La mission parlementaire de l’Assemblée nationale sur la prostitution a rendu son rapport. Sa présidente, Danièle Bousquet (PS) s’allie à l’UMP pour préconiser la pénalisation des clients. Derrière ce projet se déploie une vaste entreprise de prohibition de la prostitution, digne d’une croisade morale de l’ère victorienne.
Comme pour l’interdiction du racolage passif, les intentions sont louables : lutte contre la traite des êtres humains et préoccupation pour la dignité des femmes.
Examinons la réalité : la mission parlementaire vient de se résigner à une première évaluation des effets de la répression du racolage courant 2012, soit neuf ans après sa mise en œuvre. C’est bien les effets sur la visibilité de la prostitution qui vont être jaugés et non les conséquences de cette loi sur la santé et les droits des travailleurs et travailleuses sexuels.
L’invisibilité de la prostitution signifierait-elle sa disparition ? Bien au contraire, l’invisibilité est symptomatique d’un renforcement de la clandestinité et de la précarité des prostituéEs. La pénalisation du client dégradera encore plus leurs conditions de travail.
Moins de capotes, plus de harcèlement policier
Les travailleurs et travailleuses du sexe devront trouver des endroits plus discrets afin que leurs clients ne soient pas inquiétés. Ils et elles s’éloigneront ainsi des structures de prévention et de soins.
Par ailleurs, imposer le préservatif sera encore plus difficile dans de telles conditions.
Les conséquences concrètes seront une reprise des contaminations au VIH et autres infections sexuellement transmissibles, plus de harcèlement policier, encore plus de difficultés à faire reconnaître leurs droits et à porter plainte en cas de violence et une fuite vers les pays voisins.
Créer une nouvelle infraction conduira aussi les travailleurs et travailleuses du sexe à avoir recours à des intermédiaires pour chercher des clients. Ces intermédiaires portent le nom bien connu de proxénètes. Ces criminels trouveront des alternatives à la rue pour faire travailler les femmes sous leur coupe et elles seront totalement coupées des associations socio-sanitaires.
Les réseaux mafieux seront protégés, pas leurs victimes
Déjà, pénaliser le racolage devait permettre de lutter contre les réseaux et protéger les victimes en « supprimant l’offre ».
On ne peut que constater l’inanité de cette loi au regard de ses objectifs : en 2004, 5 152 incriminations pour racolage et seulement 44 accueils de personnes dans des lieux sécurisés. L’échec est avéré.
On nous explique maintenant que l’on va lutter contre les réseaux en « supprimant la demande ». Maintenir l’infraction de racolage et pénaliser les clients, cela signifie purement et simplement une interdiction de tout travail sexuel. Une telle interdiction ne favorisera en aucun cas la lutte contre la traite.
Des dispositions existent déjà, mais elles ne sont pas appliquées et le rapport Bousquet propose en ce sens des circulaires en guise de piqûres de rappel.
L’exemple de la Suède
Pour être efficaces, les mesures de protection des victimes de la traite ne peuvent s’accompagner d’une répression de l’activité de travail sexuel : cela conduit à l’invisibilité, à la marginalité et à la stigmatisation.
Les tenants de la pénalisation des clients brandissent l’exemple de la Suède, qui pénalise les clients depuis le 1er janvier 1999.
La prostitution de rue a considérablement diminué, au détriment de la situation sanitaire et sociale des prostituéEs. Les conséquences sont dramatiques, comme les travailleuses et travailleurs du sexe se sont éloignés des services sociaux. Il faut savoir que ces services sociaux conditionnent leur aide à l’arrêt total de la prostitution.
Quant aux victimes de la traite, elles n’y ont pas accès, puisqu’elles sont enfermées afin que les clients puissent les atteindre sans danger. Les collectifs suédois de travailleurs du sexe affirment même que les clients qui bravent la loi sont potentiellement les plus dangereux.
Un recul considérable pour les droits des femmes
Si le projet avait pour réel objectif de lutter contre la traite, de vrais moyens seraient octroyés aux forces de police pour son application. Or, le rapport Bousquet n’en fait aucunement mention. Il se cantonne à demander l’application de certaines mesures qui existent déjà depuis 2003.
Pénaliser les clients protégerait la « dignité de la femme » nous explique-t-on encore. Ce projet criminalisera des rapports sexuels consentis, au seul motif qu’ils sont rémunérés. Cela constituera une atteinte grave à la liberté sexuelle puisque la capacité de consentir de celles qui exercent sans contrainte sera radicalement niée.
Si les politiques veulent améliorer le sort des travailleuses sexuelles, qu’ils et elles leur permettent d’accéder à des droits fondamentaux : droit à la sécurité et à la santé ainsi qu’à l’ensemble des droits sociaux. Qu’ils offrent à celles et ceux qui le souhaitent de réelles possibilités de reconversion et luttent contre leur stigmatisation.