Aujourd’hui, le Fonds Mondial a besoin de 5 milliards de dollars supplémentaires d’ici 2010 pour continuer de fonctionner et de financer ses programmes normalement. Si les pays riches refusent de revoir leur contribution à la hausse et que le Fonds ne trouve pas ces milliards de dollars, les conséquences se chiffreront en millions de morts.
A quand un plan de relance pour la lutte contre le sida ?
Aujourd’hui, le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est le premier financeur multilatéral de la lutte contre les trois pandémies les plus meurtrières au monde. Fondé en 2001 par les pays du Nord, il finance dans de nombreux pays du Sud, des programmes de prévention, d’accès aux soins et aux traitements ARV, de formation du personnel soignant, et de renforcement du système de santé. Jusqu’au huitième cycle d’appel à projets, approuvé en novembre dernier à New Delhi, l’argent disponible dans les caisses avait toujours été supérieur aux demandes de financement formulées par les pays du sud. Lorsque divers scénarios avaient été présentés lors de la conférence de reconstitution du Fonds en septembre 2007 à Berlin, les pays riches, dont la France — alors qu’il était déjà très vraisemblable que le Fonds allait se trouver avec de sérieux problèmes de trésorerie rapidement, ont déclaré qu’ils redonneraient de l’argent le jour où la demande dépasserait les sommes disponibles dans les caisses du Fonds. Au round 8, les demandes de financement ont explosé.
Décisions de Delhi
Jusqu’à la réunion de son Conseil d’Administration (CA) à Delhi, en novembre 2007, l’argent disponible dans les caisses du Fonds Mondial était toujours supérieur à l’argent dépensé. Mais, à Delhi, les 7 et 8 novembre 2008, et pour la première fois de l’histoire du Fonds Mondial, le CA s’est retrouvé confronté à un nombre de projets de qualité supérieur à l’argent effectivement disponible dans les caisses du Fonds.
Le CA du Fonds s’est donc trouvé dans la position de devoir faire un choix et d’opter pour une des options qui s’offraient à lui : soit financer l’ensemble des projets évalués comme étant de qualité et chercher dans un second temps l’argent pour les cycles suivants, soit ne pas financer l’intégralité des projets tout de suite, en effectuant des coupes budgétaires sur les projets sélectionnés, de façon à laisser « artificiellement » de l’argent dans les caisses.
Le CA du Fonds, sous pression de ses principaux contributeurs, la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni notamment, a opté pour la seconde option — et ce, seulement quelques jours après que Nicolas Sarkozy ait réussi à injecter des sommes colossales pour «sauver» les banques. Des coupes budgétaires ont donc été adoptées — non pas à l’unanimité et « sans opposition », comme l’ont déclaré certains mais par des menaces exercées par les pays du Nord sur les pays du Sud pour qu’ils se prononcent en faveur de ces coupes budgétaires. Quant aux représentants des ONGs, ils ont voté contre cette diminution. Des coupes ont donc été réalisées sur l’ensemble des projets financés, représentent 10 % sur les phases 1 (deux premières années de financement des programmes) et de 25 % sur les phases 2 (trois dernières années de financements des projets).
Quelques jours plus tard, le 13 novembre 2008, les députés français adoptaient le Projet de Loi de Finance 2009-2011) où le budget de l’Aide Publique au Développement (APD) était réduite à peau de chagrin, on parle de la mort de l’aide bilatérale française avec une année blanche en 2009. Si les manipulations chiffrées du gouvernement laisse entendre que l’APD globale augmente légèrement, il n’en est rien, en effet l’APD réelle ne dépasse pas 30% de l’APD officielle. Et ce sont donc des projets entiers et plus particulièrement les programmes santé qui vont être stoppés, annulation par exemple, de l’engagement français à Madagascar ou des programmes de formation de personnels soignants au Burkina Faso). Les coupes sont si vastes qu’en 2009, l’Allemagne dépassera la France dans son aide bilatérale vers l’Afrique, une première. Si l’on prend la seule sous-région Afrique de l’Ouest, l’aide française bilatérale baissera en 2009 de 80%.
La crise financière : excuse et conséquences
La plupart de nos ennemis, ne cessent de mettre en avant le fait que jamais le Fonds Mondial n’avait financé autant de projets de qualité qu’en novembre 2008.
Certes, mais, une fois de plus, l’argent décaissé reste toujours bien inférieur aux besoins réels estimés par ONUSIDA.
Aujourd’hui, à travers le monde, seules 30 % des personnes vivant avec le VIH/sida qui en ont besoin, ont accès à un traitement. 7 millions de ces personnes vivent en Afrique subsaharienne. De plus, et comme l’illustrait bien le compteur mis en place par AIDES pour le 1er décembre, nous sommes toujours dans une phase de la pandémie où le nombre de contaminations est supérieur au nombre de personnes mises sous traitement. Ralentir les efforts aujourd’hui alors qu’il faudrait au contraire augmenter de 200 % les mises sous traitement, sachant parallèlement que l’on a développé des outils qui permettent d’atteindre l’accès universel, revient à laisser gagner beaucoup de terrain à la pandémie, et représente une véritable trahison pour les malades au Sud.
Ensuite, la crise financière — qui sert d’excuse aux pays riches pour ne pas augmenter leur contribution au Fonds Mondial et à la lutte contre le sida — va favoriser l’accélération des contaminations par le VIH/sida ainsi que des co-infections avec la tuberculose et le paludisme. Elle risque en effet de plonger de plus en plus de monde, notamment dans les pays les plus pauvres, même si ce sera également le cas dans les pays dits « intermédiaires » et les pays du Nord, dans une précarité encore plus forte. La précarité favorise les prises de risques, et notamment les risques d’expositions au VIH/sida et de contaminations. Si les pays riches réussissent à dégager des milliards pour «sauver» leurs banques, il peuvent et doivent dégager les fonds nécessaires pour éradiquer les trois grandes pandémies les plus meurtrières.
Mobilisation activiste : de Dakar à New York
A Delhi, les ONG ont été les seules à s’opposer clairement aux coupes budgétaires imposées par les principaux contributeurs, les pays riches, c’est-à-dire ceux dont la parole a le plus de poids au sein du CA du Fonds.
Pendant le Conseil d’Administration, Act Up-Paris a communiqué aux côtés de la Coalition PLUS pour dénoncer ces coupes et les procédés employés pour les faire adopter. Le 25 novembre 2008, à Paris, Act Up-Paris participait à l’organisation d’une conférence de presse aux côtés de Sidaction, Solidarité Sida, Oxfam, Action for global health-France, la Coalition PLUS, Avocats pour la santé dans le monde, à l’Hôtel de ville.
La salle de conférence était pleine, les retombées médiatiques ont été importantes dans la semaine qui a suivie. Ont eu lieu une intervention de Sébastien Fourmy d’OXFAM- France, qui s’est livré à une excellente analyse de l’APD 2009 française, puis une intervention d’Act Up-Paris pour expliquer dans quel contexte et comment intervenaient les coupes budgétaires faites à Delhi. Eric Fleutelot, de Sidaction, a expliqué les conséquences de la baisse de l’aide bilatérale française et des coupes de Delhi en terme d’objectifs d’accès universel aux traitements d’ici 2010. Au rythme actuel, ces objectifs ne seraient atteints qu’en 2025. Enfin, le Dr. Bintou Dembele, présidente d’ARCAD SIDA au Mali, venue spécialement pour la conférence de presse, a expliqué les conséquences des coupes de Delhi sur l’accès aux traitements, et comment elles seront effectuées sur le terrain. Selon Bintou Dembele, ces coupes se traduiront nécessairement par un choix des personnes qui seront mises sous traitement, et celles qui ne pourront pas.
La CISMA a Dakar
A Dakar, pendant la conférence internationale sur le sida et les IST en Afrique (CISMA) la guerre de la communication et des conférences de presse s’est accélérée.
Lors de la conférence de presse de Roselyne Bachelot-Narquin, le 6 décembre, nous avons pu interpeller la ministre, seule représentante du gouvernement français, sur la faible contribution de la France au Fonds Mondial ainsi que sur la baisse considérable de l’APD. Juste après, les ONG et associations d’activistes africaines, américaines et européennes ont tenu une conférence de presse, au cours de laquelle des acteurs de la lutte contre le sida au Tchad, en Afrique du Sud, en Zambie et au Cameroun ont pu expliquer les conséquences directes des coupes effectuées à Delhi dans la lutte contre la maladie dans leurs pays.
Quelques heures avant, Hakima Himmich de l’ALCS Maroc avait la parole en plénière et, avant d’entamer sa brillante présentation a donné la parole à Olayde Akanni, activiste nigériane, pour qu’elle lise un discours qui a été ovationné, appelant les pays riches à tenir leurs promesses.
A l’occasion de l’ouverture du forum du partenariat du Fonds — qui se tenait à Dakar dans la foulée de la CISMA, le premier ministre sénégalais Cheikh Hadjibou Soumaré, est intervenu en tenant des propos particulièrement engagés, appelant les pays riches à tenir leurs promesses, et se « refusant à croire que les pays riches allaient être ceux qui allaient laisser tomber les pays du Sud, les pays d’Afrique (…), alors que quelques semaines auparavant, ceux-ci avaient pu sans problème dégager des milliards pour sauver leurs banques ».
De New York à Davos : Objectif Madrid
Début janvier, Act Up-Paris avec une partie de la délégation ONG du Nord au Fonds Mondial, étaient invités à New York à participer à une réunion activiste, dans le but de définir les stratégies possible pour mobiliser les 5 milliards de dollars qui manquent d’ici 2010. Nous avons décidé de lancer une campagne mondiale, un peu sur le modèle de la campagne de 2002 «where is the $10 billion?», qui s’intitule «Finding five» (trouver les 5) ou «(Re)Mind the Gap» («se rappeler du fossé» — entre l’argent dont on a besoin et celui qui est effectivement disponible / «faire attention au fossé»).
Une coalition activiste est donc en train de se former pour mener à bien cette stratégie.
Le 29 janvier 2009, jour de l’ouverture du forum économique mondial, les mêmes ONG du Nord, depuis Davos en Suisse, organisaient une conférence de presse. Convié à y participer, le président du Fonds Mondial, Rajat Gupta, a annoncé que l’argent dont avait besoin le Fonds d’ici 2010 s’élève à 5 milliards de dollars. Il a appelé les pays riches à augmenter, plus tôt que prévu, leur contribution au Fonds.
En avril 2009, se tiendra à Madrid, la conférence de reconstitution à mi-parcours du Fonds Mondial. Un plan d’urgence doit être trouvé, sinon les conséquences se chiffreront en millions de nouvelles contaminations et co-infections, en millions de personnes non soignées, et en millions de morts au Sud. La crise financière, invoquée par les donateurs pour ne pas augmenter leur contribution ne saurait être une excuse acceptable, d’autant plus qu’elle risque de plonger des millions d’individus dans la précarité, qui les exposera encore plus massivement à des prises de risques et de contaminations.
Alors qu’en juillet dernier, à l’occasion du G8 du Toyako, Nicolas Sarkozy réitérait les promesses d’objectifs d’accès universel aux traitements d’ici 2010, il est clair que dans les conditions actuelles ces objectifs ne seront atteints qu’en 2025.
C’est pourquoi, nous demandons à la France, qui finance un plan de relance d’Airbus à hauteur de 5 milliards d’euros, qu’elle annonce au plus vite une augmentation de sa contribution au Fonds Mondial à hauteur des besoins et de l’urgence réels.