Dans un article paru en ligne en juin dans la revue britannique Nature Medicine, des chercheurs canadiens et américains se sont attachés à préciser, d’une part, la nature des réservoirs à lymphocytes T CD4 infectés de façon latente par le VIH et, d’autre part, les mécanismes leur permettant de subsister. Accrochons-nous, cela se complique !
Le réservoir principal du VIH est constitué par une petite population de lymphocytes T CD4 mémoire infectés de façon latente. Ces lymphocytes sont appelés mémoire parce qu’ils représentent une sous-population cellulaire spécifique d’un antigène en attente d’une nouvelle rencontre avec cet antigène. En effet, après une première rencontre, le lymphocyte va se multiplier pour combattre l’intrus et une partie des cellules va se mettre au repos pour conserver la mémoire contre cet antigène. Si le lymphocyte a été contaminé par le VIH, la production du virus n’est alors pas possible dans cette cellule au repos, alors qu’il y est bien présent sous forme intégrée dans le génome cellulaire.
Réservoirs et lymphocytes mémoire
Lorsque le nombre de lymphocytes CD4 diminue, la taille du réservoir des lymphocytes T CD4 mémoire augmente. Par contre, l’initiation précoce d’une multithérapie antirétrovirale efficace permet généralement de réduire la taille de ce réservoir. A partir de ces constats, les auteurs suggèrent que la perte des CD4 – qui est liée à leur multiplication cellulaire – pourrait être le régulateur de la taille de ce réservoir. Reste à en identifier les mécanismes. Pour expliquer la persistance d’une charge virale sous traitement, l’hypothèse d’une très faible réplication virale conduisant à l’infection de nouvelles cellules T CD4 mémoire n’est pas étayée par les données : il n’y a pas d’évolution génétique du VIH au sein des réservoirs et il existe une divergence entre les séquences virales associées aux cellules des réservoirs et les séquences virales plasmatiques. Par contre, certains lymphocytes T CD4 mémoire baptisés Tcm[[CM pour Mémoire Centrale en anglais]], ont une durée d’existence très longue, plusieurs années, et pourraient ainsi expliquer la stabilité de ces réservoirs.
Un peu d’immunologie
Avant d’aller plus loin, précisons en quoi consistent les différents sous-types de lymphocytes, en particulier ceux dits mémoire. Ceux qui sont en charge de combattre activement les intrus dans l’organisme, via la reconnaissance d’un antigène spécifique, sont appelés lymphocytes Tem[[Le e est introduit pour indiquer qu’il s’agit de lymphocytes effecteurs.]]. Ils sont produits de deux façons : à partir d’un lymphocyte naïf (Tn), c’est-à-dire qui n’a encore jamais rencontré d’antigène extérieur, lors de la réponse primaire à l’intrus, ou bien, lors des rencontres ultérieures avec cet intrus, à partir des lymphocytes Tcm évoqués ci-dessus. On dit que les lymphocytes Tem sont différenciés, alors que les lymphocytes Tcm dont ils peuvent dériver sont des précurseurs – ces derniers servent en quelque sorte de cellules souches à partir desquelles, par multiplication cellulaire, l’organisme pourra disposer du nombre suffisant de lymphocytes effecteurs pour éliminer l’intrus. En plus des différences fonctionnelles, ces sous-types peuvent se distinguer en fonction du lieu où ils se trouvent (ganglions, intestin, …). Ils sont identifiés sur la base de l’expression plus ou moins forte de tout un jeu de marqueurs de surface. Sans rentrer dans les détails, il s’agit de récepteurs aux cytokines et de CD pour clusters of differentiation (groupe de différenciation en anglais), une nomenclature qui permet de répertorier un bon nombre de protéines de surface cellulaire, dont les fameux CD4 et CD8.
Un stade intermédiaire de différenciation entre les lymphocytes Tcm et Tem a été décrit et baptisé Ttm, le T voulant dire transitionnel. Enfin, il existe un stade de différenciation terminale pour les lymphocytes que l’on appelle Ttd.
Le passage des Tcm aux Tem[[Appelé encore différenciation de l’un en l’autre et intégrant le passage par les intermédiaires Ttm.]] s’accomplit de deux façons : lors de la stimulation du récepteur des cellules T, celui qui reconnaît l’antigène, ou, dans une moindre mesure, lors de la réponse à certaines cytokines comme les interleukines 7 et 15. Ces dernières cytokines participent de ce que l’on appelle l’homéostasie, c’est-à-dire, dans le contexte de l’immunité, le fait que le nombre de lymphocytes dans toute leur diversité et leurs répertoires soit maintenu constant, malgré l’apparition en permanence de nouveaux lymphocytes et la multiplication importante de certains lors de leur rencontre avec leur antigène spécifique. Pour y arriver, l’organisme développe des processus complexes faisant intervenir la mort cellulaire programmée des lymphocytes ou bien leur inactivation. C’est à ce niveau qu’interviennent, entre autres, des composants diffusibles localement ou à grande échelle dans tout l’organisme, comme les interkeukines.
Retour aux réservoirs
On ne connaît pas les contributions respectives pour la taille et le maintien des réservoirs des deux types de multiplication cellulaire auxquels peuvent être soumis les lymphocytes, celle induite par la rencontre avec l’antigène pour grossir les rangs des lymphocytes combattant, et celle assurée par l’homéostasie. L’intérêt pour ces mécanismes est renforcé par le constat que lorsque nous avons peu de CD4 sous multithérapie antirétrovirale, nous sommes le siège d’une très forte activation immune, d’une concentration plasmatique d’interleukine 7 accrue et d’un taux augmenté de lymphocytes T CD4 en division cellulaire.
Les travaux des chercheurs démontrent qu’il existe deux sous-types distincts de réservoirs à lymphocytes mémoire : un réservoir composé de lymphocytes Tcm régulé par la prolifération (multiplication cellulaire) induite par l’antigène et un réservoir de lymphocytes Ttm régulé par la prolifération liée à l’homéostasie.
Quelques détails supplémentaires
Lors de l’évaluation des types de lymphocytes constituant les réservoirs chez 31 personnes à charge virale indétectable, de fortes variations d’une personne à l’autre ont été constatées et les proportions moyennes trouvées étaient environ pour moitié des lymphocytes Tcm, un peu plus d’un tiers de Ttm, un peu plus de 10% de Tem, environ 2% de Tn et moins de 1% de Ttd. Les lymphocytes mémoire y sont donc effectivement majoritaires et surtout de type cm et Tm. Un rapport de CD4 sur CD8 supérieur à 1, un nadir de CD4 élevé et l’initiation d’un traitement dans le courant de l’année après infection étaient associés à une taille réduite de ces réservoirs. L’évaluation des sous-types en fonction du nombre de CD4 indique qu’un faible nombre de CD4 correspond à un réservoir de lymphocytes de type principalement Ttm et un haut niveau de CD4 correspond à une préférence pour des cellules infectées de type Tcm.
La perte des CD4 est corrélée à un haut niveau d’interleukine 7, une cytokine responsable pour la survie et la prolifération homéostatique des lymphocytes T CD4. Cette cytokine favoriserait la survie des lymphocytes infectés dans les réservoirs en induisant leur prolifération homéostatique, ce qui permet d’assurer la persistance d’un réservoir stable génétiquement. De son côté, la prolifération induite par l’antigène détermine l’évolution génétique des sous-types de VIH présents dans le réservoir grâce à la prolifération préférentielle et la survie d’un nombre restreints de lymphocytes T CD4, chaque lymphocyte infecté par une séquence particulière de VIH sera amplifié préférentiellement seulement s’il rencontre son antigène.
Les chercheurs ne sont tous d’accord sur le rôle que joue la réplication virale dans le maintien des réservoirs. Ce nouveau travail suggère un rôle limité de la réplication virale et une responsabilité qui incombe principalement à la prolifération des cellules infectées au sein des réservoirs pour assurer la persistance de ceux-ci, avec un rôle déterminant de l’interleukine 7.
Conséquence pour la purge des réservoirs
Le VIH persiste initialement dans les lymphocytes Tcm chez les personnes qui présentent une reconstitution immune des CD4 après traitement antirétroviral. Ce réservoir Tcm décroît très lentement et persiste longtemps quand nous répondons aux traitements avec un taux élevé de CD4 – plusieurs décades. Il est maintenu grâce à la survie des lymphocytes Tcm et leur très faible prolifération induite par la rencontre avec l’antigène qui leur est spécifique. Par contre, c’est préférentiellement dans des lymphocytes Ttm que le VIH se niche chez les personnes à charge virale contrôlée qui présentent un faible nombre de CD4 et dont la majorité présente une activation immune persistante. Ce réservoir persiste grâce à la prolifération homéostatique des cellules Ttm[[TM pour Mémoire Transitionnel.]] infectées, un mécanisme qui assure sa stabilité à la fois en termes de taille et de variabilité génétique. Un traitement précoce est associé à la réduction de la taille de ce réservoir. En cas de traitement retardé, dans la mesure où ce réservoir à lymphocytes Ttm persiste grâce à la prolifération continue – de faible niveau certes – assurée par l’interleukine 7, les traitements antirétroviraux seuls n’auraient pas de prise sur ce compartiment pour le purger totalement des cellules infectées.
Quel enseignement tirer de tout cela ?
Les auteurs proposent des stratégies combinant un traitement antirétroviral à une attaque spécifique du réservoir. Deux pistes sont proposées.
– La première ressemble aux stratégies actuelles en cancérologie, où la rechute après traitement antitumoral pourrait être liée à l’existence de cellules souches persistantes insensibles à la chimiothérapie classique, mais capables de reconstituer une masse tumorale après prolifération. Pour les réservoirs à VIH, il s’agit de trouver un angle d’attaque contre le renouvellement ou les propriétés possibles de cellules souches des lymphocytes mémoire.
– La seconde piste consiste à cibler les événements en aval de la prolifération homéostatique, notamment en bloquant la voie de l’interleukine 7. Il y a encore du chemin à parcourir avant d’arriver à purger les réservoirs par ces stratégies.
Dans l’immédiat, notons qu’il y a de quoi être circonspect quant à la stratégie proposée visant à bloquer les effets de l’interleukine 7 dans la mesure où d’autres chercheurs proposent au contraire d’associer cette interleukine aux traitements antirétroviraux. Nul doute, l’histoire n’est pas terminée et, comme le dit Françoise Barré-Sinoussi, l’effort de recherche fondamentale doit être continué …