Malgré de nombreuses condamnations la France continue de traiter ses prisonniers de façon dégradante. La loi de 2002 a introduit de l’humanité mais elle reste très peu appliqué.
Chaque année, plus d’une centaine de femmes et hommes meurent en prison de pathologies lourdes. Pourtant, il est admis que l’incarcération d’une personne gravement malade constitue un traitement inhumain et dégradant portant atteinte à sa dignité. La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs sanctionné la France sur ce fondement.
Dans un arrêt du 14 novembre 2002, elle a considéré que le maintien en détention d’un prisonnier atteint d’une leucémie portait atteinte à sa dignité et avait causé une souffrance allant au-delà de celle que comportent inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux, constituant de ce fait un traitement inhumain et dégradant. Sous la pression des associations et de la jurisprudence européenne, la loi Kouchner du 4 mars 2002 a institué la possibilité de suspendre la peine de personnes incarcérées atteintes de pathologies graves comme le sida. Initialement, seul l’état de santé du condamné devait être pris en compte par les juges pour décider d’une suspension de peine pour raison médicale. Mais la loi, déjà mal appliquée du fait d’expertises médicales tardives, du manque de structures d’hébergement spécialisées et d’un véritable engagement politique a été encore restreinte par une série de circulaires excluant du droit à la suspension les personnes susceptibles de troubler «l’ordre public ». Entre 2002 et 2006, seules 269 suspensions de peine ont été accordées (soit à peu près la moitié des demandes présentées) tandis que plus de 400 prisonnierEs mourraient en prison de maladie ou de vieillesse.
I- Conditions d’ocrtoi de la suspension de peine pour raison médicale
1- Suspension de peine pour raison médicale réservée aux seuls condamnés.
Selon les termes de la loi, la suspension de peine pour raison médicale vaut pour «les condamnés quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir ».
Pour les personnes placées en détention provisoire alors qu’elles sont malades, il est possible de saisir le juge des libertés et de la détention territorialement compétent et d’exercer un recours devant la chambre de l’instruction en cas de refus de mise en liberté.
2- Les conditions pathologiques d’octroi de la suspension de peine
a- La suspension de peine n’est octroyée que dans deux cas :
– Si le demandeur prouve qu’il est atteint d’une pathologie engageant son pronostic vital ou que son état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention.
– Tous les autres cas de prisonnierEs malades ne peuvent donner lieu à l’octroi de cette suspension de peine. Il est possible de demander un aménagement de peine en invoquant un état de santé incompatible avec la détention. L’hospitalisation en établissement de santé pour troubles mentaux ne donne pas droit à la suspension de peine pour raison médicale.
Attention : les termes de la loi sont extrêmement vagues sur l’état pathologique du prisonnier. Les notions comme « engager le pronostic vital » ou « état de santé durablement incompatible avec le maintien en détention » laissent libre champ à de nombreuses interprétations, donc à l’arbitraire et aux injustices.
b- La preuve par expertise médicale
Les médecins travaillant en prison, au sein des Unités de consultation et de soins ambulatoire (UCSA), ne sont pas compétents pour effectuer ces expertises. Il faut avoir recours à un médecin expert.
Difficultés:le délai d’exécution des demandes d’expertise est très long. Dans 25% des cas, le délai d’étude du dossier est supérieur à trois mois.
c- L’exigence de deux expertises médicales concordantes
La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales, distinctes et indépendantes, établissent de manière concordante que le pronostic vital du demandeur est engagé ou que son état de santé est incompatible avec la détention.
Attention : à ces deux expertises s’ajoutent trois expertises psychiatriques préalables s’il s’agit d’un condamné pour une infraction commise sur mineur de -15 ans.
3- Absence de risque grave de renouvellement de l’infraction
La loi du 12 décembre 2005 a réduit le champ d’application de la suspension de peine pour raison médicale en excluant les cas « où il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction ». l’appréciation de ce « risque grave » reste à la discrétion de la juridiction d’application des peines.
II- Procédure d’octroi d’une suspension de peine pour raisons médicales
1- Les juridictions à saisir
Si la peine privative de liberté est d’une durée inférieure ou égale à 10 ans ou que la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à 3 ans, alors il faut saisir le juge d’application des peines (JAP). Dans tous les autres cas, il faut saisir le tribunal d’application des peines. Après expertise médicale, le JAP, sauf situation d’urgence, saisit pour avis la commission d’application des peines et statue ensuite.
2- les personnes compétentes pour en faire la demande
Le juge est saisi par le prisonnier malade (ou son avocat), par le médecin de l’UCSA ou par le procureur de la République ; il peut également se saisir d’office. Mais, toutes les personnes travaillant aux côtés de prisonniers malades peuvent et doivent effectuer des signalements : les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), les travailleurs sociaux, les membres d’associations, le personnel pénitentiaire, en particulier le personnel soignant.
3- La décision d’octroi de la suspension de peine pour raison médicale
Le prisonnier qui obtient la suspension de peine pour raison médicale peut être soumis à diverses obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal.
– Le JAP peut prévoir une assignation à résidence, un placement dans un établissement de soins, etc. Il ne peut pas décider au préalable de la durée de la suspension de peine.
– À tout moment, le JAP peut ordonner une expertise médicale afin de s’assurer que la personne remplit toujours les conditions d’octroi de la suspension de peine pour raison médicale.
– Le JAP peut prévoir une assignation à résidence, un placement dans un établissement de soins, etc. Il ne peut pas décider au préalable de la durée de la suspension de peine. L’article 720-1 du CPP est très claire, la suspension est ordonnée « pour une durée qui n’a pas à être déterminée ».
– Le JAP «peut à tout moment ordonner une expertise médicale à l’égard d’un condamné ayant bénéficié d’une mesure de suspension de peine et ordonner qu’il y soit mis fin si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies». Pour cela, il doit nommer deux nouveaux experts chargés de se prononcer sur le pronostic vital du détenu. La suspension de peine n’annule donc pas la peine, mais la suspend jusqu’à ce que le JAP
décide d’une nouvelle expertise médicale.
Attention : tous les six mois, une nouvelle expertise médicale est obligatoire pour les personnes ayant été condamnées pour un crime.
4- les voies de recours ouvertes en cas de refus d’octroi d’une suspension de peine
Par l’intermédiaire d’un avocat, il est possible d’interjeter appel devant la chambre d’application des peines dans les 10 jours suivant la notification de refus du JAP ou du TAP.
À retenir :
Il est à noter que la suspension de peine pour raison médicale est très difficile à obtenir compte tenu du durcissement des lois, du manque de volonté des acteurs impliqués mais également en raison de l’insuffisance du nombre d’experts médicaux et des difficultés à trouver un hébergement dans une structure adaptée.
Pour Act Up-Paris, il est urgent de mettre en place des formations pour :
– les juges d’application des peines afin qu’ils puissent mieux évaluer l’état de santé décrit ;
– les médecins-experts pour les sensibiliser à la réalité des conditions de détention pathogènes et des dysfonctionnements du système de soins carcéral ;
– toutes les personnes concernées amenées à effectuer des signalements de prisonniers malades.