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Le 28 novembre dernier, le collectif Droits et Prostitution et d’autres associations envoyaient aux députéEs un courrier expliquant leur inquiétude face à la façon dont la représentation nationale se saisit de la question du travail du sexe et de la prostitution. L’Assemblée nationale entend réaffirmer ce mardi 6 décembre une position abolitionniste purement idéologique, déconnectée des réalités de terrain et des recommandations des experts de la lutte contre le sida et des droits humains, et dangereuse pour la lutte contre le VIH, la santé des personnes et leurs droits. Alors que les associations appellent à un rassemblement ce mardi, lors des débats autour de cette résolution parlementaire, nous publions le courrier envoyé aux députéEs.

Paris, le 28 novembre 2011

Madame, Monsieur le Député,

Le 9 juin 2011, la proposition de résolution n° 3522 réaffirmant la position abolitionniste
de la France en matière de prostitution a été enregistrée au bureau de l’Assemblée nationale.
Cette proposition de résolution est une conséquence directe du rapport n° 3334 déposé par
la mission d’information sur la prostitution en France, rendu public le 13 avril 2011.

Nous, associations de travailleurs du sexe, de prostituéEs, de prévention, de santé
communautaire, de lutte contre le VIH, souhaitons par la présente affirmer notre opposition à
l’adoption de cette résolution, qui doit être discutée devant l’Assemblée nationale le 6
décembre 2011
, tant en raison de ses motifs que de son dispositif. En adoptant cette résolution,
vous accepterez d’exclure un peu plus ces femmes, hommes et transgenres qui, dans un
manifeste rédigé en avril 2011, rappelaient qu’ils n’étaient pas des inadaptés sociaux et qu’ils
sont des citoyens à part entière.

Cette résolution vise à entériner d’un point de vue juridique, bien que non normatif, les
conclusions de ce rapport. Nous contestons l’objectivité des conclusions de ce rapport et le fait
qu’il soit défini comme « complet » par ses auteurs.

En effet, depuis avril 2011, nous dénonçons sans relâche les méfaits de la volonté de
pénaliser les clients
des travailleurs du sexe, mais également la violence des discours qui les
disqualifient systématiquement et les considèrent comme des inadaptés sociaux, des aliénés
dont la parole ne mériterait pas d’être écoutée.

Sans relâche, et jusqu’à ce que nous soyons entendus, nous continuerons à rappeler que
l’absence de reconnaissance de droits aux travailleurs du sexe, la pénalisation du racolage
public et du proxénétisme de soutien ont un impact négatif sur l’accès aux droits et aux soins
des travailleurs du sexe et plus généralement sur les enjeux de santé publique. La pénalisation de
leurs clients renforcera les effets délétères constatés. En effet, cela conduirait inévitablement
à plus d’isolement et de clandestinité et constituerait un obstacle supplémentaire tant à l’accès
aux structures de soins, de prévention et de dépistage qu’aux actions des associations de santé
communautaire, de prévention et de lutte contre le VIH.

Cela a d’ailleurs été très clairement rappelé par le CNS (Conseil National du sida) dans un
rapport de septembre 2010
puisqu’il « appelle de ses vœux une action de premier plan pour
compenser le retard pris par la France dans l’accompagnement, le suivi et la garantie des droits
des personnes prostituées et ceci afin de leur rendre une visibilité et de leur garantir l’accès
effectif à la prévention et aux soin
s »[[« Commerce du sexe et VIH. Garantir l’accès universel à la prévention et aux soins », Conseil National du
sida, septembre 2010, p. 40. Voir dans le même sens le Plan national de lutte contre le VIH/SIDA et les IST, 2010-
2014,]].

Sans relâche, nous rappellerons que cette volonté de lutter contre la prostitution, quel
qu’en soit le coût pour les premiers intéressés, ne favorisera en aucun cas la lutte contre la
traite et l’exploitation des êtres humains.
Dans un avis de décembre 2010, la Commission
nationale consultative des droits de l’homme a estimé que l’isolement accru des travailleurs du
sexe, conséquence de la pénalisation de leurs clients, constituerait une entrave de plus à leur
accès au droit et à la justice, et que cela ne ferait donc que favoriser l’exploitation et la traite des
êtres humains. Ce constat s’appliquerait plus particulièrement aux travailleurs du sexe migrants,
dont l’accès aux droits est déjà rendu difficile par l’absence de titre de séjour. Seul le droit au
séjour
sans conditions pour les victimes de la traite et de l’exploitation des êtres humains ainsi
que l’amélioration des conditions d’exercice et de vie des travailleurs du sexe permettraient de
lutter efficacement contre la traite et l’exploitation des êtres humains
.

Sans relâche, nous rappellerons que les arguments juridiques employés sont erronés. Il est
faux de dire que le travail sexuel constituerait une atteinte à la non-patrimonialité du corps
humain.
Les travailleurs du sexe ne vendent pas leur corps, mais bien un service sexuel. Il n’y a
pas non plus esclavage puisque la personne ne s’aliène pas. La seule chose qui est monnayée est
la force de travail, comme c’est le cas dans les autres activités.

Il est faux de dire que le travail sexuel porterait nécessairement atteinte à la dignité
de toutes les femmes.
La dignité ne saurait être définie de manière transcendante par des
personnes qui n’exercent pas cette activité. Il s’agit d’un féminisme excluant qui rejette ce qu’il
ne saurait intégrer dans son idéologie, d’un féminisme stigmatisant toutes celles qui font des
choix différents.

Les signataires de cette proposition de résolution ont préféré croire sur parole les
conclusions d’un rapport
présenté comme « objectif et complet », alors que la parole des
premiers concernés a une nouvelle fois été ignorée
. Les associations de santé communautaire
et de travailleurs du sexe constituent une infime minorité des personnes auditionnées. Les
travailleurs du sexe entendus ne sont plus en activité parce que, selon les membres de la mission, il
n’est pas possible de croire la parole des travailleurs du sexe en exercice. Les personnalités qualifiées entendues ont largement été sélectionnées afin qu’elles ne contredisent pas les
conclusions auxquelles la mission était arrivée avant même de commencer son état des lieux.

La volonté d’abolir la prostitution n’est rien d’autre que la lutte contre les
travailleurs du sexe.
Nous, associations de travailleurs du sexe, de santé communautaire, de
prévention et de lutte contre le SIDA et les IST, nous battrons sans relâche pour que cela soit
entendu.

L’adoption de cette résolution serait la porte ouverte à l’adoption d’une loi pénalisant
les clients des travailleurs du sexe
, qui aurait des conséquences catastrophiques comme l’a été
la loi pénalisant le racolage public.

Adopter une résolution n’est peut-être qu’un geste symbolique pour un parlementaire,
mais cela constituerait une violence supplémentaire et réelle à l’égard de ceux qui n’en
peuvent plus de ne pas être entendus, malgré leurs cris réitérés.

Par ce courrier, nous voulons insister sur notre opposition à l’adoption de cette résolution
et rappeler nos revendications.

Nous voulons :
– Que les travailleurs du sexe soient RÉELLEMENT associés aux politiques publiques en
matière de prostitution ;
L’abrogation des infractions de racolage public et de proxénétisme de soutien ;
– Que cesse toute pénalisation des travailleurs sexuels et des personnes qui les aident.

En vous remerciant par avance de l’attention porté à notre courrier, nous vous prions
d’agréer, Madame, Monsieur le Député, l’expression de nos salutations respectueuses.

Pour le Collectif Droits et Prostitution :
Malika AMAOUCHE,
Cécile LHUILLIER,
Morgane MERTEUIL.