C’est fait ! Depuis le début de cette année, les études de cohorte de l’ANRS CO15 (asymptomatiques à long terme) et CO18 (HIV controllers) ont fusionné pour devenir CO21, la cohorte des extrêmes, ou CODEX.
Les études de cohorte, ce sont ces protocoles de recherche appliqués à un groupe d’individus présentant des caractéristiques spécifiques chez qui on mène des recherches observationnelles pour comprendre ce qui les caractérise ou étudier leur évolution au fil du temps. L’intérêt d’étudier ce qui se passe chez les rares séropositifs qui semblent résister au VIH sans aide thérapeutique est déjà ancien. Cependant, la progression des connaissances sur l’infection, les modes de prise en charge et les enjeux de l’épidémie ont fait évoluer au fil du temps la manière d’aborder le sujet et émerger des questions scientifiques nouvelles. Il est ainsi devenu de plus en plus intéressant de regrouper l’ensemble des chercheurs intéressés par ces aspects au sein d’un même projet. C’est ce qui vient de se concrétiser avec le démarrage de CODEX. Mais revenons d’abord sur la genèse.
La cohorte CO15 des asymptomatiques à long terme (ALT) dirigée par Brigitte Autran a commencé en 1994 à recruter des personnes séropositives depuis plus de 8 ans dont le compte de lymphocytes CD4 par mm3 de sang était supérieur à 600 et stable, ne présentant pas de symptômes de l’infection et n’ayant jamais pris de traitement. Il s’agissait là d’une définition immunologique du contrôle de l’infection. Elle a recruté 71 personnes jusqu’en 1996 où, avec l’arrivée des trithérapies et la mise sous traitement massive des séropositifs, le recrutement a été interrompu. Le suivi s’est néanmoins poursuivi pendant 17 ans, bien que le nombre de personnes n’ait cessé de se réduire, le plus souvent parce que les participants ont finalement démarré un traitement. Par ailleurs, les connaissances et les questions de recherche de l’époque ont fait que les personnes échappant au contrôle n’ont pas été suivies et ont quitté la cohorte. Il devient donc intéressant aujourd’hui de reprendre ce travail.
La cohorte CO18 est plus récente. En 2004, Olivier Lambotte lançait un premier projet de recherche sur les contrôleurs du VIH (HIV controllers ou HIC), l’étude de physiopathologie EP36. Au fil des années qui ont suivi, diverses questions de recherche sont venus renforcer le projet initial, prolongeant l’étude par des phases successives jusqu’au moment où l’ANRS décidait de pérenniser ce travail en le transformant en 2009 en une étude de cohorte dénommée CO18. Par opposition à ALT, ce n’est pas le paramètre immunologique qui a été retenu pour définir les HIC mais un paramètre virologique, la mesure de charge virale. En effet, les personnes séropositives qui furent recrutées dans cette étude devaient présenter une charge virale sous le seuil de 400 copies par ml de sang depuis 10 ans en l’absence de traitement antirétroviral.
L’étude des personnes séropositives capables de contrôler leur infection est devenue une question majeure de recherche aujourd’hui. En effet, elle répond aux enjeux modernes de la lutte contre le sida qui cherchent à poursuivre la prise en charge clinique de l’infection au-delà des trithérapies qui, comme on le sait bien, ne font que ralentir le développement de la maladie mais ne donnent aucune perspective de guérison. Mais il s’agit aussi de trouver des pistes d’amélioration de l’état de santé au long cours des séropositifs. En effet, même sous traitement, les malades sont confrontés à des complications qui apparaissent au long cours du fait de l’activité persistante du système immunitaire dû à l’infection virale. D’autre part, comprendre les mécanismes en jeu dans le contrôle naturel du VIH sont d’une très grande utilité pour la recherche vaccinale qui cherche à produire les mêmes effets par une stimulation de l’immunité. Il devenait donc évident de rassembler les équipes de recherche ayant travaillé sur tous ces sujets.
La cohorte CODEX, ANRS CO21, a donc pour objectif de poursuivre l’étude sur le long terme des personnes séropositives ayant un contrôle prolongé de la réplication virale ou le maintien d’un taux élevé de lymphocytes T CD4+, afin d’étudier leur évolution clinique, immuno-virologique et éventuellement thérapeutique. Cette nouvelle cohorte envisage de recruter 300 personnes, 200 HIC (ou ALT/HIC, personnes satisfaisant aux deux définitions) et 100 ALT, qu’elles soient issues des cohortes précédentes ou nouvelles. La durée de vie de cette cohorte est de 5 ans et pourra être renouvelée.
Les critères d‘inclusion de cette nouvelle cohorte ont été un peu revus. Ainsi, les ALT devront avoir un taux de lymphocytes T CD4+ au dessus de 600 sur trois mesures dans les cinq ans précédant leur inclusion, les HIC une charge virale inférieure à 400 copies depuis au moins 5 ans et le cumul de ces deux critères définiront les HIC/ALT.
Le suivi de nombreux paramètres biologiques et de l’histoire clinique recueillis annuellement constitue déjà en soi une donnée importante. Mais à cela s’ajoutent un certain nombre d’études proposées par diverses équipes de recherche dans différentes disciplines.
– En immunologie, les études de l’efficacité des différentes populations de lymphocytes seront poursuivies. Les nombreuses réponses déjà apportées dans les études précédentes ont mis en évidence l’efficacité supérieure des lymphocytes des contrôleurs qu’il s’agisse des CD8 cytotoxiques qui jouent un rôle majeur ou des CD4 essentiels dans le contrôle de la réponse immune. Au fur et à mesure de l’avancée de ces travaux, les modèles s’affinent et se précisent. Mais le rôle des anticorps et des lymphocytes B qui les produisent est également étudié dans cette recherche.
– En virologie, bien évidemment, l’étude des réservoirs viraux et les particularités des contrôleurs continuera à être observée dans la nouvelle cohorte.
– En génétique, la base de données issue des études précédente sera complétée. Dans ce type de recherche qui a déjà mis en évidence certains gènes associés à une meilleure réponse au virus, la quantité de données est un facteur de qualité essentiel puisqu’il s’agit avant tout de recherches basées sur la statistique.
– En sciences sociales, les chercheurs mènent une étude sur le vécu particulier de ces séropositifs qui contrôlent l’infection sans traitement. Quel vécu de la séropositivité pour des gens qui n’ont pas besoin du suivi médical lourd des autres malades ? quelle perception du poids d’une pathologie souvent stigmatisante ? quelle perception du risque de transmission d’un virus qui ne se manifeste pas vraiment ? quel sentiment vis-à-vis des autres séropositifs, des séronégatifs ?… Tant de questions qu’il est essentiel d’étudier parce que non seulement les personnes qui participent à ce projet éprouvent souvent le besoin de s’exprimer sur leur différence mais aussi ce sont des questions qui pourraient aider dans l’avenir
à un meilleur accompagnement des séropositifs dans d’éventuelles perspectives de thérapies pouvant modifier leurs conditions de vie.
Dans les nouveaux enjeux de la recherche sur le sida, la cohorte des extrêmes occupe une place de choix parce qu’elle constitue un des projets les plus intéressant susceptibles de fournir des connaissances et des réponses dans tous les champs explorant les solutions thérapeutiques ou préventives qui feront l’avenir de la lutte contre le sida. On n’a donc pas fini de s’y intéresser.
qui contacter pour rentrer dans cette étude ?
investigateur coordonnateur :
Pr. Olivier Lambotte, Hôpital Bicêtre (Le Kremlin-Bicêtre) :
01 49 59 67 54