Cette dix septième CROI n’est certes pas la conférence des annonces tonitruantes. Mais c’est une conférence très riche en résultats dans tous les domaines. Le dynamisme de la recherche américaine, boosté par les plans de développement qui se succèdent y est certainement pour beaucoup. Pour autant, la contribution étrangère et notamment européenne y est très nettement visible comme en témoigne la plénière de ce matin où Hans-Georg Kräusslich de l’université de Heidelberg (Allemagne) y a présenté les dernières avancées de son groupe sur l’assemblage et la maturation des virus. Mais il ne se discute pas que de la science fondamentale à San Francisco.
Les ministres et les politiques passent, les scientifiques restent
C’est par ces mots que le président de la conférence a présenté l’indéboulonnable et sémillant directeur de l’institut des maladies infectieuses américain, Antony Fauci, en place depuis 1984. Vedette de la recherche sur le sida depuis de nombreuses années, Antony Fauci est très à l’écoute des associatifs et activistes après avoir été leur cible privilégiée. Sa tâche en ouverture de la conférence est cette année des plus aisées : tracer les grandes lignes du programme de recherche publique américain. Quand cette allocution suit l’annonce il y a quelques jours du discours de Barrak Obama qui affirmait vouloir faire de la lutte contre le sida une de ses priorités, on imagine bien qu’il lui a suffi de dérouler ses rêves les plus fous pour caresser dans le sens du poil une audience toute réjouie. De la recherche clinique à la quête d’un vaccin, tout y est. Mais le directeur du NIAID a surtout insisté sur la nécessité urgente d’un impérieux travail sur la prévention et particulièrement sur le développement des outils de prévention, incluant des recherches plus audacieuses de l’utilisation des antirétroviraux en prévention dans toutes les directions. En l’écoutant, on se plait alors à rêver d’un état qui s’intéresse à la lutte contre le sida…
Ne pas oublier le C de PMTCT
En plénière, ce matin, Elaine Abrams (Ecole Mailman de santé publique de New-York) nous a brossé le tableau de la transmission mère-enfant et de sa prévention en mettant avant tout l’accent sur la question des enfants, le C de PMTCT, Prévention of mother to child transmission. Elle a non seulement mis en lumière les insuffisances des stratégies actuelles qui, lorsqu’elles échouent, transmettent le plus souvent les résistances des traitements utilisés aux enfants contaminés, mais elle a aussi parlé de l’insuffisance drastique à implémenter ces techniques améliorées là où elles sont le plus nécessaires, dans les pays à faible ressource où l’on trouve le plus de cas. La chercheuse a aussi souligné les récents résultats ayant montré qu’il faut traiter les nouveaux nés le plus tôt possible et a insisté sur une des questions les plus problématiques en la matière : la cruelle absence de formulation pédiatriques des antirétroviraux, un développement hélas totalement négligé par cupidité aveugle de la plupart des industriels de la pharmacie.
Tester plus pour protéger plus
Une grande série de présentations orales était consacrée ce matin au développement de l’usage des tests de dépistage et des comportements associés à leur usage ou non. Outre la brillante présentation de l’InVS (Stephane Le Vu) sur les résultats français de mesure de l’incidence, cette session a permis de comprendre à quel point le recours au test et la connaissance du statut sérologique n’ont absolument pas le même visage sur toute la planète. Ainsi, dans une étude africaine sur des couples sérodifférents, on constate qu’à peine plus de 5% des partenaires dans un tel couple connaissent simultanément tous les deux leur statut et que l’usage systématique du préservatif n’est guère plus élevé chez ceux qui ne connaissent pas ce statut. Quelques résultats de la cohorte hollandaise gay ont suscité de nombreuses questions mettant en évidence qu’ils n’étudient ni l’incidence des IST ni l’usage des traitements en prévention. Enfin, une étonnante étude sur des HSH travailleurs du sexe kenyans montre que nombre d’entre eux ont aussi des relations sexuelles avec des femmes et que leur niveau de protection dépend de la durée des relations entretenues, ce qui isole assez bien la transmission du VIH entre leurs partenaires payants et les autres.
Fièvre des tropiques
Dans la série des discussions thématiques, la nouveauté de la CROI 2010, un des thèmes du jour a réuni pour une discussion passionnante et passionnée cliniciens et virologues autour du développement des tests de tropisme. Le tropisme du virus est sa capacité à utiliser soit un co-récepteur CCR5 soit un CXCR4 pour pénétrer les lymphocytes qu’il tente d’infecter. Or depuis que la pharmacopée compte des inhibiteurs de CCR5, il est nécessaire de connaître le tropisme des virus de la personne à laquelle on veut proposer un tel traitement. Mais les tests actuels, phénotypiques, sont chers, prennent beaucoup de temps et donnent parfois des résultats erronés. De plus, si l’on veut proposer un tel traitement à quelqu’un qui a une charge virale indétectable, ces tests ne fonctionnent pas. D’où l’idée de développer des tests génotypiques. Ce sont des analyses de la partie du génome du virus qui code pour la protéine où se trouve le site de fixation des co-récepteurs, la boucle V3 de la protéine d’enveloppe, gp120. Si cette technique donne de réels espoirs d’être beaucoup plus précise et juste, elle demandera encore pas mal de mise au point. La discussion du jour ressemblait fort à celles de la fin des années 90, alors que les premiers tests de résistances commençaient à apparaître et à poser d’infinis questionnements aux cliniciens. On ne peut s’empêcher de se souvenir que les Français ont entamé cette discussion depuis longtemps mais que l’issue pourrait se perdre dans la boite à discussions byzantines de la HAS et n’en ressortir que lorsque le monde entier les aura adoptés.