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En 2001, moins de 5 % des séropos qui en avaient besoin avaient accès à des traitements. En 2008, ce taux atteignait presque les 30 %. Cette progression n’aurait jamais été possible sans le Fonds mondial, et un accroissement des contributions des pays riches.

Menaces idéologiques

Malgré ces succès, le Fonds est menacé. Depuis sa création, le Fonds a été critiqué. Ces attaques prennent depuis plusieurs mois un nouvel essor avec des scientifiques comme Daniel Halperin ou Horton, relayés par des politiques, notamment dans l’administration américaine. Trop spécifique, le Fonds détruirait les systèmes de santé des pays bénéficiaires, et absorberait trop de financements qui pourraient être consacrés ailleurs, comme la santé des nouveauxELLES-néEs et des mères. Mais cette rhétorique en apparence généreuse cache mal une idéologie libérale (ne pas augmenter les dépenses publiques pour faire face à l’ensemble des problèmes de santé, donc lutter contre toutes les maladies avec la même somme) et profondément réactionnaire (moins financer le Fonds éviterait de donner de l’argent pour les pédés, les tox et les putes).

En France, les critiques portent surtout sur le fonctionnement multilatéral, dans lequel se noierait la visibilité de l’engagement français. L’idéologie qui les sous-tend est tout aussi nauséabonde. La députée UMP Henriette Martinez a rendu cet été un rapport sur l’aide publique au développement, où elle consacre plusieurs pages au Fonds mondial. La parlementaire, qui rédige visiblement ce que le gouvernement attend d’elle, et qui n’a pas pris la peine de consulter les associations de lutte contre le sida pour connaître leur avis, complimente la part française dans les contributions (« le deuxième bailleur », cocorico !), et regrette que la France n’ait pas son propre siège au CA, ou que les documents de travail ne soient qu’en anglais. Mais aucun mot pour parler des conséquences du sous financement qu’elle reconnaît elle-même : des programmes vont être arrêtés, des séropos se retrouver sans traitements, mais l’inquiétude d’Henriette Martinez est de rentabiliser les dépenses de la France pour que son aide soit bien visible et qu’on puisse dire que la France fait du bien dans le monde. On a les priorités de bac à sable qu’on peut.

De plus, l’aide bilatérale, c’est avant tout de l’argent pour les opérateurRICEs françaisES, FRANÇAISES, madame. On comprend mieux les critiques contre le Fonds mondial si on sait que, quand il a rencontré avec d’autres ONG le Président de la République, le 17 septembre dernier, Jean-François Mattéi (vous savez, l’ancien ministre de la Santé qui ne savait pas que l’été, il fait chaud) avait pour seul discours de demander de l’argent… pour la Croix-Rouge, qu’il préside. Les candidatEs, françaisES, sont sur les rangs pour récolter les moyens qu’on va refuser au multilatéral. Et il va sans dire que le président de la Croix Rouge, comme toutes les autres ONG de ce type, ne vont jamais critiquer la politique de développement française, vu qu’ils/elles en sont les premierEs bénéficiaires. Enfin, on critique le Fonds car son système de répartition, plutôt démocratique sur le papier, favoriserait la corruption. Comme si la question était inhérente au seul Fonds, qui par ailleurs se dote d’armes, encore insuffisantes, pour lutter contre. Comme si l’aide bilatérale était mieux loti. Les contempteurEs du Fonds sont-ils/elles alléEs au Gabon pendant les dernières élections ? Vont-ils/elles faire un compte-rendu du système de corruption fondé sur l’aide française ?

5 milliards à trouver

Dans le même temps, stimulées par les promesses d’un accès universel aux traitements pour 2010, les demandes ne cessent d’augmenter. Mais pas les contributions. Depuis 2007, nous ne cessons de dénoncer la décision prise à l’époque de geler la contribution française au Fonds à 300 millions. Nous avons montré comment, au lieu d’augmenter comme l’État essaie de le faire croire avec des manipulations comptables, l’aide publique au développement en santé diminuait.

Dès janvier dernier, le président du Fonds Mondial, M. Rajat Gupta annonçait que le Fonds aurait besoin de 5 milliards de dollars pour terminer l’exercice financier en cours et financer de nouveaux projets en 2009. Malgré les nombreux appels des acteurRICEs de la lutte contre ces maladies, les pays riches sont restés de marbre.

Les pénuries de médicaments se multiplient dans la plupart des pays d’Afrique. A partir d’octobre, la situation empirera encore. Les choix politiques des pays riches vont tuer, par centaine de milliers, si la société civile laisse faire. Pourtant, rien ne justifie le gel des contributions. Ainsi la France argue du fait que les caisses de l’Etat sont vides. Cela ne l’a pourtant pas empêché de renflouer les banques et de donner des milliards au FMI (Fonds Monétaire international), ou, quelques mois auparavant, de trouver plus d’un milliard d’euros pour sauver la Caisse d’épargne et la Banque populaire.

Racisme

Une épidémie tuerait chaque jour des milliers de BlancHEs des pays riches, la France mobiliserait tous les moyens possibles pour l’endiguer. Nicolas Sarkozy n’irait pas prétexter la crise économique. Il n’irait pas dire que la France en fait déjà beaucoup alors que des milliers de personnes meurent. Il ne tergiverserait pas pour mettre en place des financements innovants si le besoin s’en faisait sentir. Il n’irait pas faire croire qu’un triplement des bénévoles sauverait la situation.

Le sida, le paludisme et la tuberculose tuent 15 000 personnes par jour. Mais ces personnes ne sont pas majoritairement blanches et elles vivent principalement au Sud. Nicolas Sarkozy peut donc se permettre de dire, comme il l’a fait lors du rendez-vous à l’Elysée avec les ONG, le mercredi 15 septembre, qu’il n’augmentera pas la contribution française au Fonds mondial. Il peut se contenter de vagues paroles, et non de réels engagements, sur les financements innovants. Il peut faire croire qu’un « triplement de volontaires » peut tenir lieu de politique de développement. Car ce ne sont pas des BlancHEs.

Ambassadeurs du néant

Le nouvel ambassadeur de la France sur les questions sida, Patrice Debré, a beaucoup d’idées : le Fonds doit mieux gérer son argent, pareil pour UNITAID, l’Europe devrait donner plus, il faut trouver des financements innovants. De bien belles réflexions qui n’ont qu’un seul but : masquer le fait que Nicolas Sarkozy ne tiendra pas ses promesses d’un accès universel aux traitements. Que peut dire Patrice Debré face à l’urgence à donner de l’argent, maintenant, au Fonds ? Les ruptures de traitement sur lesquelles nous alertent touTEs nos partenaires en Afrique, les besoins financiers nouveaux pour payer des examens de charge virale ou des médicaments de seconde ligne, ne montrent-ils pas à Patrice Debré que ses solutions n’en sont pas ? Ou alors il ne connaît pas la situation actuelle ?

Carla Bruni-Sarkozy, elle, est ambassadrice du Fonds mondial pour les femmes et les enfants. On aurait pu attendre d’elle qu’elle tire la sonnette d’alarme sur la situation de terrain qu’elle voit à chacune de ses visites. C’est en partie ce qu’elle a fait dans une tribune dans The Gardian, quelques jours avant le G8, où elle appelait les pays riches à augmenter leur contribution au Fonds. Mais quand il s’agit d’évoquer la politique française, le propos devient lamentable : « Je trouve que la France joue quand même pas mal son rôle », dit-elle aux associations le 22 avril dernier. Toujours cette histoire de podium des bacs à sable. « La France est le numéro 2 », dira le pharmacien de l’hôpital central de Yaounde pour consoler les malades qui viendront, et qui trouveront les étagères vides de tout médicament. Questions à Carla Bruni-Sarkozy : n’est-ce pas précisément parce que la France est unE des principaux/pales contributeurRICEs au Fonds qu’il faudrait qu’elle donne l’exemple et augmente sa contribution pour assurer la pérennité des programmes quand il manque 5 milliards de dollars ? Sait elle que Nicolas Sarkozy avait promis à Berlin, il y a deux ans, d’augmenter cette contribution en cas de besoin, et qu’il s’agit d’un nouveau mensonge, d’une nouvelle trahison ? Se rend-elle compte que le gel de la contribution française signifie qu’une mère va devoir choisir lequel de ses enfants elle va mettre sous traitements ? Carla Bruni-Sarkozy serat-elle là pour aider les mères dans ce genre de choix ?

Conclusion de l’histoire

La lutte contre le sida en Afrique, et dans les pays du sud, est une histoire de la lâcheté et du renoncement. Les gouvernantEs des pays riches auront attendu les années 2 000 pour commencer à payer des traitements partout dans le monde. Ils et elles rompent aujourd’hui leurs promesses, diminuent leurs efforts financiers, et remettent en cause les progrès des dernières années. Ils et elles ne peuvent pas ignorer que leur décision va tuer. Il s’agit bien d’un crime de masse, conscient, assumé. Quelle justice va poursuivre ces criminelLEs, et leurs complices ?

Dans dix, vingt, trente ans, de nouveLLEaux dirigeantEs des pays riches présenteront leurs excuses à l’Afrique et aux autres continents dévastés par leur politique. Ce sera sincère, beau et émouvant. Les discours seront prononcés par un groupe de huit personnes. Elles seront en costume ou en tailleur élégants. Elles parleront face à un cimetière de 30 206 704 km2, où on comptera plus d’un milliard de tombes.

S’il ne change pas sa politique maintenant, Sarkozy sera un des grandEs responsables de ce carnage. Il lui reste quelques semaines à peine pour contribuer à sauver le Fonds et assurer la pérennité et l’extension des programmes d’accès aux soins. Pourquoi ni lui, ni ses conseillerEs, ni Carla Bruni-Sarkozy, ni Bernard Kouchner n’entendent ils/elles pas raison ? Et pourquoi ne font-ils/elles pas ce qui est juste : donner l’exemple aux autres pays, augmenter radicalement sa contribution au Fonds, tenir ses promesses et sauver des vies ?