Vous trouverez ci-dessous le courrier qu’Act Up-Paris et Aides envoie aux sénateurRICEs de la nouvelle majorité. Nous y exprimons nos inquiétudes quant à l’avenir du dispositif des ATU (Autorisations temporaires d’utilisation) tel que la loi sur le médicament va le définir. Les sénateurRICEs risquent en effet de bloquer l’accès à des nouveautés thérapeutiques vitales pour les personnes vivant avec une pathologie grave.
Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur,
Nos associations de lutte contre le VIH/sida expriment leur inquiétude quant à l’avenir des Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU, article 15) après la discussion du projet de loi relatif à la sécurité sanitaire du médicament au sein de la commission des Affaires sociales du Sénat.
Le projet de loi crée trois types d’ATU : de cohorte, nominatives « protocolisées », nominatives « simples ». Nous soutenons tout dispositif incitant à déposer une demande d’AMM ou d’ATU de cohorte, car elles garantissent un encadrement et une remontée d’informations nécessaires à la santé des personnes et la santé publique. Nous saluons ainsi la « protocolisation » des ATU nominatives.
Les ATU nominatives ont permis de sauver des milliers de vie depuis que nos associations se sont battues pour les obtenir. Elles sont notamment indispensables aux personnes que l’état de santé ou la situation particulière ne permettent pas de faire « entrer dans les cases », qui sont exclues des essais cliniques par l’industrie pharmaceutique car celle-ci estime que leur participation pourrait « mettre en cause » ou « affaiblir » leurs résultats.
Pourtant, le texte introduit un retard dans la possibilité d’avoir accès aux médicaments par le biais d’ATU nominatives « protocolisées » (alinéas 6-8). Aujourd’hui, des ATU nominatives sont possibles dès la phase II du développement clinique. En conditionnant l’accès au dépôt d’une demande d’ATU de cohorte ou d’une AMM, la possibilité d’ATU nominatives serait, de facto, repoussée à la phase III – ce qui constituerait un retard de près de deux années. Il s’agirait d’une perte de chance inacceptable pour les malades.
Il est également indispensable de conserver la souplesse du dispositif des ATU nominatives « simples » – elle en est leur principe fondamental (alinéas 11-14). Notre expérience de 20 ans en matière d’accès précoce aux médicaments nous a appris qu’il y aura toujours des personnes qui ne correspondront ni aux critères des essais cliniques, ni à ceux des ATU de cohorte, ni encore à ceux des ATU nominatives protocolisées. Ces mêmes personnes auront pourtant besoin d’un accès précoce aux traitements, accès que la loi, en son état actuel, risque de rendre impossible. Nous sommes par exemple disposés à vous décrire notre combat pour un accès des personnes vivant avec le VIH et une hépatite C à des médicaments encore à l’essai contre le VHC.
Nous avions réussi à obtenir un assouplissement des mesures prévues par le gouvernement dans le projet de loi initial. Nous avons pour cela travaillé avec les députés de l’opposition, notamment, Mmes Lemorton, Touraine, Fraysse et Billard, ainsi que MM. Mallot, Bapt et Muzeau. Nous avions aussi réussi à convaincre le cabinet du Ministre de la Santé d’un certain nombre d’améliorations, qui s’étaient traduites par le dépôt, en séance, d’amendements adoptés par l’Assemblée Nationale.
Nos inquiétudes sont aujourd’hui de deux ordres :
– D’une part, un amendement déposé par le rapporteur du texte, M. Cazeau, et adopté par la commission, revenait sur les avancées que nous avions obtenues à l’Assemblée nationale sur les ATU nominatives protocolisées. Les restrictions qu’il apporte risquent donc de rendre l’accès aux ATU nominatives impossible pour les personnes que nous suivons et/ou représentons. Depuis la discussion en commission, nous avons pu discuter avec M. Cazeau, qui semble s’être rangé à nos arguments. Il nous a donné des garanties de revenir en séance sur cette proposition qui nous semble dangereuse. Nous prenons acte de cette évolution, et vous invitons à la soutenir ; faute de quoi, nous nous retrouverions dans une situation absurde où la nouvelle majorité au Sénat remettrait en cause le travail des députés de son propre camp, minoritaires à l’Assemblée. Par ailleurs, si le texte modifié après la discussion en commission venait à passer, ce serait le signe politique fort que la nouvelle majorité au Sénat se coupe d’emblée de l’expertise de la société civile, des malades et des minorités. Enfin, et surtout, cela ferait courir un risque vital aux futur-e-s bénéficiaires des ATU nominatives. Nous sommes donc persuadé-e-s que ce qui n’a été qu’un malentendu sera résolu par le dépôt de nouveaux amendements.
– D’autre part, le texte tel qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale ne nous satisfait toujours pas en matière d’ATU nominatives, qu’elles soient « protocolisées » ou « simples ». Un exemple parmi d’autres : le critère de l’indication thérapeutique, mentionné à plusieurs reprises dans l’article 15, nous semble avantager l’industrie pharmaceutique dans ses choix de marketing et de développement, au détriment des bénéficiaires. Par exemple, cela renforcerait les pratiques des industriels qui consistent à systématiquement exclure de tout régime d’accès précoce les personnes présentant plusieurs pathologies en même temps, comme les co-infecté-es VIH/VHC.
L’encadrement des ATU et la lutte contre les abus dont se rend responsable l’industrie pharmaceutique ne peuvent pas se faire au détriment de celles et ceux qui ont le plus besoin d’accéder aux innovations thérapeutiques. Il ne faut donc pas se tromper de cible. Les mesures proposées dans la loi, et après la discussion en commission, n’entraveront pas les pratiques abusives de l’industrie, mais pénaliseront les personnes les plus malades.
Le groupe interassociatif TRT-5, dont nos associations sont membres, a rédigé un document présentant les enjeux autour de ces questions que vous trouverez ci-joint. Il contient des propositions d’amendement que nous vous suggérons de reprendre, ou de défendre.
Ce document décrit par ailleurs un autre combat que vous pouvez soutenir, et qui permettrait efficacement de contraindre l’industrie à fournir plus de données pour assurer la pharmacovigilance (article 17 du projet de loi). Il s’agit de la nécessaire inclusion dans les essais cliniques et dans les essais post-autorisation de populations négligées par la recherche, à commencer par les femmes, les personnes âgées ou les enfants – puis, pathologie, par pathologie, toute une série de populations exclues alors qu’elles sont particulièrement concernées par les médicaments qu’elles vont être amenées à prendre. L’amendement proposé par le TRT-5 oblige l’industrie à inclure ces populations dans les essais post-autorisation. Ce type de mesure nous semble bien plus efficace pour améliorer la pharmacovigilance et préserver l’accès des personnes les plus vulnérables aux innovations thérapeutiques.
Enfin, sur un tout autre sujet, nos associations soutiennent toute mesure permettant une plus grande transparence sur la fixation des prix, notamment la publicité totale des débats au sein de la CEPS et la participation à ces débats des associations d’usagers et d’usagères.,.
Convaincu-es que vous saurez réagir comme il convient pour le bénéfice des malades, et en restant à votre disposition pour plus d’information, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées,
Pierre Chappard
Président d’Act Up-Paris
Bruno Spire
Président d’Aides