L’intégrase du VIH est depuis peu une des dernières cibles des antirétroviraux mises à notre disposition, notamment avec l’arrivée de l’Isentress (raltegravir). Cette enzyme virale permet au virus d’intégrer son patrimoine génétique dans la cellule infectée. La recherche avance dans ce domaine.
Zeger Debyser de l’université catholique de Louvain en Belgique s’intéresse aux composants cellulaires qui aident l’intégrase virale à accomplir sa mission. Seule, l’intégrase ne serait pas assez efficace et tout un ensemble de partenaires viennent la seconder, notamment sous la forme d’un complexe de protéines, non pas virales, mais d’origine humaine. La difficulté consiste à identifier celles-ci, dans le but d’en faire d’éventuelles nouvelles cibles thérapeutiques. L’auteur de la présentation de ce mardi matin a tout d’abord passé en revue comment on arrive à identifier des partenaires, puis il a montré que certains d’entre eux jouent effectivement un rôle dans la réplication virale, avant de décrire une approche d’identification de composés actifs pour bloquer cet effet, en visant précisément ce partenaire.
On connaissait déjà un des partenaires humains de l’intégrase, une protéine appelée LEDGF/p75 – dans le jargon des scientifiques friant d’abréviations, cela veut dire qu’il s’agit d’une protéine d’une masse de 75 kilodaltons (unité officielle) identifiée initialement dans un autre contexte comme un facteur de croissance dérivé de l’épithélium de la lentille, en anglais ‘lens epithelium-derived growth factor’. Nous voilà bien avancé, direz-vous. En fait, ce que fait cette protéine en complexe avec l’intégrase, c’est d’aider celle-ci à entrer en contact avec sa cible, nos chromosomes. Constituée d’un site de liaison à l’intégrase et d’un autre à la chromatine, la protéine LEDGF sert en quelque sorte de pont entre les deux. Par différentes techniques réalisées en laboratoire sur des cellules susceptibles d’être infectées par le VIH, l’auteur a validé que cette protéine n’est pas seulement là fortuitement : par exemple, en supprimant son expression (technique dite d’interférence ARN, nous y reviendrons dans une autre chronique) ou en la mutant au niveau du domaine de liaison avec l’intégrase, il est possible de montrer que l’on peut bloquer la réplication du VIH en culture. Fort de ce succès, la recherche de composés bloquant la liaison entre LEDGF et l’intégrase est envisageable – une tâche qui n’est a priori pas simple, mais dont les chances de succès augmentent régulièrement avec l’avancée des technologies, à telle enseigne que de tels programmes ne sont plus abordés aujourd’hui avec frilosité. En s’appuyant sur les connaissances dont on dispose sur la structure de LEDGF/p75, il est alors possible de rechercher par des méthodes informatiques, moléculaires, puis biologiques, des composés qui vont remplir les conditions. Zeger Debyser a ainsi présenté une telle démarche conduisant à s’intéresser plus particulièrement à un produit baptisé MM4328, actif contre la cible recherchée, LEDGF. Cette piste prometteuse permettra peut-être d’ouvrir la voie à une nouvelle classe d’antirétroviraux. Comme avec les anti-CCR5 (maraviroc/Celsentri), il s’agira d’une approche dirigée contre une cible humaine et non virale. L’histoire ne fait donc que commencer …
Lors de la recherche de partenaires de l’intégrase, d’autres protéines ont été identifiées, notamment par une société française, Hybrigenics, spécialisée dans ce type de recherche de partenaires protéiques – technologie dite de double hybride utilisant la levure. Zeger Debyser termine sur un autre partenaire de l’intégrase ainsi identifié, la protéine baptisée TRN-SR2, le ‘T’ venant de ‘transportin’ car elle assure le passage entre différents compartiments de la cellule (cytoplasme et noyau en l’occurrence, où aura lieu l’intégration virale), notamment pour des protéines riches en certains acides aminés (la sérine et l’arginine, abrégées en S et R, d’où le ‘SR’ dans le nom). Par la même démarche, évoquée plus haut, d’élimination sélective de la protéine dans la cellule, l’auteur a pu montrer que cette protéine partenaire de l’intégrase est essentielle pour la réplication du VIH. Le travail n’est pas encore aussi avancé que pour LEDGF en termes de découverte d’inhibiteurs, mais la voie est ouverte. Les médicaments de demain ? Encore une fois, prudence ; la route est longue et semée d’embûches, mais, pas de doute, la recherche avance dans le domaine de l’intégrase.