Ce mercredi à 18h15, la mission d’information parlementaire sur la toxicomanie auditionne Marc Moinard, expert auprès de l’Organisation Internationale de Contrôle des Stupéfiants (OICS). A cette occasion, le collectif du 19 mai tient à clarifier la position négative de l’OICS sur les centres d’injection supervisée, principal argument contre les centres d’injection supervisée avancé par la MILDT et l’Académie de médecine.
Établi en 1968, l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS) est un organe de contrôle indépendant chargé de surveiller l’application des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues. C’est une unité administrative du Programme des Nations Unies pour le Contrôle International des Drogues (PNUCID). Composé de 13 membres dont seulement trois sont des professionnels du soin, et d’autres viennent de pays encore éloignés de la démocratie, dont l’Iran, la Chine, la Thaïlande, l’Indonésie, l’OICS s’est souvent montré réticent au regard de la réduction des risques. Son avis de 1999 en fait le seul organisme à interpréter ces conventions comme limitatives à l’établissement de SIS. Cet avis, multipliant l’emploi du conditionnel et procédant d’un raisonnement par analogie aussi peu juridique que scientifique, a de plus varié sur le motif évoqué : en 1999, c’est la convention de 88 qui est évoquée, en 2003, c’est celle de 1961!
Or dans les conventions internationales relatives aux stupéfiants [[On trouve les textes en français de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, du Protocole de 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, de la Convention sur les substances psychotropes de 1971 sur un site juridique du gouvernement de la Suisse, http://www.admin.ch/ch/f/rs/0.81.html ; et celui de la Convention (de Vienne) contre le trafic illicite des stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, http://www.incb.org/pdf/f/conv/convention_1988_fr.pdf.]] de 1961, 1971 et 1988, qui codifient les engagements des États membres de l’ONU pour contrôler l’offre et la demande, aucune ne fait mention de salles d’injection supervisées, ni d’autres types particuliers de mesures de réduction des risques (comme les programmes de substitution à la méthadone ou les échanges de seringues).
De plus, en 2002, sur demande de l’OICS, la section des affaires légales du PNUCID rend un avis juridique [[United Nations Office of Drugs and Crime Legal Opinion that Harm Reduction Measures Do Not Violate UN Treaties – Prepared for the Internation Narcotics Control Board 2002, https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=explorer&chrome=true&srcid=0B38clYNxRm2jNWQyYWYxZmUtODEzZS00NmRiLWFlN2ItOWM2ZDEzYjU1YTdh&hl=fr
]] qui précise qu’« il est difficile d’affirmer qu’établir des SIS corresponde à l’intention d’inciter, d’induire, d’aider ou de faciliter la consommation ou même la possession de drogues illégales ». Les auteurs précisent que si ces actions peuvent paraître insuffisantes d’un point de vue de « réduction de la demande », elles ne constituent pas une intention d’inciter à la commission d’un crime tel que stipulé dans la Convention de 1988. « L’intention des gouvernements est de fournir des conditions plus favorables à la santé pour ceux qui abusent des drogues, de réduire les risques d’infection par des maladies transmissibles et d’offrir des services d’assistance psychosociale et d’autres options de traitement ». Et cela en accord avec l’article 38, 1° de la convention de 1961 qui oblige les États à prendre « toutes les mesures possibles pour prévenir [l’usage] et pour assurer le prompt dépistage, le traitement, l’éducation, la postcure, la réadaptation et la réintégration sociale des personnes intéressées ».
C’est dans le même sens que des avis juridiques suisses [[Bertil, C., Sychold, M. (2000) Use of Narcotic Drugs in public injecting rooms under
Public International Law – AVIS 99-121c. Swiss Institute of Comparative Law, p. 6.]], allemands [[Hedrich, D. (2004) European report on drug consumption rooms. Luxembourg,
European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, 96 p.]] concluent que les SIS ne violent pas les traités internationaux.
L’OICS ne s’intéresse pas aux autres priorités de l’ONU telles que la lutte contre la pandémie VIH et la réduction de risques. Il a pris de nombreuses positions contre la réduction des risques ou cautionnant des politiques mortelles pour les usagers de drogues. Par exemple, en 2006, la proposition d’une reclassification de la buprénorphine sur la liste des stupéfiants, proposition rejetée par le comité d’experts sur la dépendance aux drogues de l’OMS en raison des bénéfices reconnus de la buprénorphine en termes de prévention du VIH et de réduction de la mortalité associée aux drogues [[ECDD. Buprenorphine (final decision). Geneva, World Health Organization, 2006]]. Dérogeant aux missions et principes édictés par la convention de 1961 [[Csete J, Wolfe D. « Progress or backsliding on HIV and illicit drugs in 2008 ? », Lancet, 2008, 371, 9627, 1820-1]], il ne s’est opposé ni à la Russie où buprénorphine et méthadone sont considérées comme illégales, ni aux méthodes de traitement de pays qui incluent l’incarcération, les travaux forcés voire les électrochocs ou la lobotomie. Enfin, au cours de la « guerre aux drogues » menée par la Thaïlande en 2003, durant laquelle plus de 2500 usagers de drogue ont trouvé la mort et 50000 ont été incarcérés, l’OICS n’a pas hésité à exprimer sa confiance envers le gouvernement thaïlandais, l’encourageant à continuer ses « recherches » en termes de lutte contre la toxicomanie, estimant qu’elles auraient permis de diminuer la consommation de méthamphétamine.
Alors que l’efficacité des approches intégrant une palette variée de réponse, prévention, soins et RDR, est désormais prouvée scientifiquement, l’OICS apparaît ainsi comme uniquement centré sur les approches répressives. Il est étonnant et inquiétant de le voir élevé au rang d’avis absolu par le président de la MILDT et par l’Académie de Médecine !