Le projet de loi «Hôpital, patient, santé, territoire» (HPST) de la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, qui occupe les députéEs actuellement, entend améliorer le système de santé français. Si ce projet consacre un chapitre entier au refus de soins, il n’en demeure pas moins que celui-ci est porteur de nombreux risques dont les malades seraient les premières victimes.
Certes, les associations ont été consultées dans le cadre de ce projet de loi, mais ce n’est pas parce qu’une consultation est organisée que les arguments développés sont pris en compte. Il est donc important pour Act Up-Paris de rappeler les problèmes que soulève cette réforme. Celle-ci s’inscrit en effet au mépris du principe de démocratie sanitaire et représente un danger pour la prise en charge des malades.
Le système de santé français entièrement soumis à l’Etat et au pouvoir politique
Le projet de loi réorganise la gouvernance de la santé en France d’une façon telle que/ de telle manière à ce que l’Etat a désormais une emprise à chaque niveau de son organisation sans que de réels contre-pouvoirs puissent s’exercer à son encontre. Ainsi, ce projet de loi met en place un nouvel échelon hiérarchique : les Agences Régionales de Santé (ARS).
L’ARS, chargée de définir la politique régionale de santé, va regrouper sept organismes : ARH, DRASS, DDASS, URCAM, GRSP, MRS, CRAM. Elle couvrira l’ensemble du champ de la santé (ville, hôpital, secteur médico-social, prévention, veille et sécurité sanitaire). Elle est dirigée par unE directeurRICE nomméE en Conseil des ministres et présidée par le préfet de région. En outre, elle est dotée d’un conseil de surveillance dont la composition est sans équivoque : représentantEs de l’Etat, membres des Conseils des organismes d’assurance-maladie et leurs CA, représentantEs des collectivités territoriales, personnalités qualifiées et représentantEs des usagerEs. Par ailleurs, le pouvoir de ce comité de surveillance, seule limite au pouvoir du/de la directeurRICE de l’ARS, est nul[[Le projet de loi précise en effet que ce dernier doit au moins une fois par an « rendre compte au comité de surveillance (…), de la mise en œuvre de la politique régionale de santé et de la gestion de l’agence]].
Un danger pour la prise en charge des malades
On assiste donc à une étatisation de la santé dans le cadre de laquelle le pouvoir absolu des directeurRICEs des ARS sera lié au bon vouloir des politiques et des lobbies financiers, et s’appliquera jusque dans les hôpitaux. Selon le projet, c’est le/la directeurRICE de l’ARS qui coordonne ainsi l’évolution du système hospitalier par un redéploiement de services, d’activités ou d’équipements hospitaliers dans un objectif de rationalisation de l’offre de soins et de réduction des coûts. Les hôpitaux seront gérés par unE directeurRICE nomméE par le/la directeurRICE de l’ARS. Si ceTTE dernierE est entouréE d’un directoire qu’il/elle préside et d’un conseil de surveillance qui remplace le Conseil d’Administration, la place des éluEs et des représentantEs d’usagerEs y est réduite au mépris du principe de démocratie sanitaire. Le projet de loi met donc l’accent sur l’idée d’unE « patronNE » unique dans l’hôpital et souligne que celui-ci ou celle-ci doit disposer des moyens pour prendre des décisions et les faire appliquer…
Dans ces structures de direction, tant locales que régionales, les syndicats et les usagerEs sont réduitEs à une portion congrue. L’autonomie de gestion basée sur la T2A (Tarification À l’Activité), qui favorise les actes simples mais qui rapportent gros, sera contrôlée par l’ARS et conduira à une obligation de rentabilité. Les directeurRICEs auront la possibilité de s’affranchir des règles du marché. Les conséquences sautent aux yeux : concurrence avec le privé, abandon masqué des cas graves dans tous les hôpitaux, sélection des malades… En outre, aucune place ne semble être accordée dans ce projet de loi aux COREVIH, les instances de démocratie sanitaire de la lutte contre le sida.
Quelle place pour les COREVIH ?
Les COREVIH, mis en place dans l’année 2007, sont des instances de coordination de la lutte contre le sida à l’échelle des régions. Leur particularité réside dans l’association de ses membres : des acteurRICEs de la recherche et des soins, de la prévention et du dépistage, travaillant au sein des hôpitaux ou à l’extérieur, des membres d’associations de malades et d’usagerEs du système de santé qui y représentent au moins 20 % des membres.
Si le COREVIH est autonome, il reste cependant en lien avec son environnement et a un rôle fondamental au niveau de la mise en place des politiques régionales de santé, notamment par le contre-pouvoir qu’il peut constituer. Or, la remise en cause de l’organisation de la santé par la loi HPST ne tient absolument pas compte de cette institution. Les COREVIH, comme tout ce qui touche à la démocratie sanitaire, sont tout simplement niés par ce projet qui comme le ministère ne semble pas les considérer comme nécessaires. Il conviendra donc d’être vigilantE afin que les efforts investis pour la constitution de ce nouvel outil de politique de lutte contre le VIH au niveau régional ne tombe pas en désuétude. Outre cette étatisation au mépris total des engagements de la démocratie sanitaire, le projet de loi HPST comporte des risques pour la prise en charge des malades, qu’il s’agisse de la prise en charge globale ou de la qualité des soins.
Les communautés hospitalières : une limite à la prise en charge globale
Le projet de loi prévoit la mise en place de communautés hospitalières sur l’ensemble du territoire. Leur création tient à une volonté de rationalisation des moyens mais surtout des dépenses. La communauté hospitalière de territoire est un établissement public auquel plusieurs autres établissements publics adhérents délèguent leurs compétences en vue de mettre en œuvre une stratégie commune et de mutualiser certaines fonctions et activités. Elle est créée par le/la directeurRICE de l’ARS et une convention précise les modalités de coopération entre les établissements en matière de gestion et de mutualisation des moyens. Par ailleurs, le/la directeurRICE de la communauté hospitalière peut décider de transferts de compétences et d’autorisations d’activités de soins et d’équipements en matériel lourd. Concrètement, cela signifie que sur un territoire donné, là où il y avait plusieurs hôpitaux qui pouvaient chacun exercer les mêmes activités (cardiologie, maternité, chirurgie, infectiologie ; désormais chacune de ces activités sera exclusivement assurée par un établissement par transferts de ressources tant matérielles qu’humaines.
Si cette nouvelle répartition à l’avantage de répondre à un objectif de spécialisation, il n’en demeure pas moins que c’est la prise en charge globale des patientEs qui risque d’en pâtir. En effet, afin d’avoir une prise en charge adéquate, complète et efficace, le/la patientE se trouvera contraint « de faire la tournée » des hôpitaux, perdant ainsi beaucoup de temps et d’argent. Or, la prise en charge globale est un élément essentiel du succès thérapeutique dans l’infection à VIH, ainsi que l’ont démontré les expertEs[[Rapport du Groupe d’Experts 2008 sur la prise en charge médicale des patients infectées par le VIH, sous la direction du Pr Patrick Yeni.]], comme dans le cas de nombreuses maladies chroniques. Au-delà de la prise en charge globale, c’est le suivi même des personnes vivant avec le VIH qui est en danger
La constitution des pôles : une limite à la qualité des soins
Dans le projet, les différentes activités de l’hôpital sont regroupées en pôle, le/la directeurRICE de l’hôpital définit ces pôles, il/elle nomme à leur tête unE praticienNE qui met en œuvre la politique de l’établissement afin d’atteindre les objectifs de résultats définis annuellement par le/la directeurRICE de l’hôpital.
Cette organisation en pôles est donc guidée par une logique financière plus que par une logique de qualité des soins. Face à celle-ci, les services de maladies infectieuses, économiquement peu rentables car générant beaucoup d’activités à petits budgets, risquent d’en pâtir considérablement. En effet, il est à craindre que ce type de service soit intégré dans un pôle avec d’autres services plus innovants et économiquement plus rentables et que de fait, l’ensemble des moyens alloués pour le pôle soit affecté aux autres services. Le service VIH se retrouverait ainsi démuni des moyens humains et matériels indispensables à la qualité des soins. Par ailleurs, une autre possibilité serait qu’un service VIH se retrouve au sein d’un pôle où l’ensemble des services sont économiquement peu rentables, et qu’à terme plus aucun moyen ne soit alloué au pôle, entraînant petit à petit sa disparition. Les malades se retrouveraient donc dans l’impossibilité d’être soignéEs et seraient contraintEs de trouver ailleurs la prise en charge indispensable à leur survie. Le sort inadmissible des personnes de l’hôpital Saint Joseph[[Le Service VIH ayant été jugé trop couteux, la direction de l’hôpital Saint Joseph a donc décidé de le fermer, en laissant les malades se débrouiller pour la suite de leur prise en charge.]] risque donc de se reproduire sur l’ensemble du territoire…
C’est ici toute la logique même du projet qui pêche : la qualité de la prise en charge et des soins faisant les frais d’impératifs économiques.et d’ambitions étatiques de gouvernance rationnelle.
L’accès aux soins pour touTEs vient d’être remis en cause
Ce projet de loi risque donc de porter préjudice aux malades de manière considérable.
En effet, l’article 18 du projet de loi permet à « toute personne qui s’estime victime d’un refus de soins illégitime de présenter, à l’autorité ou à la juridiction compétente, les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défendresse de prouver que le refus en cause est justifié par des élèments objectifs étrangers à toute discrimination. »
Mais un amendement retenu par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales propose de supprimer cet aménagement de la charge de la preuve pour le remplacer par une procédure de conciliation réalisée conjointement par les Ordres des médecins et les Caisses d’Assurance Maladie. Cet amendement est justifié par des motifs infondés de risques supposés d’explosion du contentieux ou de « procès d’intention » vis-à-vis des professionnelLEs de santé… Il serait intolérable qu’une mesure réclamée depuis toujours par les associations de malades ne puisse être enfin adoptée. Act Up-Paris restera donc particulièrement vigilante sur ce point ainsi que sur l’ensemble du projet.