Employés initialement pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l’enfant, des antirétroviraux sont utilisés en traitement post-exposition (TPE) et actuellement à l’essai en prophylaxie pré-exposition (PREP) : où en est-on ?
Transmission mère-enfant
Parmi les modes de transmission du VIH, la transmission materno-fœtale est connue et décrite depuis les premières années de l’épidémie, avant même l’apparition des antirétroviraux. Pour la combattre, l’idée est venue rapidement aux chercheurs de tenter d’utiliser l’AZT, le premier antirétroviral apparu en 1986. Les travaux des spécialistes ont abouti en 1994 aux conclusions de réduction de la transmission mère-enfant avec l’AZT. Grâce à cela, la transmission qui est naturellement de 25% à 30% chutait à 5% lors de son utilisation donnée à la mère avant et pendant l’accouchement. À ce jour, l’amélioration de ces techniques – notamment grâce à l’emploi de trithérapies et d’un traitement temporaire des enfants -, a permis de réduire encore ce risque qui se situe en dessous de 1% dans les pays occidentaux. Traitement Post-Exposition (TPE) À la même époque, des scientifiques françaiSEs, anglaiSes et américainEs s’associaient pour un autre programme d’étude portant sur le risque de transmission par exposition au VIH lors d’accidents professionnels (accidents d’exposition au sang de personnels soignants ayant pu être blessés par exemple par une aiguille ou un scalpel ayant servi pour pratiquer un acte sur une personne séropositive). Le principe de cette étude était de recenser le plus largement possible tous les cas connus afin de mesurer le risque de transmission. Or il est apparu dans le recueil de ces données que certaines personnes avaient tenté de limiter le risque de transmission en se basant sur le principe utilisé dans la prévention de la transmission mère-enfant, c’est-à-dire en prenant de l’AZT à la suite d’un tel accident. En comparant les données de transmission de ces deux groupes – ceux/celles qui avaient pris de l’AZT et ceux/celles qui n’en avaient pas pris -, les chercheurSEs ont conclu à une réduction de 80% de la transmission par l’usage d’AZT post-exposition. Sans tarder, les résultats de l’étude ont été traduits en France par une recommandation officielle du Ministère de la Santé aux professionnelLEs du soin sous forme d’une note d’information publiée dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire de décembre 1996. Cette note précise la conduit à tenir en cas d’accident d’exposition au virus chez les professionnelLEs de santé lors d’actes de soins prodigués à des séropositifVEs. Elle recommande l’emploi d’AZT comme traitement de prophylaxie post-exposition afin de réduire le risque d’acquisition de l’infection. Plusieurs associations de lutte conte le sida ayant eu connaissance de ce texte se sont alors inquiétées de ce que cet outil de prophylaxie soit réservé aux seuls accidents professionnels alors qu’il leur semblait évident que la différence avec d’autres accidents d’exposition, les expositions sexuelles, n’était pas justifiée. Autrement dit, un préservatif qui craque ou tout autre accident d’exposition devaient pouvoir faire l’objet de la même mesure. Dans diverses publications, les associations (AIDES via Remaides, Act Up-Paris via un encart dans Libération) conseillaient aux personnes dans ce cas de se rendre aux urgences de l’hôpital le plus proche pour réclamer ce qui était préconisé aux professionnelLEs. C’est ainsi que naquit le principe du TPE ou Traitement Post-Exposition, encore appelé PEP (prophylaxie post-exposition, en anglais Post-Exposure Prophylaxis) Mais la preuve de l’efficacité du TPE était – et reste -, faible. Pourtant, après ce résultat, il semblait difficilement concevable sur le plan éthique de mener a posteriori des recherches randomisées (placebo avec tirage au sort) susceptibles de démontrer rationnellement le résultat observé. Pour autant, il fallait bien essayer de donner un peu plus de consistance et de rationalité à ce résultat. Il fut donc procédé à des expérimentations animales dont l’étude de Tsai et collègues publiée fin 1995 dans Sciences. Cette étude reste encore aujourd’hui le socle sur lequel est basé le protocole du traitement post-exposition. Elle montre en effet qu’il y a un délai après l’exposition au-delà duquel la prophylaxie n’a plus d’effet. Par précaution, dans l’application humaine, ce délai a été fixé à 48 heures et la durée du traitement à un mois. Avec l’apparition des trithérapies, celles-ci ont été préférées pour le TPE afin de ne pas risquer la sélection de virus résistants dus à l’insuffisance de puissance du traitement.Prophylaxie pré-exposition (PrEP)
L’équipe a étendu sa recherche à ce qui se passait lorsque le traitement était administré avant l’exposition au virus. Elle a ainsi montré que les animaux n’étaient pas contaminés dans ces conditions d’expérience si le traitement était administré jusqu’à 48 heures avant l’exposition des animaux au virus. Il ne s’agissait plus là de prophylaxie post-exposition mais bien de prophylaxie pré-exposition, de PrEP (en anglais Pre-Exposure Prophylaxis) : la prise d’un traitement antirétroviral pris avant une exposition au VIH était capable de prévenir le risque d’infection chez les macaques. Actuellement, les recherches animales se poursuivent afin d’affiner les modèles. Une équipe américaine est particulièrement active dans ce domaine et multiplie les résultats depuis quelques années, l’équipe de Gerardo Garcia-Lerma aux États-Unis. C’est au début des années 2000 que les essais de PrEP chez les humainEs ont démarré dans le monde, principalement financées par des crédits publics et privés américains. Les premières recherches ont étudié la tolérance du tenofovir dans différentes populations. Les essais africains ont essentiellement recruté des femmes, l’essai thaïlandais, des usagers de drogues et des gays, l’essai américain, des gays. Le premier résultat publié d’un essai de PrEP concernait un essai de tolérance d’une prophylaxie orale. Il a été obtenu par l’étude West Africa menée au Ghana, au Cameroun et au Nigeria avec 936 femmes ayant testé le tenofovir en une prise quotidienne entre juin 2004 et mars 2006. Parmi les conclusions de cette étude, il faut noter : – l’essai s’est conclu sans avoir constaté d’effet indésirable sérieux. Certaines intolérances ont été constatées sans qu’elles aient donné lieu à des interventions et sans être certain qu’elles étaient liées à l’usage du produit. – Il n’a pas été constaté de compensation du risque. Explications : dans tout essai de prévention biomédicale de ce type, même lorsque l’objectif n’est que la mesure de la tolérance, il est nécessaire d’évaluer les comportements de prévention des participantEs (usage de préservatifs principalement) et de mesurer leur évolution afin de savoir si les participantEs ont modifié leur comportement, notamment en présumant de l’effet possible de ce qu’ils/elles testent. Dans le cas d’essais de tolérance ou d’efficacité, il est souhaitable de ne pas constater ce type de compensation puisque la technique est expérimentale et que si les personnes se sentaient protégées, ce pourrait être un leurre. Tout dépend ici de la manière dont ils/elles ont été accompagnéEs dans le cadre de la recherche qui se doit non seulement de vérifier qu’il n’y a pas de fausses perception de protection mais surtout d’informer clairement et précisément les personnes sur les risques encourus dans la recherche. – Enfin, les 8 séroconversions, 2 dans le groupe ayant reçu du tenofovir, 6 parmi celles qui avaient un placebo, sur 936 participantes, même si leur répartition a l’air d’indiquer une tendance, ne constituent pas un résultat suffisamment significatif pour faire la différence entre un effet du hasard et une réelle protection due à la technique utilisée. L’essai iPrEx dont les premiers résultats ont été rendus publics en fin d’année 2010 a permis d’obtenir le premier résultat d’efficacité de l’utilisation de PrEP chez les gays. Après 3 ans de préparation, il s’est déroulé dans 6 pays de quatre continents entre juin 2007 et mai 2010. Les 2499 participants étaient à 56% du Pérou, 15% du Brésil, 12% de l’Équateur, 9% des États- Unis, 5% de Thaïlande et 3% d’Afrique du Sud. Leur recrutement s’est fait entre juin 2007 et décembre 2009. Il a suivi 3 324 personnes/années[[La notion de « personne/année » permet d’avoir une unité de comparaison sur une unité de temps constante – ici 1 an.]]Au total, 110 personnes ont été dépistées positives au cours de l’étude : – 10 l’étaient le jour de leur inclusion (et ne sont pas comptabilisées dans les calculs d’efficacité), – 36 personnes étaient dans le bras recevant la bithérapie, – 64 personnes se trouvant dans le bras placebo. L’essai iPrEx démontre pour la première fois, et de manière significative, qu’une prise de TDF-FTC avant une exposition au virus permet de réduire le risque d’acquisition du VIH. En effet, en recevant la bithérapie, le nombre de personnes ayant acquis le VIH est réduit de 44% (intervalle de confiance : 15% à 63%) comparativement aux personnes n’ayant pas eu accès aux molécules actives. Cependant, dans le groupe recevant la bithérapie, et parmi les personnes testées séronégatives, seules 51% présentaient réellement le médicament dans leur sang. Ce taux chute à 9% parmi les personnes du même groupe ayant contracté le virus. Les auteurEs en déduisent que la protection conférée par la stratégie de PrEP, corrélée à la détection des molécules actives dans le sang, est directement liée à la capacité des personnes à adhérer à la stratégie de PrEP, et à correctement observer la prise quotidienne du médicament. Très récemment, le comité indépendant veillant à la sécurité des participantes de l’étude FEM-PrEP qui testait l’intérêt de la PrEP (tenofovir) chez des femmes africaines a recommandé son arrêt prématuré parce qu’il a estimé que l’essai ne pourrait pas conclure faute de puissance statistique. Des informations plus détaillées seront disponibles dans les mois à venir. La France aussi a décidé de s’inscrire dans la course à la PrEP. Sous la houlette du Pr. Jean-Michel Molina, l’essai IPERGAY destiné à tester l’efficacité de truvada en usage intermittent chez les gays devra recruter près de 2000 séronégatifs à partir de l’automne 2011.