L’éradication est un vieux serpent de mer ; on y a cru, on en a beaucoup parlé, et ce sujet est tombé un peu dans l’oubli. Depuis quelques années des chercheurs s’y penchent à nouveau et l’éradication revient dans l’actualité.
Qu’entend-on par éradication ?
Il s’agit rien de moins que d’une rémission par élimination du VIH du corps humain. Il faut pour cela trouver de nouvelles voies de traitement qui rendront inutiles la continuation des traitements antirétroviraux actuels. D’emblée, disons-le, la route sera longue avant d’y arriver.
Tout d’abord, il faut répertorier toutes les voies qu’emprunte le VIH pour échapper aux traitements actuels dans l’organisme et tout particulièrement identifier les sites sanctuaires. Ces réservoirs, où le VIH réside sous forme latente dans les cellules infectées, sont les cellules que l’on pense être à l’origine de la reprise de la virémie en cas d’arrêt des trithérapies efficaces. Il faudra aussi identifier un ou des traitements capables de purger chacun de ces réservoirs. Au moins l’un d’entre eux, celui des lymphocytes dit mémoire qui sont au repos, est particulièrement bien étudié et constitue la cible des stratégies d’éradication actuelle.
Pourquoi insister sur l’importance de continuer les recherches pour trouver de nouveaux traitements d’éradication virale alors que les trithérapies sont efficaces ?
Les traitements actuels sont présentés par le corps médical comme bien tolérés et vantés comme une réussite qui tend à faire de l’infection à VIH une maladie ‘chronique’. Si cela est peut-être vrai pour beaucoup ou sur une période plus ou moins longue, la réalité au quotidien n’est pas la même. En effet, malgré l’arsenal thérapeutique anti-VIH mis à disposition, il existe tout un ensemble d’arguments plaidant en faveur de la recherche d’une alternative à ces traitements à vie :
– l’incidence des effets secondaires à court, moyen et long terme sur la qualité de vie reste très lourde ; – les interruptions de traitement qui peuvent parfois être nécessaires (morbidités conjointes par exemple) restent péjoratives comme l’indiquent plusieurs essais cliniques ;
– le risque d’induction de résistance en cas de mauvaise observance réduit à terme les possibilités de traitement ; – l’existence de virus résistants, en plus du fait qu’ils peuvent être transmis tels quels, rend nécessaire le développement de nouveaux médicaments et il n’est pas garanti que la mise à disposition de nouveaux traitements puisse continuer éternellement ;
– le coût des traitements, particulièrement celui des nouveaux antirétroviraux est de plus en plus important et les systèmes de santé ne garantiront sans doute pas leur remboursement dans l’avenir ; – le problème de l’accessibilité aux traitements est toujours aussi crucial pour certaines populations à l’échelon international, mais aussi national ;
– le VIH, même sous trithérapie efficace, est un facteur aggravant pour l’état de santé ; – enfin, malgré les mises en garde des associations de malades, les campagnes de prévention sont inopérantes pour endiguer l’épidémie.
Est-ce un objectif atteignable ?
Il est clair qu’en l’état actuel des connaissances sur les différents réservoirs où le VIH peut échapper aux traitements antirétroviraux et être occasionnellement réactivé pour relancer la virémie, aucune stratégie n’est en mesure, théoriquement, d’éradiquer le VIH de l’organisme humain. Néanmoins, grâce aux données accumulées sur les réservoirs à lymphocytes CD4 mémoire et à leur cinétique de renouvellement, il est envisageable de proposer des stratégies de traitement innovantes sur une courte durée qui pourraient permettre d’arrêter les traitements antirétroviraux classiques de façon durable sans reprise de virémie.
Il est fort vraisemblable que cette rémission ne sera pas synonyme de guérison et que, du fait de l’existence d’autres réservoirs non affectés, la virémie reprendra à terme. Cela montre au passage la nécessité de soutenir les recherches visant à mieux comprendre les mécanismes de sanctuarisation du VIH pour imaginer de les toucher tous afin d’endiguer la reprise de la virémie. Ceci pourrait alors déboucher sur une rémission de longue durée, voire une guérison si l’organisme était finalement purgé du VIH.
En bref, à défaut d’éradication, un objectif raisonnable serait pour le moment d’obtenir une période de rémission sans traitement antirétroviral. Plusieurs pistes sont actuellement à l’étude pour trouver de nouveaux types de traitement d’éradication. Sans rentrer dans les détails, il s’agit principalement de combiner des médicaments induisant une production de virus par des cellules infectées qui sont en sommeil dans des sanctuaires, pour aboutir à l’élimination physique de ces cellules contaminées (directement par le virus en provoquant une surcharge virale, ou par le biais des cellules immunitaires de l’organisme). Ces nouveaux traitements à l’étude doivent obligatoirement être combinés à une trithérapie efficace pour éviter la contamination de nouvelles cellules de l’organisme lors de la réactivation du VIH et de la production de virions par les cellules des réservoirs.
Quels sont les risques associés ?
Parce qu’il s’agit principalement de stratégies d’éradication ou de purge fondées initialement sur une réactivation du VIH, les risques de contamination d’autres cellules que celles visées dans les réservoirs doivent être contrôlés par une trithérapie efficace concomitante. Pour autant, la réactivation du VIH est fortement connotée d’un risque, puisque paradoxalement, alors que les trithérapies visent à juguler le VIH, les nouvelles stratégies impliquent de le faire s’exprimer de nouveau, du moins dans les cellules infectées de façon latente.
Comment se rassurer sur les risques potentiels ?
Certainement pas par les propos de certains investigateurs qui n’hésitent pas, devant leurs pairs, à parler de nous comme cobayes pour tester leur concept. Certes, dans toute recherche clinique visant à évaluer de nouveaux traitements, nous sommes effectivement des COBAYES, mais il est de notre devoir de continuer à mieux comprendre les enjeux et mécanismes de ces nouvelles stratégies pour faire en sorte que ne soient proposés que des protocoles cliniques où la part de risque est clairement discutée avec les représentants de malades. A ce sujet, il peut-être en partie rassurant de constater que plusieurs molécules évaluées dans ces stratégies d’éradication ont déjà été utilisées dans d’autres pathologies, notamment chez des personnes séropositives, ce qui permet déjà d’avoir une idée d’une partie des risques encourus.