Casablanca • Paris — Un rapport de MSF rendu public il y a deux semaines montre que les principales firmes pharmaceutiques qui détiennent des brevets sur les molécules anti-VIH suspendent massivement leurs programmes de prix standardisés dans les pays à revenus intermédiaires (PRI), qui sont pour certains, depuis peu, inéligibles au Fonds Mondial. Une fois de plus, Merck, Johnson&Johnson et GSK (ViiV Healthcare) sacrifient les malades pour leurs profits. Les compagnies pharmaceutiques doivent dès maintenant publier la liste des prix pratiqués pays par pays et médicament par médicament, et les pays concernés doivent sans plus tarder utiliser leurs droits à émettre des licences obligatoires, c’est-à-dire à casser les brevets pour produire ou importer des génériques.
• Merck, J&J et ViiV franchissent une étape de plus dans le cynisme meurtrier •
Le rapport de MSF, ‘Untangling the Web of ARV Price Reductions’ [[http://utw.msfaccess.org/]], publié lors de la conférence scientifique sur le sida à Rome en juillet 2011 dresse le constat que les pays intermédiaires sont massivement touchés par des suspensions des programmes “d’accès” de prix standardisés des laboratoires pharmaceutiques.
Ce rapport analyse la baisse des prix de 23 antirétroviraux basée sur les informations fournies par 19 producteurs de médicaments. Un communiqué de MSF [[http://msf-utw.tumblr.com/post/7755591372/14th-edition-of-untangling-the-web-launches-at]] résume les abandons de programmes de réduction des prix standardisés, laboratoire par laboratoire et molécule par molécule : Tibotec (J&J) exclut tous les pays intermédiaires de ses programmes de prix standardisés; ViiV (GSK and Pfizer) a stoppé ses programmes de réduction des prix standardisés pour les PRI, même quand les médicaments sont totalement payés par le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme ; Abbott suspend également ses programmes de prix standardisé dans des PRI pour une de ses molécules ; Merck arrête son programme de prix standardisé dans 49 pays, dont des pays frappés de plein fouet par le VIH comme l’Inde, la Thaïlande, l’Ukraine, alors même que le laboratoire commercialise depuis peu une nouvelle molécule antirétroviral : le Raltégravir.
Merck se défend en prétendant ne pas exclure ces pays. Pourtant, ce que la firme propose à ces pays ce sont des négociations de prix des médicaments au cas par cas, c’est-à-dire pays par pays, sans aucune transparence, ce qui conduit souvent à des augmentations du prix des traitements, très proches de ceux pratiqués en Europe de l’ouest et en Amérique du nord.
La communication du laboratoire masque difficilement un cynisme meurtrier.
L’interruption des programmes de prix standardisés dans les PRI renforce ce que nous savions déjà depuis des années des conséquences tirées du programme mené il y a dix ans « Accelerating Access » : les programmes « d’accès » menés par les laboratoires ne sont pas des solutions viables, ni des modèles durables, dans la mesure où ils diffèrent selon les pays, peuvent s’arrêter du jour au lendemain, ou encore constituer des moyens de pression sur les pays qui en bénéficient pour que ceux-ci n’aient pas recours aux génériques et aux flexibilités des accords sur la propriété intellectuelle (ADPIC / TRIPS).
Par ailleurs, dans la mesure où il n’y a aucune transparence dans la négociation de ces prix, une firme peut imposer le prix qu’elle veut.
ALCS-Maroc et Act Up-Paris demandent aujourd’hui aux laboratoires pharmaceutiques de publier la liste complète des prix de leurs médicaments, pays par pays.
• Les pays intermédiaires, nouvelles cibles des labos •
Il y a deux semaines, le laboratoire Gilead annonçait avoir trouvé un accord avec le Patent Pool d’UNITAID[[Cf. Les communiqués sur le MPP (la communauté de brevets sur les
médicaments) de ITPC MENA & Act Up-Paris :
http://www.itpcmena.org/spip.php?article212 &
https://www.actupparis.org/spip.php?article4617]]. Dans le cadre du Patent Pool, la plupart de ces pays intermédiaires, notamment les pays de la région MENA se retrouvent exclus[[ Pourquoi il est absurde d’exclure les pays intermédiaires ?
– Ce n’est pas parce qu’un pays est classé dans la liste des pays moins pauvres par l’OCDE que sa population a les moyens de payer les médicaments aux prix pratiqués en Europe ou en Amérique du Nord, ou qu’il a la capacité de financer des traitements à hauteur des exigences exorbitantes de l’industrie pharmaceutique, notamment quand sa population est très fortement frappée.
– Pour les pays moins touchés par le VIH, il est absurde de ne pas soutenir l’accès à la prévention et aux traitements afin d’endiguer l’épidémie ; le VIH n’a pas de frontières, et en établir de nouvelles, tarifaires, et laisser grimper l’incidence, c’est la laisser continuer de s’étendre et se condamner à ne jamais en finir avec la pandémie et risquer qu’elle devienne à jamais hors de contrôle.]].
La seule motivation à ces exclusions du Patent Pool et aux programmes de prix standardisés repose sur la seule volonté des laboratoires de conquérir les marchés que représentent ces pays, même si cela doit passer par la mort de milliers de personnes.
Enfin, en 2011, les pays riches ont refusé d’augmenter significativement leur contribution au Fonds Mondial de lutte contre, le sida, la tuberculose et le paludisme. Ils ont imposé une réforme de la gouvernance qui a rendu la plupart de ces mêmes pays inéligibles aux financements du Fonds Mondial ; en un peu moins d’un an, ils sont donc privés d’une ressource essentielle, et doivent payer plus chers leurs traitements.
« Le Maroc est l’un des pays qui ne bénéficiera pas de baisse significative de prix alors que les malades n’ont pas les moyens de payer les antirétroviraux aux tarifs pratiqués en Europe et alors que le gouvernement n’a pas les moyens de les mettre à leur disposition. » a déclaré le Professeur Hakima Himmich, Présidente de l’ALCS-Maroc, « Un grand nombre de pays de la
région MENA sont dans la même situation alors que cette région est celle où le taux de personnes vivant avec le VIH sous traitement est le plus faible au monde.» a-t-elle continué.
« Il est aujourd’hui temps que les pays utilisent les flexibilités des accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle » a déclaré Pauline Londeix, porte-parole d’Act Up-Paris, «Si ces dispositions qui doivent pourtant permettre à tous les pays d’avoir recours à des médicaments moins chers continuent à être si peu utilisées, il faudra à un moment donné que la communauté internationale revienne sur les TRIPS, car derrière les pressions exercées par l’Union Européenne et les
Etats-Unis et leurs industries pharmaceutiques pour que ce droit ne soit pas utilisé, se sont des gens qui meurent, massivement, chaque jour. »
En réponse aux politiques de l’industrie pharmaceutique qui mettent en péril les malades, les gouvernements concernés doivent dès aujourd’hui émettre des licences obligatoires, comme le prévoit le droit international, faire sauter les brevets, et importer ou produire les génériques des médicaments. La question de revenir sur les TRIPS doit se poser urgemment.