Alors que l’on pensait qu’après reconnaissance des récepteurs appropriés, le VIH fusionnait directement avec la surface de la cellule qu’il infecte pour introduire son matériel génétique, il semble que la situation soit plus complexe. Quelles conséquences cela a-t-il pour les stratégies d’inhibition de l’entrée du virus ?
Le modèle classique
On a toujours considéré que pour pénétrer dans une cellule cible, le VIH après reconnaissance des récepteurs appropriés (CD4 et corécepteurs CCR5 ou CXCR4 par exemple), fusionait directement avec la surface extérieure de la cellule afin de libérer son contenu à l’intérieur et de se répliquer en tirant parti de la machinerie cellulaire. La fusion implique, côté VIH, une enveloppe constituée en partie des protéines issues du gène viral env (les glycoprotéines GP120 et GP41) et, côté cellule de l’organisme, une membrane plasmique cellulaire, constituée sur l’extérieur d’un feuillet de deux couches de lipides (ce feuillet inclut aussi de multiples protéines pouvant faire le lien entre l’extérieur et l’intérieur de la cellule). Le processus de fusion prendrait une dizaine de minutes environ. Quelques vidéos disponibles sur le net illustrent ce processus[[Voir par exemple : www.dnatube.com.]]. Le T20 ou enfuvirtide (Fuzéon) est un des antirétroviraux qui permet de bloquer ce processus de fusion en ciblant les protéines d’enveloppe du virus.
Le nouveau modèle
Dans un article publié le 1er mai dans la revue Cell [par un groupe de chercheurSEs de l’institut de virologie humaine et du département de microbiologie et immunologie de l’école de médecine de l’université du Maryland à Baltimore aux Etats-Unis], les auteurEs décrivent un processus plus complexe. Sans rentrer dans les détails méthodologiques et en résumé, les auteurEs montrent à partir de travaux réalisés en laboratoire (donc hors de l’organisme) que la fusion complète prend plus de temps et n’a pas lieu au niveau de la surface cellulaire.
Le virus interagit toujours avec la surface cellulaire grâce au mécanisme de reconnaissance impliquant les récepteurs indiqués ci-dessus, mais la particule virale s’engouffre alors dans la cellule via une structure que l’on appelle un endosome. Le processus lui-même porte le nom d’endocytose, du grec endon : dedans et cytos : cellule. Imaginons des bulles de savon : la bulle s’échappe du cercle trempé dans du savon liquide. Après échappement, le film de savon est généralement encore présent sur le cercle initial s’il y en avait suffisamment. La surface de la cellule fait la même chose : lorsqu’un élément étranger – une particule virale en l’occurrence – arrive à proximité de la surface de la cellule, localement une bulle se forme vers l’intérieur à partir de la surface – non limitée à un cercle cette fois – encercle la particule virale et l’emmène à l’intérieur de la bulle, elle-même s’autonomisant après un certain temps, laissant la surface cellulaire toujours intègre sans véritable trou. C’est ce qui se produirait avec le virus en contact initial via les récepteurs avec la surface cellulaire : il se retrouve dans cette sorte de bulle à l’intérieur de la cellule sans avoir fusionné avec la surface cellulaire externe elle-même. C’est ce que montrent les chercheurSEs.
La fusion se produit tout de même, mais cette fois non pas avec la surface extérieure de la cellule, mais avec la surface de cette bulle, cet endosome, et donc à l’intérieur de la cellule – ce que l’on appelle le cytoplasme situé au-delà du noyau de la cellule et à l’intérieur de la membrane plasmique cellulaire externe. Par rapport au modèle classique, la durée est donc plus importante entre les phénomènes de reconnaissance par les récepteurs et l’arrivée de l’ARN viral dans le cytoplasme, du fait du transfert dans des endosomes qui peut prendre jusqu’à 30 minutes, voire une heure.
L’entrée d’un virus à l’intérieur de la cellule via un processus incluant les endosomes n’est pas un scoop en soi, car de nombreux virus utilisent ces structures pour entrer dans la cellule en fusionnant leur membrane avec celle d’un endosome. Jusqu’ici, les scientifiques considéraient que le VIH qui entrait via un endosome était dégradé par la cellule. Ces nouveaux travaux montrent que le VIH préfère la voie des endosomes pour rentrer dans les cellules qu’il infecte. Ce que montrent aussi les auteurEs de l’article, c’est que la fusion à la surface de la cellule est incomplète : tout se passe comme décrit dans le modèle classique jusqu’au mélange des lipides des membranes cellulaires et virales, le processus est alors bloqué et la fusion incomplète.
Quelles conséquences pour le futur ?
L’élimination des particules virales de la surface cellulaire par le processus d’endocytose avant que le mécanisme de fusion ne soit complètement terminé signifie que le VIH pourrait échapper en partie aux anticorps ou inhibiteurs de fusion. En effet, après reconnaissance des récepteurs de surface cellulaire, la protéine de l’enveloppe du virus appelée gp41 change de conformation et c’est précisément ce changement qui permet la fusion entre les membranes virales et cellulaires. Le T-20 interagit justement avec cette protéine sous sa forme remaniée et pendant cette étape fugace de changement. Si la fusion a effectivement préférentiellement lieu à l’intérieur et non à la surface de la cellule comme le suggèrent les travaux précédents, cela pourrait limiter la durée d’action des inhibiteurs d’entrée du type T-20 qui agissent à l’extérieur de la cellule.
C’est aussi ce changement de conformation conservé parmi les souches virales de VIH que l’on cherche à cibler avec des anticorps produits par l’organisme après un certain type de vaccination, mais cette découverte rend plus délicate une vaccination efficace, car les anticorps aussi auront bien du mal, vue leur taille, à entrer dans la cellule.
Reste à faire en sorte que les futurs inhibiteurs de fusion accompagnent le virus dans les endosomes.