sont pas donné les moyens de faire passer ce message largement.
Le couple : fidèle, forcément fidèle
Une grande part des contaminations a lieu au sein du couple. De fait, l’abandon du préservatif dans le couple demande une négociation clairement établie, qui suppose qu’il est de la responsabilité des deux partenaires de se protéger en dehors du couple, de se faire dépister en cas de prise de risque, d’en parler. Pour autant, la plupart des procès pour pénalisation de la transmission du VIH ouverts à ce jour l’ont été dans le cadre de couples, dont l’un des partenaires accusait l’autre de lui avoir transmis le virus. N’est-ce pas paradoxal ? Comment peut-on penser que l’amour seul protège du VIH ? La morale, la religion – qui ose encore prôner l’abstinence et la fidélité comme moyen de prévention – , et les rapports de genre, qui font que les femmes ont encore du mal à imposer le préservatif, sont des pistes. Tout comme le sont la méconnaissance des outils de prévention (préservatif féminin, préservatif en polyuréthane en cas d’allergie au latex) et des modes de transmission du virus.
Et ce sont bien là les vrais responsables : quelles campagnes de prévention abordent frontalement les relations extra-conjugales [[Voir la récente campagne de l’INPES sur le sujet qui valorise l’arrêt du préservatif dans le couple – sans poser la question d’éventuelles relations extra-conjugales et de ce qu’elles impliquerait sur la prévention au sein de ce couple.]] et leur implication sur un couple en termes de prévention ? Quelles campagnes d’information sont menées auprès des médecins pour que ceux-ci proposent davantage le test de dépistage à leurs patientEs ? De quelles informations le grand public dispose-t-il sur le traitement post-exposition ?
La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH ne doit pas être une réponse à la désinformation de la population générale sur le sida, désinformation due aux carences des autorités et à l’inadéquation des campagnes de prévention – campagnes qui, si elles étaient plus précises et plus développées, informeraient davantage celles et ceux qui pensent encore faussement que le sida ne les concerne pas.
Cette pénalisation, outre qu’elle ne réglera rien, aggravera encore les choses. Elle freinera le recours au dépistage : ceux et celles qui ne sont pas sûrEs de leur statut sérologique préféreront rester dans l’ignorance plutôt que de risquer d’être éventuellement poursuiviEs pour transmission du virus tout en ayant connaissance de leur statut sérologique. La pénalisation n’incitera pas les séropositifVEs à annoncer leur sérologie à leur(s) partenaire(s). En termes de santé publique, elle ne peut qu’avoir des effets catastrophiques.