En novembre 2008, Act Up-Paris a interpellé Aides sur l’organisation « d’ateliers bareback » dans ses locaux en demandant à l’association de clarifier sa position. Notre courrier aura pour le moins été efficace puisqu’il a forcé Aides à sortir de l’ambiguïté dans laquelle étaient organisés ces ateliers. Nous aurions donc pu nous satisfaire de cette clarification en comptant sur Aides pour que ces ateliers s’inscrivent dans une démarche de lutte contre le sida et de santé publique…
Dès le départ, cet atelier s’est construit autour de deux objectifs : développer un discours positif à l’égard des personnes ayant des pratiques à risques assumées et revendiquer l’organisation de soirées bareback dans les sex clubs. Le discours principalement promu par Vincent Coquelin, organisateur des ateliers et salarié de Aides sur la prévention, opère par glissement. Dans une étrange manipulation sémantique, bareback qui signifie littéralement « monter à cru » et qui renvoie à une idéologie valorisant le sexe à risque désignerait dorénavant le fait de choisir d’avoir des rapports non protégés entre personnes séropositives. Les nombreuses études concernant les barebackers ou les prises de risque chez les gays montrent pourtant que ce choix repose très souvent sur une connaissance supposée du statut sérologique du partenaire. Quel autre sens a ce travestissement de la réalité sinon que de viser à légitimer le sexe non protégé ?
Dans un des projets de périodique que se propose de publier ce groupe, figure par exemple un article sur l’observance. La bonne observance du traitement y est envisagée dans la perspective de la réduction du risque de transmission. Il ne s’agit pourtant pas ici d’un risque pour soi mais d’un risque pour autrui. Au lieu d’inciter les mecs séropositifs à ne baiser sans capote qu’avec des partenaires séropositifs dont ils connaissent de manière certaine le statut sérologique, ce qui indépendamment des risques de surinfections, de transmission sexuelle de l’hépatite C ou de propagation des IST aurait au moins le mérite d’éviter de nouvelles contaminations VIH, le document préfère leur offrir une bonne conscience à bas prix.
Dans le même document à vocation périodique, la scène gay berlinoise est présentée comme le paradis du barebacking. À mot couvert, le modèle vers lequel devrait tendre notre communauté. Un monde parfait où s’organisent des soirées à thème bareback et d’autres où l’on peut porter un brassard pour dire qu’on baise safe ou bareback dans « le respect des pratiques de chacun ». L’article se veut même lyrique : « un laboratoire expérimental de la jouissance, qui touche à l’infini désespéré. Fascinant et émouvant à la fois. » Aides a-t-il débauché un journaliste des pages cultures de Libération pour écrire cet article ? En tout cas, ce texte rejoint la prétendue brochure d’information envisagée sur le bareback qui revendique tout à la fois une visibilité et « la possibilité d’organiser librement des soirées à thèmes bareback dans les établissements gays ».
On le voit, les préoccupations que nous exposions au sujet de la communication autour de ces ateliers se trouvent aujourd’hui justifiées tant par les compte-rendus des réunions qui ont déjà eu lieu que par les documents élaborés par les participants. Certains ne s’y sont pas trompé et ont déjà fui un atelier où elles pensaient trouver espace de dialogue et d’échange sur les prises de risque et leurs difficultés par rapport à la prévention. Rassemblant une petite dizaine de participants avec un fort turn over, le groupe est d’abord un laboratoire politique d’élaboration d’une normalisation du non-protégé. Il s’agit d’y produire un travail militant visant à légitimer le sexe à risque et le bareback.
L’ambiguité de ces ateliers ne préoccupe manifestement pas qu’Act Up-Paris. L’association des Psy Gay a ainsi élaboré un document qui déconstruit le discours de communication autour de l’annonce de ces ateliers. Le ministère de la santé a quant à lui jugé bon de convoquer Bruno Spire, président de Aides pour qu’il s’explique sur ces ateliers.
Pour nous, rien dans les arguments que nous avons entendus de la part des responsables de l’association ne peut nous convaincre. En outre, rattrapée par l’exploitation symbolique qu’elle a faite de cet atelier, on peut se demander si Aides sera encore en mesure d’assurer une véritable information de santé pour le public concerné par cet atelier.
L’expérimentation en matière de prévention a bon dos pour faire n’importe quoi. Quant au soi-disant « pragmatisme » revendiqué par Aides, on peut légitimement s’interroger sur les priorités qu’affiche aujourd’hui l’association pour réduire l’épidémie dans notre communauté. Pourquoi la promotion du préservatif ne serait-elle pas « pragmatique » ? Pourquoi la présentation de la baise sans capote comme une fatalité ne serait -elle pas une « idéologie » ? Pourquoi Aides ne mène-t-elle pas des ateliers de « sexe sans risque » où on ferait parler et échanger des personnes qui n’ont pas de problèmes en matière de prévention ? S’interroger, scientifiquement, sur les raisons qui poussent des personnes à se protéger et protéger ses partenaires, malgré les contraintes, malgré le discours ambiant de renoncement général, ne serait-il pas « pragmatiquement » plus efficace que de renvoyer sans cesse la communauté au soi-disant échec du tout capote ?