Fabrice Olivet, président d’Asud, raconte la relation passionnelle et passionnante entre Act Up et l’association des usagers de drogue.
«Act Up-Paris et les drogues, Act Up et les «toxs» comme ils disent. Les homos d’Act Up et leur putain de relation avec les camés d’Asud. Voilà un vrai sujet.
Pas évident pour les pédés et les «tox» de faire copain copain. Les clichés ont la vie dure: les pédés qui draguent les tox, réputés marchandises monnayables, dans les jardins publics. Les tox qui les agressent pour les dépouiller. Il y a aussi le traitement médiatique du sida. Le Comité des familles – Survivre au sida de Reda Sadki en a fait son cheval de bataille en dénonçant les homosexuels qui meurent du sida dans la communion et les paillettes du Sidaction pendant que les toxs, souvent issus de l’immigration, agonisent dans l’indifférence générale.
Mais des ponts ont été jetés. D’abord la condition de «personne concernée par le VIH» partagée entre les deux populations, a créé de vraies solidarités. Souvent il m’arrive de rappeler aux «camarades toxicomanes», que le sida aurait eu de beaux jours devant lui s’il n’avait décimé que des drogués ou des «mal blanchis ».
Reste qu’Act Up-Paris est un truc bizarre, à la fois entrepreneur évènementiel bluffant et insupportable donneur de leçon. 1997, Philippe Mangeot déclare « j’aime l’extasy » à qui veut l’entendre. Il est condamné pour incitation. Chapeau bas. Depuis, personne n’a eu le cran de braver la loi avec le panache de ce prof de philo. Enthousiastes, on propose de fonder un collectif, avec Asud, le Circ, Aides, La ligue des Droits de l’homme et les Verts. On se prend la tête pour le nom avant de se mettre d’accord sur Cal 70, Collectif pour l’abrogation de la loi de 70. On monte une manif, la première du genre. Résultat, les actupiens nous sortent la toxipride.
On est là au coeur des ambiguïtés de la vision actupienne de l’usage des drogues. Tout le monde fut horrifié par le recyclage de ce mot détesté, «toxicomane». Fier d’être «toxico», quelle connerie! La toxicomanie est un concept pseudo scientifique stigmatisant, bricolé sur mesure par la clinique franco-française. Pas de quoi avoir honte mais pas vraiment de quoi être fier non plus. On a aligné les « toxs» sur les gays: tous victimes de leur plaisir interdit. Les injecteurs d’héroïne prennent leur pied en se shootant? Qu’on leur donne des seringues, comme des capotes pour les gays, et qu’ils s’organisent. Et nous, Asud, nous étions l’association des toxs. Sauf que ça marche pas du tout comme ça. Les drogues ce n’est pas une affaire de communauté. Ça n’existe pas la tribu des toxs qui s’injectent de l’héroïne pour prendre leur pied. Et puis les gays people et les toxs people qui se tiennent les coudes en disant «on est fiers». Bullshit !!!
Cette histoire de Toxipride m’avait tellement mis en colère que cela m’a fait gambergé une décennie sur la question communautaire chez les usagers de drogues. La consommation de drogue, d’alcool, de psychotrope obéit-elle à une logique universelle? Sontelles inhérentes à l’homme? Depuis je doute un peu. Les véritables abuseurs, les vrais chépers, les gros junks, les pochtrons confirmés ne sont pas légions. Peut-être se reconnaît- on entre nous, aux cicatrices qui décorent notre psychisme. Finalement il n’y a pas que du faux dans ces histoires de tribus. Ils n’avaient pas forcément torts, les camarades. En fait pour une association comme Asud, Act Up-Paris fait office à la fois de poil à gratter (et c’est très irritant) et de pourvoyeur d’idées. Nos états généraux, par exemple, encore une idée d’Act Up-Paris. Ils sont venus nous voir pour nous expliquer que les traitements de substitution ne pouvaient pas se mettre en place sans les usagers. On a donc fait les premiers Etats généraux des usagers de substitution en 2004. Le rendez-vous est devenu annuel.
Les épisodes sur le mode, je t’aime, moi non plus sont légion. La 8e Conférence internationale de réduction des risques de Paris, où quelques Asudiens ensommeillés ont fait un «die in» par exemple ou le saccage par Clews Vellay du stand de l’Agence française de lutte contre le sida, à Berlin en 1993. Il jette en même temps les pauvres journaux d’Asud: «Eh connard tu te prends pour qui?» Et l’autre hystérique qui me répond qu’il va crever, que tous ses copains sont morts, et qu’il est en colère. Mais tu sais à qui tu parles grand? Non. Visiblement il ne savait pas et il s’en foutait. Et puis il y a ses formules: «Act Up-Paris exige!» Exige quoi? Non mais, ça va les chevilles ?
Bref, ils sont chiantissimes les copains, pardon les copines d’Act Up, mais tout bien pesé ils méritent plus de « je t’aime» que de «moi non plus». D’ailleurs c’est simple ils ont fini par choisir une asudienne comme co-présidente et depuis on est reparti dans un autre délire, «Salle de consommation à Paris » ça s’appelle.»