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Les soins funéraires sont interdits aux personnes qui vivaient avec le VIH et/ou une hépatite virale. Ces infections sont intégrées à la liste des « maladies contagieuses » (sic) justifiant, selon l’arrêté du 20 juillet 1998 [[arrêté du 20 juillet 1998 fixant la liste des maladies contagieuses portant interdiction de certaines opérations funéraires ]], l’interdiction des soins funéraires. Jusque quand ?

chronologie

Saisi par Elus Locaux contre le sida (ELCS), qui se mobilise depuis des années contre cette discrimination aberrante, le Conseil national du sida (CNS) rend en mars 2009
un avis [[ « Note valant avis sur les opérations funéraires pour les personnes décédées infectées par le VIH », 12 mars 2009 ]] demandant la levée de cette interdiction. Le ministre de la santé se tourne alors vers le Haut Conseil de Santé publique (HCSP), dont l’avis [[ « AVIS
relatif à la révision de la liste des maladies contagieuses portant interdiction
de certaines opérations funéraires », 27 novembre 2009

]], publié en novembre 2009, défend cette discrimination contre les séropos. Statu quo. En septembre dernier, un courrier interassociatif est adressé à Xavier Bertrand, lui demandant de lever cette interdiction. Le courrier reste sans réponse : le ministre et son administration ont mieux à faire que de respecter nos morts.

Le 20 décembre 2011, le CNS exprime son inquiétude [[ « Opérations funéraires : le CNS s’inquiète du maintien de l’interdiction des soins de conservation pour les personnes décédées infectées par le VIH », 20 décembre 2011 ]] : l’interdiction va être prolongée par arrêté. Le 23 décembre, nous organisons un zap phone/fax sur le cabinet de Xavier Bertrand. Cette action permet de suspendre la signature des textes qui allaient confirmer cette discrimination. Dans les semaines qui suivent, nous constituons un réseau de cinquante associations et syndicats autour d’un argumentaire qui montre l’absurdité scientifique de l’interdiction, et la violence qu’elle représente pour les séropos, et l’entourage des personnes décédées. Cette pression, accrue par l’écho médiatique et l’organisation d’une conférence de presse avec ELCS et Sidaction, oblige le ministère à organiser une réunion avec les parties concernées au sein de la Direction Générale de la Santé (DGS), le 10 janvier. Or, rien ne justifie une nouvelle série de concertations techniques : la décision à prendre est politique.

que dit la science ?

Toute l’expertise est en effet réunie pour lever l’interdiction. Les études menées aux Etats-Unis, où les soins funéraires ne sont pas interdits pour les séropos, ne documentent aucun cas de transmission du VIH auprès d’un thanatopracteur dans un cadre professionnel. Des cas de transmission du VHB et du VHC sont rapportés dans une étude américaines de 1988 [[BECK-SAGUE CM, JARVIS WWR, FRUEHLING JA, OTT CE ET AL. – Universal precautions and mortuary practitioners ; influence of practices and risk occupationally acquired infection.]], à une période où les recom­mandations universelles viennent juste d’être publiées, et dans un pays où la vaccination contre l’hépatite B n’a pas fait l’objet de campagne systématique. Deux études plus tardives rapportent des cas de VHB. L’une d’entre elle (1989 [[TURNER SB, KUNCHES LM, GORDON KF,TRAVERS PH ET AL. – Occupational exposure to human immunodeficiency virus (HIV) and hepatitis B virus (HBV) among embalmers : a pilot seroprevalence study.]]) prouve que le risque de contracter ce virus était 10 fois plus important pour les thanatopracteurs travaillant depuis plus de 10 ans, et pour ceux qui ne mettaient pas de gants. L’autre (1995 [[GERSHON RR,VLAHOV D, FARZADEGAN H,ALTER MJ – Occupational risk of human immunodeficiency virus, hepatitis B virus, and hepatitis C virus infections among funeral service practitioners in Maryland.]]) montre que la prévalence du VHB chez les thanatopracteurs n’était pas supérieure à celle de la population générale. Aucune de ces trois études ne suggère l’interdiction des soins funéraires comme mesure de protection face au VIH et aux hépatites virales. Au contraire, elles insistent sur la nécessaire vaccination contre le VHB et l’application des recommandations universelles de bonnes pratiques.

Ces recommandations universelles, élaborées à la fin des années 80, suffisent à assurer une protection des professionnelLEs face au VIH, aux hépatites virales et tous les autres risques : le port de gants, de lunettes (pour éviter les projections dans les yeux), d’un masque adapté (par exemple contre la tuberculose), la désinfection systématique du matériel réutilisable – tout cela garantit la sécurité des thanatopracteurs face à TOUS les risques biologiques, à commencer par ceux que leur font courir les produits qu’ils et elles utilisent.

Enfin, bon nombre de personnes vivant avec le VIH et/ou une hépatite virale ignorent leur statut sérologique. De plus, par peur de l’exclusion, l’entourage de la personne décédée, ou le médecin qui signe l’acte de décès, peut refuser de mentionner ces infections quand il en avait connaissance. L’interdiction des soins funéraires ne concerne donc que les personnes dont on savait qu’elles vivaient avec ces virus. Un cadavre peut très bien passer entre les mains d’un thanatopracteur sans que l’on sache que la personne était séropositive à ces virus. Cette mesure laisse ainsi croire aux professionnelLEs qu’ils et elles courent moins de risques avec les corps des personnes pour lesquelles les soins sont autorisés, et peut les amener à prendre moins de précautions. Bien loin de garantir leur sécurité, l’interdiction des soins funéraires en cas de VIH ou d’hépatite virale entretient une illusion dangereuse de sécurité, une peur irrationnelle qui engendre violence et discrimination.

un Haut Comité de l’obsurantisme

Les preuves scientifiques sont telles qu’on se demande comment une instance telle que le HCSP a pu rendre, en novembre 2009, l’avis que le ministre de la santé a pris comme prétexte pour maintenir l’interdiction. L’avis se fonde sur un rapport [[ « Révision de la liste des maladies
contagieuses portant interdiction de certaines opérations funéraires
», Rapport du groupe de travail présenté à la séance plénière du 27 novembre 2009
]] dressé par la commission spécialisée « Maladies trans­missibles », c’est-à-dire des personnes censées être au fait du VIH et des hépatites.

Or, ces « expertEs » [[François Bricaire, infectiologue, commission spécialisée Maladies transmissibles, Jean-Didier Cavallo, microbiologiste, Katell Daniault, DGS RI2, Thierry Debord, infectiologue, Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation, Paule Deutsch, santé publique, coordonnatrice de la commission spécialisée Maladies transmissibles, Catherine Leport (présidente), infectiologue, commission spécialisée Maladies transmissibles, Hélène Peigue-Lafeuille (rapporteur-rédacteur), virologue, commission spécialisée Maladies transmissibles]] estiment que le VIH et les hépatites virales sont des maladies contagieuses, comme le prouve le titre de l’avis. Le HCSP pourra arguer qu’il n’a fait que reprendre le titre de l’arrêté qui entretient déjà l’amalgame, et que son avis concerne d’autres infections. Il n’en reste pas moins que le Haut Comité a été sollicité avant tout sur la question du VIH et des hépatites virales, et qu’il avait le devoir, en tant qu’instance d’expertise, de corriger les erreurs de l’arrêté. A aucun moment, le rapport ne revient sur ce titre malheureux pour rappeler que le VIH et l’hépatite virale ne sont en rien contagieux. Ce simple oubli témoigne à lui seul d’une incompétence à traiter le sujet pour lequel on a été sollicité, et/ou d’une indifférence au poids des mots et de la stigmatisation qu’ils peuvent véhiculer. Dans un cas comme dans l’autre, l’avis du HCSP est d’ores et déjà invalidé.

L’amalgame continue sur tout le rapport de la commission « Maladies transmissibles » puisque page 24, dans ses « Arguments pris en compte pour les recommandations », les « expertEs » listent les mêmes arguments pour toutes les pathologies confondues.

Ils et elles remarquent notamment que « Des infections ont déjà décrites (sic) chez les thanatopracteurs et rapportées dans la littérature ». Or, c’est faux en ce qui concerne le VIH – il s’agit donc d’un mensonge patent de la part des « expertEs » – et mérite une discussion approfondie concernant les hépatites virales. Mais le Haut Comité a mieux à faire que de regarder attentivement les études. Il se contente de citer des chiffres hors contexte, sans jamais rapporter les analyses des chercheurSEs responsables des études. Il ne rappellera à aucun moment la méthodologie des études, notamment le fait que deux d’entre elles reposent sur des déclarations par auto-questionnaire des risques d’exposition, donc sur la perception qu’ont les professionnelLEs de ces risques, donc de leur représentation des maladies. Le HCSP ne mentionnera jamais qu’aucune étude ne propose l’interdiction des soins funéraires en cas de VIH et d’hépatites virales. A ce niveau, on ne peut même plus parler d’incompétence, mais bien de détournement de la recherche.

Le HCSP ne se contente d’ailleurs pas de détourner les résultats scientifiques, il dévoie aussi des principes de base des droits des malades. Selon l’instance, le « rapport bénéfice-risque » ne serait pas en faveur des soins funéraires car la personne est décédée. Il faut comprendre que le bénéfice serait pour la famille et l’entourage du défunt, le risque pour le professionnel. Le HCSP ne donne évidemment pas la parole aux proches et aux familles des défuntEs concernéEs par l’interdiction : comment alors évaluer le « bénéfice » rigoureusement et scientifiquement ? Aucune méthodologie n’est indiquée : ce sont donc les seuls préjugés des auteurEs qui feront loi.

Mais il y a pire. Toute personne rigoureuse sait que, dans le cadre de la prise en charge médicale, ou d’une recherche, le rapport bénéfice / risque s’entend comme un consensus entre soignantE et soignéE, dans le seul intérêt du/ de la malade : c’est chez lui/elle et avec lui/elle qu’on évalue le rapport, comme l’efficacité du traitement versus l’inconfort des effets indésirables, par exemple, ou la prise d’un risque potentiellement vital versus le soulagement de la douleur.

Le HCSP, lui, oppose bénéfice chez les proches et risque chez les professionnelLEs ! Le « rapport bénéfice risque » n’a donc plus le sens qu’on lui accorde d’habitude. Il s’agit d’un dévoiement de principes éthiques et médicaux, afin de masquer des préjugés et des discriminations contre les personnes vivant avec le VIH, et d’enjoliver un discours méprisant envers les proches et les familles des mortEs.

Dernier dévoiement, les conditions de travail des professionnelLEs. Pour le HCSP, « Les conditions de travail des thanatopracteurs s’effectuent dans des conditions différentes : différences majeures entre celles offertes par exemple, par les funérariums des maisons de santé par rapport à celles rencontrées aux domiciles des personnes décédées ».

Le raisonnement est donc : comme les conditions de travail sont parfois précaires, ne les améliorons pas, et excluons les séropos ! Voilà qui est bien dans l’air du temps politique, et qui devrait faire plaisir à tous les syndicats. On imagine par exemple ce que cela pourrait donner, appliqué au système de soins : «on baisse le nombre d’infirmières, leurs conditions de travail sont éreintantes, elles vont faire des erreurs, donc il vaut mieux qu’elles ne soignent plus les séropos, vous comprenez, hein, le principe de précaution…».

comment on crache sur nos tombes et sur la démocratie sanitaire

La science prouve que l’interdiction est une absurdité. Les « expertEs » qui prétendent le contraire ont travaillé n’importe comment, sans consulter les personnes concernées, en faisant passer leur phobie pour de la science. On comprend donc qu’avec les associations invitées à la DGS le 10 janvier, nous ayons été méfiantEs à la perspective d’une réunion purement technique de concertation, fixée au dernier moment, pour répondre à la pression médiatique, sans nous demander nos disponibilités – beau respect de la démocratie sanitaire - et en l’absence de tout politique. Xavier Bertrand nous ignore, Nora Berra a préféré, le jour même, rencontrer des représentantEs de l’Eglise Catholique, affichant ses priorités à quelques mois des législatives où elle sera candidate, à Lyon. La veille, les associations de lutte contre le sida, dont Act Up-Paris, exigeaient une garantie politique que cette réunion viserait bien à lever l’interdiction, et non à parler dans le vague avec des gens qui ont suffisamment montré leur incompétence. Le jour même, au bout de 10 minutes de réunion, sans ordre du jour, ni objectif – la DGS n’avait pas mandat pour annoncer une levée de l’interdiction -, ces mêmes associations quittaient cette réunion-alibi.
Le lendemain, l’administration communiquait en affirmant qu’«il était possible d’autoriser des actes de conservation invasive des corps chez des personnes atteintes de certaines pathologies infectieuses, dont le VIH et les hépatites, dès lors que les conditions adéquates de pratique de la thanatopraxie auront été définies». Or ces conditions sont définies depuis la fin des années 80 : l’interdiction doit être levée maintenant !

Et pour nous rappeler que l’obscurantisme gangrène toute l’administration, la DGS indiquait : «Lors de cette réunion, la Direction générale de la Santé a souhaité rappeler qu’il est de sa responsabilité de garantir la sécurité sanitaire des actes potentiellement à risque pour la santé des citoyens, en particulier des professionnels et de l’entourage de la personne décédée». Dites-moi, docteur Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, en quoi des soins funéraires pour les séropositifVEs au VIH ou aux hépatites virales constitueraient-ils un danger pour l’entourage de la personne décédée ?
Le virus du sida se transmettrait-il par des ondes mystérieuses au moment du deuil ?