Le 13 juin dernier avait lieu une rencontre organisée par l’AFH[[Association Française des Hémophiles]], consacrée à la thématique « VIH et hémophilie ». L’objectif était de permettre un dialogue plus libre entre malades et médecins dans un autre cadre. Nous relayons cette matinée pour faire connaître les besoins des malades dans ce domaine.
C’est l’occasion de revenir sur l’association hémophilie-VIH-traitement, et les questions qui ont été soulevées au cours de cette réunion. Le docteur Matthieu Lafaurie était là pour y répondre et présenter un état des lieux sur la question.
Afin d’approfondir et de compléter ce sujet souvent délaissé, nous avons rencontré un hémophile contaminé par le VIH à la suite de transfusions qui lui avaient été prescrites, et soumis à plusieurs combinaisons antirétrovirales.
La maladie du sang bleu
Les écrits des historiens ont mis en exergue le terrible mal de l’hémophilie en se rapportant à la descendance de la reine Victoria. C’est surtout l’histoire d’Alexis Nicolaïevitch héritier hémophile de la dynastie des Romanov et celle de Grigori Iesimovitch surnommé Raspoutine qui fit connaître du grand public l’hémophilie, surnommée « la maladie du sang bleu » ou « sang noble ».
L’hémophilie consiste en une prédisposition aux hémorragies, héréditaire et congénitale. Les hémorragies se produisent spontanément ou sous l’action de causes insignifiantes. Elles sont extrêmement abondantes, difficiles à arrêter et mettent souvent la vie en danger. On a reconnu cette maladie comme la maladie la plus héréditaire de toutes les maladies héréditaires.
Il est rare d’observer un cas isolé dans les familles. La plupart du temps, la prédisposition à la maladie se manifeste dans tout un groupe d’individu liés par le sang. Ce sont les femmes qui transmettent la maladie, dans certaines familles, on a suivi la maladie pendant plusieurs générations.
La transmission génétique ne concerne pas systématiquement tous les enfants de la famille. Ce sont les garçons qui sont atteints d’hémophilie. Pour autant, un garçon né d’une femme porteuse de l’affection ne naîtra pas forcément hémophile. En général, dès l’enfance les hémorragies spontanées apparaissent ou sont causées par d’insignifiantes blessures. Ces hémorragies sont d’une gravité hors de proportion avec leur cause.
L’hémorragie interne se distingue par ses effets pervers qui peuvent alors engendrer un risque vital pour un hémophile. En outre, les malades éprouvent des douleurs dans les membres et les articulations, suite aux hémarthroses (Hémorragies à l’intérieur des articulations) à répétition.
Un certain nombre de facteurs déclenchent le phénomène complexe de la coagulation du sang aboutissant à la formation du caillot. Lors d’une hémorragie, une excitation organique active des facteurs[[Facteur PTA pour Plasma Thromboplastine Antécédent XI et Facteur hagemane XII]] contacts jusque-là inopérants. L’inter-réaction de l’ensemble des autres facteurs spécifiques à la coagulation aboutit alors au phénomène normal de la coagulation du sang. Le facteur anti-hémophilique A (facteur VIII) ou anti-hémophilique B (facteur IX), qui font défaut chez un hémophile, empêchent la formation naturelle du caillot qui ne peut alors se produire lors d’une hémorragie.
Un remède pire que le mal : l’affaire du sang contaminé
L’apparition des facteurs VIII ou IX destinés à changer le confort et la vie du malade s’avéra être pire que le mal suite au scandale de la tragique affaire du sang contaminé. Entre 1982 et 1992 et même au-delà, les hémophiles furent contaminés par les produits distribués sous monopole pour leurs soins, qui infectèrent la plupart d’entre eux par le VIH et le VHC. Nombre de contaminations pouvaient être évitées si une campagne d’information sérieuse et efficace avait été mise en place par les pouvoirs publics. La délivrance des produits chauffés a été tardivement proposée aux hémophiles, alors qu’en l’absence de tests de dépistage, c’était le seul moyen pour inactiver le VIH, et les épargner.
Quand les traitements s’en mèlent
En 1997, les premières signalisations de survenues inexpliquées de saignements chez des hémophiles sous traitement antirétroviral sont publiées. Les inhibiteurs de protéases sont pointés du doigt, et notamment le ritonavir. Et puis plus rien, après avoir été un objet d’intérêt, les problèmes liés à l’association hémophilie et infection à VIH n’ont plus retenu l’attention. Pour preuve, le mot n’apparaît même pas dans les dernières recommandations du groupe d’experts, sous la direction du Pr. Yéni. Cependant, le Résumé des Caractéristiques des Produits (RCP) des inhibiteurs de protéase indique pour « les patients hémophiles : des cas d’augmentation des saignements, comprenant des hématomes cutanés spontanés et des hémarthroses, ont été rapportés chez des patients hémophiles de type A et B traités par des inhibiteurs de protéase. Chez certains patients, une administration supplémentaire de facteur VIII a été nécessaire. Dans plus de la moitié des cas rapportés, le traitement par des inhibiteurs de protéase a été poursuivi ou réintroduit dans le cas où il avait été interrompu. Un lien de causalité a été évoqué, bien que le mécanisme d’action n’ait pas été élucidé. Par conséquent, les patients hémophiles doivent être informés de la possibilité d’augmentation des saignements. »
Par ailleurs, l’hémorragie par la déficience de la coagulation entraîne souvent des douleurs articulaires graves. L’AZT semble aggraver cette douleur, sans que le processus en cause soit mis en évidence.
Pour obtenir des informations utiles et précises, la mise en place d’un projet scientifique sur les personnes hémophiles et vivant avec le VIH est une vraie nécessité. D’autant que les hémophiles sont quasi-systématiquement exclus des essais cliniques. Pourtant, on estime qu’environ 50% des hémophiles sont actuellement contaminés par le VIH.
Le médecin, une personne ressource ?
L’hémophile avec qui nous avons travaillé, a constaté une augmentation de la fréquence des hémarthroses qu’il subit, passant d’une hémarthrose tous les mois à 3 à 5 par mois, depuis la prise du Kalétra®. Les saignements résultant de chocs anodins de la vie courante ont également augmenté. Il en résulte une surveillance supplémentaire nécessaire et l’utilisation de produits anti-hémophiliques en conséquence. On peut essayer d’améliorer le confort du malade en changeant de traitement mais cela reste aléatoire et soumis à l’avis et à la surveillance du médecin hématologue.
Certains médecins savent être à l’écoute et aviser le traitement pour restreindre les effets indésirables résultant des inhibiteurs de protéase. C’est ce que nous avons pu constater grâce à l’intervention de Matthieu Lafaurie lors de la rencontre VIH et hémophilie.
Ce n’est pas le cas de tous les médecins, une jeune génération d’hématologues ne veut pas entendre ou ne veut pas croire à la réalité de ces effets indésirables peu connus ou reconnus. Ils n’ont pas conscience ou ne distinguent pas ce qui appartient à l’hémophilie en elle-même et ce qui est accru par l’administration d’un IP. On en revient encore et toujours à la relation médecin-malade et à la difficulté de faire entendre son ressenti en tant que malade. Ainsi cet homme qui livrait ses impressions à son médecin quant à l’augmentation de ses saignements depuis son traitement antirétroviral, cet homme de médecine lui a répondu : « vous saignez c’est normal, je n’y peux rien, vous êtes hémophile. »
Pour que ces effets indésirables liés à l’interaction des antirétroviraux avec l’hémophilie soient pris en compte par les médecins (et entendus !) la moindre des choses serait qu’un chapitre y soit consacré et figure dans le prochain rapport d’expert Yeni.
Appel à témoignage
Faites nous parvenir vos témoignages, votre ressenti si vous reconnaissez les interactions -VIH hémophilie traitements- que nous avons décrites.