Alors que se succèdent les promesses d’en finir avec le sida, il est nécessaire de rappeler que cela ne sera pas possible sans une réduction des prix exorbitants imposés par l’industrie pharmaceutique sur leurs molécules. Cela rend donc indispensable de soutenir la concurrence des médicaments génériques, et de lutter contre tout ce qui risque de les entraver, notamment des accords commerciaux négociés en toute opacité par les pays riches. Pour suivre les débats de la conférence sur le sujet, voici tout ce que vous rêviez de savoir sur les médicaments génériques.
Qu’est-ce qu’un brevet ?
Un laboratoire qui vient de découvrir une molécule va déposer un brevet, un titre qui lui donne le monopole sur son invention. Il sera donc le seul à pouvoir le commercialiser sauf s’il décide de céder le brevet de production ou de diffusion à un tiers.
Pour certains pays, les droits des brevets sont définis par les accords TRIPS (trade-related aspects of intellectual property rights. En français ADPIC (Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce) mis en place par l’Organisation Mondiale du Commerce.
Ces accords fixent à 20 ans la durée du monopole pendant laquelle le détenteur du brevet est le seul à pouvoir produire ou commercialiser le produit, donc à recevoir les recettes. Ce monopole autorise le laboratoire à tous les excès : même si les prix sont négociés avec les autorités nationales, cela se fait souvent dans des conditions très opaques (c’est le cas en France) qui autorisent les industriels à imposer leurs tarifs.
Dans les pays non signataires des accords TRIPS, c’est la loi nationale qui fixe la durée et les conditions du brevet. Une des raisons pour lesquelles l’Inde produit et exporte autant de médicaments génériques, c’est qu’elle dispose d’une législation nationale bien plus souple en matière de génériques. La signature des accords TRIPS en 2005 par ce pays a entraîné un frein dans la production et l’exportation des médicaments génériques de dernière génération.
Il faut enfin souligner une pratique courante de l’industrie pharmaceutique qui consiste à prolonger la durée du monopole en déposant un nouveau brevet d’une forme très légèrement différente de la molécule de départ. Il s’agit de « l’evergreening ». L’Inde, toujours elle, dispose d’une législation qui interdit cette pratique, et que le laboratoire Norvatis essaie de démanteler par un procès.
Quelles sont les conséquences des brevets ?
En assurant un monopole, les brevets sont censés permettre aux industries du médicament d’assurer un retour sur des investissements en recherche et développement toujours présentés comme « risqués ». De même, le brevet garantirait l’innovation. Or, de nombreuses études économiques et scientifiques, et les résultats que les compagnies publient chaque trimestre, démontrent les faits suivants :
Le renforcement des brevets des trois dernières décennies s’est accompagné d’une baisse de l’innovation. Il y a de moins en moins de nouvelles molécules représentant un véritable changement. Au lieu de cela, l’industrie tend de plus en plus à adapter de vieilles recettes existantes ;
Les bénéfices exceptionnels réalisés grâce aux tarifs insensés imposés par l’industrie sont pour une grande part donnés aux actionnaires ; de plus, la part d’investissement dans la recherche et le développement est ridicule comparée aux dépenses de marketing ou de lobby.
Les brevets entravent l’accès aux traitements et sont directement responsables de la mort quotidienne d’une quinzaine de milliers de personnes qui n’ont pas accès aux molécules qui pourraient sauver leurs vies.
Comment contourner les brevets ?
En matière d’accès aux traitements contre le VIH, les progrès réalisés au cours de la dernière décennie sont dus notamment à l’accroissement des financements et à la baisse du prix des médicaments grâce à la concurrence des génériques.
Certaines législations nationales et le droit international prévoient, au sein des accords TRIPS, des exceptions parfaitement légales au droit du brevet. De nombreuses modalités existent, nous n’en citerons que deux.
Grâce aux licences volontaires, un état demande l’autorisation au détenteur du brevet d’utiliser des génériques du médicament moyennant des royalties. Dans le cas d’une licence obligatoire, l’état se passe de l’autorisation du détenteur de brevet, mais doit tout de même lui payer des royalties. C’est cette disposition qui, dans le cadre très contraint du droit du brevet, est la plus intéressante puisqu’elle contourne le bon vouloir du laboratoire ; mais dans les faits, les pays qui émettent des licences obligatoires sont soumis à des pressions économiques et politiques de la part des pays riches et des laboratoires. Un des exemple les plus édifiants à cet égard est la Thaïlande, soumise aux menaces du laboratoire Abott et de la Commission européenne.
Unitaid a mis en place une communauté de brevets (Patent Pool) : le MPP (Medicines Patent Pool) négocie avec chaque détenteur de brevet une licence volontaire collective. Sur le papier, l’intérêt est double : chaque état n’a plus à négocier sa licence ; par ailleurs, on peut disposer de génériques de plusieurs molécules différentes. En réalité, l’expérience, commencée depuis deux ans, n’arrive toujours pas à convaincre. D’une part seul un gros laboratoire a accordé une licence volontaire. D’autre part, l’accord signé est honteux : il exclue de nombreux pays de la licence et va compliquer dans certains cas l’accès aux génériques dans ces pays.
On le voit, ces exceptions légales restent… exceptionnelles, malgré le soutien d’une déclaration des pays de l’OMC en 2003 (déclaration de Doha) qui entendait prioriser les impératifs de santé contre le droit du brevet. Le cadre légal est inadapté à l’urgence d’une mise sous traitements de millions de personnes. Il faut donc travailler à une nouvelle politique, qui pense autrement la recherche, le développement, la production, la diffusion, la couverture du risque lié à l’innovation, etc. Il faut en finir avec le brevet partout où il tue.
Les fronts de la lutte pour les génériques
Mais tout en travaillant à cette nouvelle politique, il faut aussi sauver les dispositions existantes qui restent intéressantes. Or, la concurrence des génériques ne cesse d’inquiéter les détenteurs de brevets. Les grandes compagnies, soutenues par les pays génériques qu’elles ne cessent de lobbyer – on peut dans certains cas très clairement parler de corruption – mènent une guerre sur plusieurs fronts :
– le laboratoire Novartis porte plainte contre l’Inde pour mettre à bas sa disposition contre l’evergreening ;
– l’accord ACTA assimilait les génériques à de la contrefaçon, et proposait de nombreuses dispositions hostiles aux génériques. Grâce au travail activiste, le Parlement européen l’a rejeté début juillet ;
– De nombreux accords bilatéraux négociés par les États-Unis ou la Commission européenne contiennent eux aussi des clauses qui entraveront les génériques ; sont actuellement sous le feu des projecteurs l’accord négocié entre la Commission européenne et l’Inde, ou encore le Trans Pacific Partnership (TPP) en discussion entre les États-Unis et les pays de la région Pacifique (Amérique du Sud, Asie). Mais il y en a bien d’autres ; et si les activistes tentent de combattre ces traités, leur nombre, la diversité des situations et les moyens mis en place par les ennemis des génériques sont tels que le combat est dur à mener : rejoignez-nous !