Comment j’ai fait passer un plan de lutte contre le sida au rabais au nom de la démocratie sanitaire.
Nous avons enfin pu nous procurer les recommandations que la ministre de la Santé a envoyées à son administration, au printemps 2009, alors que s’ouvrait, enfin, la consultation pour l’élaboration du plan pluriannuel
de lutte contre le VIH – toujours pas finalisé en juin 2010 alors que le précédent plan prenait fin en décembre… 2008.
Un an après, Act Up-Paris peut confirmer que ces recommandations ont été bien suivies :
« L’essentiel est d’entretenir l’illusion d’une consultation. Parce que, ils sont bien gentils ces gens qui bossent sur le terrain, directement concernés, à nous dire ce qu’il faudrait faire, à vouloir des salles de consommation de drogues, à beugler contre la précarité des malades, à vouloir qu’on sorte les prisonniers malades comme le prévoit la loi, et autres fadaises. Mais c’est moi qui me tape les conseils des ministres !
Le courage politique, j’ai donné, c’est bon, je l’ai eu pendant quelques semaines au moment du vote du PaCS, c’est comme ça que je suis devenue célèbre. Mais aller dire à Sarkozy, Woerth ou MAM qu’il faut arrêter de réprimer les putes ou taxer l’industrie pharmaceutique… Non merci, mon mandat et ma carrière ne valent pas cela. Plutôt filer 1 euro de plus aux médecins généralistes et augmenter les franchises médicales !
Donc, il faut faire croire qu’on consulte ces gens. Vous les convoquerez avec 6 mois de retard – vous trouverez bien une excuse, le manque de personnel, ou un truc du genre. Vous donnerez aux personnes présentes un
délai intenable – sans trop leur montrer que leur avis ne compte pas, vu que quelle que soit l’avancée des travaux, je communiquerai selon mon idée. L’idée est de les convoquer à des réunions thématiques pendant des mois, et des mois, sans aucun moyen logistique ou financier : comme ça, seules les associations, essentiellement parisiennes et dotées de moyens suffisants, pourront tout suivre. Surtout pas de malades bénévoles, ils ne sont pas assez professionnels ! Demandez-leur de faire le boulot à votre place. Ne proposez aucune méthode de travail, faites leur faire les compte-rendus des séances. Convoquez les personnes qui nous emmerdent le plus deux heures avant la réunion, et si elles ne peuvent pas se libérer, faites l’étonné :‘’comment ? Vous n’aviez pas reçu la convocation ? Vous n’avez pas pu vous libérer ? Mais quel dommaaage ! ‘’
Et puis, s’il y a trop de débat, je trancherai. Sur la prévention chez les personnes homosexuelles, par exemple, j’ai un rapport de derrière les fagots, d’un Pialloux et d’une Lert, que je sortirai au bon moment (c’est bien en décembre, la journée du sida ?). S’il y a trop de discussions entre associations, je sortirai donc mes scientifiques : à quoi ça sert, ces longs débats entre associations, vu que des chercheurs savent déjà tout ?
De toutes manières, il vous suffira de laisser pendant des mois et des mois les personnes qui auront bossé là-dessus sans nouvelles en leur disant que leurs travaux sont ‘en cours d’arbitrage’. À ce stade-là, tout le monde sera convaincu que le futur plan est le fruit d’une réelle consultation.
Que vive la démocratie sanitaire ! »