La seconde table ronde de la dernière rencontre Femmes & VIH était intitulée « On ne soigne pas les femmes comme les hommes ». Elle fut introduite par William Lowenstein, médecin interniste, addictologue, membre du Conseil national du sida. Une intervention sur ce sujet est suffisamment rare pour être mise en avant. A l’occasion de la sortie des actes de cette rencontre, nous publions l’introduction de cette table ronde, en espérant que ce thème soit enfin entendu par l’ensemble des soignants :
La question initiale était « est-ce que les soignants tiennent compte du genre ? ». La réponse vous la connaissez comme moi : peu ou pas. Depuis ses débuts, la médecine est académiquement, si on le dit communément : « machiste », si on le dit plus joliment : « androcentrique ». Ce qu’on voudrait éviter pour le développement d’une nouvelle médecine – en tout cas celle à laquelle je tiens particulièrement qui est la médecine des addictions – c’est qu’elle reprenne les mêmes obscurantismes de la médecine classique. Je n’apprends rien à personne en disant que, dans la médecine classique, la femme a existé essentiellement dans deux catégories. Tout d’abord comme être de reproduction, la femme enceinte, c’est ce que tous les étudiants en médecine apprenaient. Et la deuxième exception était pour une maladie, à l’époque on disait une connectivite, qui s’appelle la polyarthrite rhumatoïde. Sur les 150 questions de médecine d’internat, il y avait une question dont la forme typique était la femme, c’était pour la polyarthrite rhumatoïde. Pour le dire autrement, en médecine « la patiente » était avant tout « un patient », sauf quand elle était enceinte. Le deuxième pôle d’attraction est venu un peu plus tard avec l’arrivée, si j’ose dire, du marché de la ménopause. Mais vous voyez qu’on restait, en tout cas académiquement parlant, toujours sur l’organe de reproduction, qui fonctionne ou qui ne fonctionne plus. Voilà à peu près à quoi étaient limitées les différences de genre en médecine.
Quand j’ai commencé à travailler sur les dépendances en général, les addictions puis l’héroïnomanie chez les femmes, mon premier étonnement, puisque mon approche est essentiellement neuro-bio-psycho-médicale, – c’est-à-dire que je m’intéresse à ce qu’entraînent les substances dans le cerveau comme modifications – c’était de voir à quel point le discours, jusque dans les années 60, sur le cerveau féminin était moins…, on peut mettre plein d’adjectifs, moins que celui des hommes… Cela avait pu être soutenu scientifiquement. J’avais trouvé un petit bouquin qui s’appelait La psychologie des filles expliquée aux garçons, fait par les familles de France, où l’on expliquait à quel point les femmes évidemment ne pouvaient pas être aussi mathématiciennes, ne pouvaient pas être aussi logiques, ne pouvaient pas être etc. Ce qui a été le plus ahurissant, je ne vais pas dire stupéfiant, sur le sujet qui est le mien (rires), c’était de découvrir le nombre de travaux scientifiques qui avaient pu être publiés jusque dans les années 70 pour expliquer qu’un cerveau féminin était différent d’un cerveau masculin. Cette différence de genre, d’un point de vue neuro-hormonal, peut exister dans le fonctionnel, mais ce n’est pas de ça dont je parle, c’était vraiment une différence aussi forte, aussi raciste que ce qu’on pouvait lire à une autre période glorieuse de l’humanité sur, par exemple, « un cerveau d’une personne de couleur n’est pas comme un cerveau d’une personne de couleur blanche ». Donc c’est vrai que la médecine, c’est la médecine, si j’ose dire, de l’homme blanc, et je ne voudrais pas que la santé des addictions devienne la santé des addictions du junky blanc. Parce que ce qu’on voit, c’est qu’à l’heure actuelle, on est en train de passer à côté de réalités. Un exemple. Celui d’une trilogie à haut risque : l’association pilule, tabac, cannabis. On ne peut pas dire que ce soit une association qui soit exceptionnelle en 2011, et pourtant en 2011, comme en 2010, comme en 2009, on ne se pose pas vraiment la question de changer cette triplette alors qu’elle va être responsable des infarctus et des embolies à venir. L’infarctus du myocarde jusqu’à présent est une maladie masculine, de l’homme stressé, tabagique, on va dire un peu hypertendu. Non, dans 20 ans, l’infarctus sera une maladie féminine. Et on ne veut pas changer nos préventions, alors qu’on peut le faire à l’heure actuelle, ne serait-ce qu’en posant la question du tabac mais aussi du cannabis quand une adolescente de 16 ans vient pour une prescription de contraception. Ne pas poser la question est une vraie erreur qui va se payer très cher.
Dans mon expérience, ce qui m’a certainement le plus touché c’est de voir le retard diagnostique, c’est-à-dire le retard de consultation ; le fait que les femmes viennent consulter plus tard pour leur addiction et le fait que la double-peine soit quasiment systématique. Non seulement elles perdent, comme toutes les personnes addictes, leur statut de citoyenne ou de citoyen, normal, honnête, mais en plus elles perdent réellement leur statut de femme. On ne peut pas être une vraie femme, si on est addicte. Socialement parlant, la phrase qu’une patiente m’avait dite en parlant de l’alcool, est vraie : « vous comprenez, en la circonstance, la dépendance, c’est comme une cicatrice sur un visage, chez un mec ça passe, ça fait viril, chez une femme ça devient compliqué à vivre ». Et c’est vrai que la façon qu’on a d’aborder les addictions a été pour l’instant une façon beaucoup trop centrée sur la vision du junky et de sa seringue. Les 3/4 d’hommes pour 1/4 de femmes font qu’on ne s’occupe pas précisément du quart de femmes dans les populations. 25 % c’est énorme en statistique, or les 25 %, qui sont en train d’augmenter tout azimut dans les chiffres des addictions et notamment du côté du Royaume-Uni, des pays nordiques et de biens d’autres pays, toujours à cause de raisonnements idiots, pour l’instant je n’ai toujours pas vu de campagnes de prévention, qu’elles soient primaires ou secondaires, de réduction des risques spécifiques. Il y a évidemment des organismes, et vous en faites partie, qui se dévouent, mais sur le plan national cette spécificité de genre, pour l’instant, n’est absolument pas reconnue. Les dangerosités sont celles que je vous ai dites, mais les particularités de genre existent vraiment, que ce soit pour le tabac ou pour l’alcool, puisqu’en moyenne une femme, de par sa surface corporelle, et simplement aussi de par son équipement enzymatique de foie, va faire une cirrhose 8 à 10 ans plus tôt qu’un homme pour les mêmes doses d’alcool. C’est pas juste, dit-on à ma droite, (rires)
je suis d’accord, dans l’autre sens, on peut dire « chic, ça fait 10 ans de plus », mais les femmes vont faire beaucoup plus de polynévrites, c’est à dire d’atteinte des nerfs périphériques, et quand vous commencez
à regarder les spécificités vous concluez tristement que non seulement elles existent, mais qu’elles demeurent ignorées. Je souhaite que sous l’impulsion de l’interassociatif Femmes & VIH, la santé des addictions soit beaucoup moins machiste que ne l’a été la médecine jusqu’à présent.
femmes & tabac
On savait que les femmes qui fument sont plus à risque de développer un cancer du poumon que les hommes qui fument. Le regroupement des résultats de plusieurs études de cohortes publiées entre 1966 et 2010 indique que les femmes qui fument sont aussi plus à risque de développer une cardiopathie coronarienne (angine de poitrine, infarctus du myocarde, par exemple) que les hommes qui fument. Ce type de maladie sera la cause principale des décès vers 2030, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, rappellent les auteurs d’un commentaire associé à la publication de ces résultats.
Arrêter de fumer permet de réduire rapidement le risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire. Or, selon certaines études, les femmes réussiraient moins facilement à arrêter de fumer que les hommes, malgré le fait qu’elles soient plus susceptibles d’essayer d’arrêter et d’initier un traitement. Une des raisons pourrait être des inégalités entre femmes et hommes au niveau des propositions de programme d’arrêt par les médecins. Mais il existe aussi des inégalités physiologiques, comme le fait que les femmes éliminent plus rapidement la nicotine que les hommes, entraînant de plus grandes difficultés lors du sevrage. La prise en compte des spécificités féminines est donc cruciale, tant lors des discussions avec son médecin que pour le déploiement des campagnes de prévention. Pendant ce temps, l’industrie du tabac lance des campagnes ciblant les femmes…