Aujourd’hui, de nombreux médias [[Paris Match du 28/02/2011, 20minutes du 23/02/2011, Le Parisien 14/02/2001]] alertent sur « le retour du crack dans la capitale ». Or, loin d’être un phénomène nouveau, la course-poursuite policière contre les scènes ouvertes de crack n’a jamais cessé entre le nord-est parisien et la Seine-Saint-Denis. Malgré son échec, cette stratégie répressive continue à être conduite au mépris de la santé des consommateurs et de la tranquillité des riverains.
Ce scénario absurde et cynique se répète, depuis l’apparition du crack en 1991 aux alentours de la place Stalingrad : création d’une scène ouverte de consommation, plaintes des habitants et commerçants, alerte donnée par un coup de projecteur médiatique et réaction des décideurs pour montrer qu’ils font ce qu’il faut, envoi de cars de CRS pour une dispersion du lieu de consommation… qui se reforme un peu plus loin avant de revenir, évacuation après évacuation, à son point de départ. Cet effet de déplacement, dit effet « lit à eau » est pourtant bien connu. Quand on chasse une scène ouverte sans autre solution, elle va ailleurs, parfois à quelques centaines de mètres.
De Stalingrad à Stalingrad, en 20 ans, rien n’a changé, et c’est peu dire que le « plan Crack » qui devait s’attaquer à ce problème n’a donné aucun résultat :
ni la tranquillité des riverains, ni l’état l’état sanitaire et social des usagers ne se sont améliorés ; 85% n’ont pas de logement stable [[Swaps N44 – Le Crack selon l’enquete Coquelicot – http://www.pistes.fr/swaps/44_62.htm]], 80% sont sans emploi, 49% connaissent des troubles psychologiques, 72% sont contaminés par le VHC, et 81% ont connu la prison au cours de leur vie.
Ce désastre sanitaire et urbain n’a pourtant pas infléchi l’obstination de la préfecture, qui persiste dans une politique stérile. Elle a cantonné les acteurs socio-sanitaires dans un rôle de caution du dispositif répressif, leur déniant les moyens d’accompagner des usagers qui, ne pouvant consommer dans une structure adaptée, continuent de le faire dans les rues adjacentes. Les habitants et commerçants en sont ulcérés.
La police, contrainte par la politique du chiffre, se désintéresse des gros dealers et traque les consommateurs, plus faciles et rentables, les éloignant plus encore du système de soin. Les collectivités locales, qui ont la connaissance du terrain, mais pas les compétences de maintien de l’ordre ni de la réduction des risques, sont impuissantes.
Repenser complètement la stratégie
Il y a pourtant des solutions pour sortir de l’impasse en nous inspirant là encore des expériences des villes européennes.
Par exemple, il y a cinq ans, les 4 plus grosses villes des Pays-Bas (Amsterdam, Rotterdam, La Haie, Utrecht) ont adopté une approche des drogues dite « intégrée [[IDPC : The Dutch treatment and social support system for drug users – http://www.idpc.net/fr/node/1284]] », mettant en place une coordination de tous les acteurs travaillant avec les usagers en grande précarité (services sociales et sanitaires, municipalité, police, justice), et se concentrant sur les problèmes d’ordre public autant que sur l’amélioration du dispositif d’accompagnement.
Ils ont ouvert des logements sociaux et des programmes d’hébergement adaptés (programmes connus sous le nom d’« Housing first »), des programmes d’insertion sociale ainsi que des salles de consommation pour les usagers de crack.
La police s’est concentrée sur les gros dealers. Les usagers qui sont pris à consommer dans la rue, risquent une amende, voire d’être interdits de territoire, mais sont surtout orientés vers les travailleurs sociaux des salles de consommations. Cette politique pragmatique incluant toute l’échelle de la réduction des risques et de l’accompagnement au soin a été un succès pour les usagers comme pour la communauté. Il y a aujourd’hui très peu d’usagers qui consomment dans la rue et peu de problèmes d’ordre public.
Les usagers se sont petit à petit stabilisés et sont sortis en partie de la grande précarité. Les taux de décès par overdose, ou de contaminations par les virus VHC/VIH sont très bas (par exemple, il n’y a eu aucun cas de contamination VHC en 2008 à Amsterdam).
Cette approche intégrée est exportable au contexte parisien pourvu que les différents acteurs acceptent de sortir de leur logique cloisonnée. Pour cela, il faut ressusciter la politique de la ville et renforcer les capacités d’intervention et d’expérimentation des collectivités territoriales, il faut créer des outils innovants comme les salles de consommation, des programmes de logements et d’insertion adaptés. Il faut aussi une véritable volonté politique, pragmatique, qui cherche à résoudre les problèmes des citoyens, et non à défendre une idéologie.