Aujourd’hui, à travers le monde, 70 % des malades du sida qui ont besoin d’antirétroviraux n’y ont pas accès. Alors que le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a besoin de 5 milliards de dollars d’ici 2010 pour continuer à financer ses programmes, et notamment l’achat de médicaments pour les pays du Sud, les pays du Nord refusent d’augmenter plus tôt que prévu leur contribution en utilisant comme prétexte la crise financière. Une solution doit être trouvée pour répondre à la pandémie qui est tue toujours 6 000 personnes par jour.
Nord/Sud : inégalités face aux traitements
Depuis 1996, Act Up-Paris se bat pour l’accès aux antirétroviraux pour touTEs, notamment dans les pays du Sud. Aujourd’hui seules 30 % des personnes vivant avec le VIH/sida à travers le monde ont accès à ces traitements. Au Sud se soigner reste donc un combat vital : en Afrique sub-saharienne, 7 millions de personnes sont toujours en attente de traitement. En plus de dix ans, le prix des trithérapies de première ligne a sensiblement baissé grâce à l’arrivée sur le marché des copies de médicaments, notamment importés d’Inde – avant que ce dernier n’adopte les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Mais les nouveaux traitements, dits de seconde ligne, tout juste arrivés sur le marché, sont plus performants et moins toxiques, mais restent encore inaccessibles dans de nombreux pays.
Les fléxibilités des accords de l’OMC innaplicables
Alors que les pays qui en définissent le besoin pourraient en théorie produire une version générique de n’importe quel médicament breveté (en émettant une licence obligatoire), dans la pratique, ces flexibilités inscrites dans les accords de l’OMC et sensées garantir un accès à la santé pour touTEs, ne sont jamais appliqués. Chantage
Récemment, les pays qui ont utilisé ce droit se sont vus menacer à plusieurs reprises par les puissances du Nord. En 2006, le géant américain Abbott menaçait la Thaïlande de se retirer du marché thaïlandais, en réaction à l’annonce du pays d’émettre une licence obligatoire sur le Kaletra®, et ce après que les négociations entre les autorités sanitaires thaïlandaises et la firme américaine aient échoué. En février 2008, le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, envoyait un courrier à Bangkok, menaçant le pays de rétorsions économiques de la part des pays de l’Union européenne si celui-ci émettait une licence obligatoire sur le Plavix® — le médicament phare du géant français Sanofi-Aventis pour en produire une version générique fabriquée en Thaïlande — comme il le projetait.
Alors que 2 millions de personnes meurent encore chaque année du sida à travers le monde, les seuls pays à avoir utilisé les dispositions de l’OMC et produits des génériques sur des médicaments brevetés sont le Brésil, l’Inde et la Thaïlande. Ces pays ont en commun d’être considérés comme des « pays intermédiaires » par la Banque Mondiale, et d’être donc des puissances économiques émergentes.
Alors que les flexibilités des accords de Doha doivent garantir un accès aux médicaments à bas prix, paradoxalement, jusqu’ici, aucun des pays les plus pauvres d’Afrique sub-saharienne n’a utilisé ces flexibilités pour répondre à la crise sanitaire. La plupart des médicaments de seconde ligne disponibles dans les pays les plus pauvres sont financés par le Fonds Mondial, ainsi que par les mécanismes d’aides bilatérales (comme PEPFAR, DFID, etc.).
La voie du patent pool
1- Qu’est-ce qu’est un patent pool.
L’avidité de l’industrie pharmaceutique et les abus de monopole dont celle-ci fait preuve depuis les débuts de la pandémie de VIH/sida doivent être sanctionnés car ils constituent un frein à la recherche. Pour remédier à cette impasse, le patent pool présente de nombreux avantages. Le patent pool (« communauté de brevets ») est une solution volontaire, où les laboratoires détenteurs de brevets ne se retrouvent pas « expropriés de leur brevet » par les pays en développement contrairement aux licences obligatoires, mais où ces laboratoires acceptent de faire entrer des médicaments brevetés dans le pool, en échange de royalties. Contrairement aux licences obligatoires — qui sont des actes administratifs lourds à produire et qui concernent à chaque fois un médicament dans un pays donné, le patent pool a l’avantage d’être une approche globale et volontaire.Un patent pool fonctionne donc comme une grande licence volontaire, émise conjointement par de nombreuses entreprises possédant chacune un brevet sur un aspect différent d’une seule et même technologie globale. Par exemple, la technologie « lecteur DVD » est couverte par plus de 50 brevets différents, détenus par près de 20 entreprises. Pour que cette technologie puisse être exploitée, les différentes entreprises détentrices de brevets ont dû s’organiser pour gérer ensemble son exploitation ; ils ont mis en commun leurs brevets respectifs dans un patent pool, qui a ensuite octroyé une licence globale, sur l’ensemble de la technologie DVD. Et les redevances reversées au pool par les exploitants sont plus élevées dans les pays du Nord que les pays en développement. Enfin, le patent pool reverse aux différentes entreprises qui ont contribué à cette technologie en faisant entrer leur brevet dans le patent pool.
2- Comment cela pourrait-il être appliqué aux antirétroviraux ?
Sur le plan médical, les antirétroviraux sont exclusivement utilisés en combinaison : ils forment ainsi un seul ensemble technique. La technologie ‘antirétroviraux’ n’est réellement utilisable avec succès qu’à la condition que le médecin dispose de 18 médicaments existants, et puisse librement en adapter la combinaison à chaque patient.Si les laboratoires pharmaceutiques détenteurs de brevets sur les antirétroviraux versaient leurs brevets sur ces médicaments dans un patent pool unique, ce patent pool serait en mesure d’autoriser la commercialisation de versions génériques de ces médicaments à travers tout le monde en développement. Grâce à la taille du marché concerné, et à la concurrence entre les laboratoires génériqueurs auxquels le patent pool octroierait des licences, les prix des médicaments diminueraient très fortement, et la technologie ‘antirétroviraux’ deviendrait enfin réellement abordable pour les pays en développement. La baisse des prix rendrait aussi beaucoup moins coûteux, pour les pays donateurs, la réalisation de l’objectif G8 2005 de l’accès universel au traitement du sida.
Entre mai 2006 et mai 2008, un groupe de travail de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’est réuni pour réfléchir aux enjeux de recherche, d’innovation et de propriété intellectuelle, afin de soumettre un projet de résolution lors de l’Assemblée Mondiale de la santé (AMS) qui recommande de nouvelles façons de sortir de l’impasse actuelle et de répondre aux urgences sanitaires mondiales. La version adoptée in fine, retenait la possibilité du patent pool, comme un moyen innovant capable de répondre aux enjeux de la propriété intellectuelle et d’accès aux médicaments. Deux mois plus tard, lors de la réunion de son conseil d’administration, à Genève, UNITAID adoptait dans sa constitution le principe de patent pool et travaille à leur mise en oeuvre.
Si les patents pool constituent indéniablement une véritable piste pour répondre aux urgences actuelles en matière d’accès aux médicaments, de recherche et d’innovation, notamment dans les pays les plus pauvres, Act Up-Paris appelle toujours :
– Les pays les plus pauvres et en développement à utiliser les dispositifs actuels en matière de propriété intellectuelle en émettant des licences obligatoires sur des médicaments et d’en produire des versions génériques.
– Nicolas Sarkozy à réunir lors d’un sommet des dirigeants de pays en développement à Paris, pour qu’ils annoncent simultanément qu’ils émettent des licences obligatoires sur des médicaments — et ce de façon à ce qu’ils ne soient pas isolés et craignent des rétorsions de la part des pays du Nord.
– Le gouvernement sud-coréen à émettre une licence obligatoire sur l’inhibiteur de fusion le Fuzeon®.
Une licence obligatoire est un document administratif émit par les pouvoirs publics à un opérateur économique, lui permettant d’utiliser une technologie brevetée sans autorisation du titulaire du brevet — et avant l’expiration du temps de validité du brevet (20 ans). Dans le cas des médicaments, tout pays qui définit « son » urgence a la possibilité d’émettre une licence obligatoire sur un médicament.