L’impression qui ressort de plus en plus de cette conférence est qu’elle se situe désormais pleinement dans une nouvelle ère de la recherche sur le sida. Après la longue époque des traitements antirétroviraux, des résistances, des effets secondaires et des complications, la dominante est maintenant pleinement à la suite de l’histoire : éradication, prévention, contrôle immunitaire et enjeux sociopolitiques occupent un terrain jadis relégué à quelques brèves interventions quelque peu ésotériques des éditions précédentes. Non pas que le quotidien des personnes vivant avec le VIH ne soit plus à l’ordre du jour, mais la recherche qui se doit d’anticiper, aborde maintenant le temps d’après où tout reste à découvrir.
Black is not beautiful
Il ne fait pas bon être noir aux Etats-Unis. C’est sans doute le résumé le plus simple de la remarquable présentation de Kimberly Smith (Université de Chicago) qui faisait l’ouverture de cette troisième journée de conférence. Un résumé qui semble presque aller de soi. Mais la chercheuse américaine a conduit les congressistes en majorité américains en face de leur réalité. Avec beaucoup de conviction mais aussi d’éléments de démonstration scientifique, elle a montré que si les séropositifs parmi les 12% de noirs américains représentent 48% des personnes vivant avec le VIH, c’est qu’il existe un contexte ayant conduit dans ce qui semble une impasse. L’inégalité de prise en charge, de retard au dépistage, d’entrée dans les traitements et même de mortalité traduisent bien celle de la discrimination dans la société nord américaine. L’épidémie chez les afro-américains est telle que dans certains endroits des Etats-Unis, la prévalence atteint et même dépasse celle des pays d’Afrique subsaharienne. Alors que les nombreuses études citées montrent qu’il n’y a pas de différence de principe avec la population blanche, c’est le contexte qui finit par être, pour les noirs, le principal facteur de risque. Face à cette situation, il n’existe pas de solution miracle. C’est pourquoi, la chercheuse propose des campagnes médiatiques, une meilleure éducation des jeunes, le développement du dépistage, l’utilisation précoce des traitements, voire des PrEP, en mettant l’accent particulièrement sur la population carcérale où les noirs sont fortement sur-représentés, « plus qu’en Afrique du sud à l’époque de l’apartheid », souligne-t-elle.
En entendant ces propos, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la situation des migrants en Europe, en particulier en France. Un rappel cinglant des propos sans cesse tenus depuis le début de la pandémie sur le défi aux droits de l’Homme que représente la lutte contre le sida.
la planète des singes
Guido Silvestri nous a ensuite emmené du côté des études et des modèles d’infection des singes. On sait depuis longtemps qu’il existe deux types d’infection par le virus simien, le SIV. D’un côté celle représentée par les Sooty Mangabey, qui se transmettent depuis des temps immémoriaux une infection par le SIV qui ne les rend plus malades même si leur virus se réplique à très fort taux, et d’un autre côté il y a l’infection des macaques Rhesus, infectés « artificiellement » (les premiers l’ont été en laboratoire au début des années 80) qui développent une infection comparable à celle des humains. Son travail consiste depuis longtemps à comparer ces deux types d’infection afin de comprendre ce qui fait la différence, c’est-à-dire ce qui permet aux Sooty Mangabey de résister aux assauts du SIV. Les résultats récents de ce travail permettent de mieux comprendre un des phénomènes essentiels lié à l’infection humaine qui existe aussi chez les macaques Rhesus, l’état inflammatoire chronique qui suit la phase de primo-infection. Les singes qui résistent réussissent en fait, contrairement aux autres, à contrôler l’inflammation après la phase aigue de la maladie et à réduire au calme leur immunité. Il reste encore énormément de travail pour comprendre les mécanismes de ce contrôle mais les premiers résultats montrent que sont en jeu l’expression des récepteurs CD4 et surtout CCR5, fortement réduite, alors que les cellules qui les expriment se comportent de manière efficace. Les premières conclusions relatives aux observations chez les humains portent donc sur ces récepteurs. Il s’agit en effet de comprendre si l’inhibition des récepteurs CCR5, récemment devenue possible avec l’apparition de médicaments anti-CCR5 dans la panoplie des antirétroviraux, n’aurait pas seulement comme fonction thérapeutique de protéger les lymphocytes T CD4 de l’infection par le VIH. Et justement, depuis le début de l’utilisation de ces molécules, les cliniciens observent de nombreux effets dans le champ de l’immunologie, inexpliqués pour l’instant. Une manière de voir que l’histoire thérapeutique est loin d’être terminée.
TasP, un concept en pleine expansion
Le contenu de la session 24 se résume facilement dans cet acronyme destiné à un brillant avenir si l’on se fie à la place de plus en plus importante que ce sujet occupe dans les conférences :Treatment as prevention.
Parmi les sujets traités, il faut remarquer la suite de l’histoire entamée il y a plusieurs années par l’équipe de Gerardo Garcia-Lerma du CDC (Atlanta) qui étudie les traitements prophylactiques pré-exposition chez les macaques, autrement dit, les PrEP. La livraison de cette année explore un peu plus avant les solutions de PrEP intermittentes, notamment en testant l’emploi d’une nouvelle formule de tenofovir, le GS7340, une prodrogue adaptée à l’usage en PrEP pour améliorer sa diffusion et permettre un usage très anticipé. L’équipe a cherché à isoler les différentes prises de médicament préalablement testées en prophylaxie intermittente. Il s’agissait donc de voir si l’usage de la seule prise préalable à l’exposition au virus suffisait à protéger. La réponse, quels que soient les tests est non, prouvant ainsi que la prise de médicament qui suit de près l’exposition au risque est indispensable pour assurer la protection dans cette technique. De plus, il semble que le FTC ajouté au tenofovir lors de l’utilisation de la combinaison joue aussi un rôle essentiel dans le succès des cette formule de PrEP. Dans la même session, plusieurs présentations proposent les résultats préliminaires de l’usage de maraviroc en PrEP avec un intérêt certain.
Le chercheur canadien Julio Montaner qui s’est rendu célèbre par ses prises de position sur l’intérêt de traiter les séropositifs à visée thérapeutique pour réduire la transmission a conclu cette session par les premiers résultats de son étude observationnelle en Colombie Britannique. Il conclue sans grande démonstration que la mise en route des traitements antirétroviraux actifs a eu pour effet une réduction des contaminations dans cette province canadienne.
Génétique, vous avez dit génétique ?
Parmi les domaines en pointe depuis quelques années, la génomique permet une recherche systématique des variations génétiques dans le génome humain qui permettent d’expliquer les différences de réponse à l’infection par le VIH chez les personnes contaminées. Le grand thème actuel est la variabilité des protéines de la reconnaissance du soi dans le système immunitaire, appelées HLA. Certaines variations de ces protéines confèrent à leur porteur une meilleure efficacité des cellules immunitaires qui se traduit par un contrôle plus ou moins efficace de la charge virale et donc de la préservation de l’immunité. Une des discussions thématiques du jour était consacrée à ce thème et a permis non seulement aux orateurs sélectionnés de partager leurs résultats mais aussi au président de séance de nous proposer un état des lieux des connaissances sur la variabilité des molécules HLA et du contrôle qu’elles confèrent. C’est un sujet que nous aurons certainement encore l’occasion de réaborder.
Pour les anglophones
Toutes les sessions de la CROI peuvent être suivies grâce à un système de mise en ligne de grande qualité disponible sur le site de la conférence. En particulier, ce jeudi se terminait par un symposium intitulé « Challenges in HIV Prevention » qui mérite de s’y arrêter, particulièrement la dernière présentation de Ronald Bayer sur l’impact et la légitimité de l’exceptionnalisme du sida.