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De janvier à octobre 2012, plus de 4 millions de personnes sont mortes du sida, du paludisme ou de la tuberculose, alors que les traitements qui auraient pu sauver ces vies existent. Les médicaments et les examens de suivi des malades demeurent trop chers pour assurer l’accès universel. Sur la même période, le laboratoire pharmaceutique américain Abbott a réalisé un bénéfice net de près de 5 milliards de dollars, soit 7 % de plus que l’année précédente. Pour le français Sanofi, le bénéfice est de 6 milliards.
C’est peu de dire que la crise ne touche pas l’industrie pharmaceutique. Elle lui est même profitable, puisqu’elle sert de prétexte pour licencier à tour de bras et maintenir des prix exorbitants. Alors que précaires et malades sont priéEs de se serrer la ceinture, y compris concernant leur santé, on comprend mal que les Etats ne s’attaquent pas à cette source d’économie potentielle. Car les prix imposés par l’industrie sont injustifiés, partout dans le monde. Dans des pays comme la France, ils grèvent les systèmes de santé. Mais c’est bien sûr dans les pays pauvres que la politique tarifaire imposée par les laboratoires pharmaceutiques a les conséquences les plus meurtrières. Qu’est-ce qui peut justifier qu’on maintienne de tels prix malgré l’urgence sanitaire, qui ne se limite pas aux trois pandémies citées plus haut ?
Les médicaments sont produits et commercialisés par les laboratoires pharmaceutiques, des industries privées à but lucratif. À ce titre, les médicaments sont soumis aux règles du commerce, et notamment aux droits dits de « propriété intellectuelle ». Il s’agit d’un ensemble de droits exclusifs sur un produit immatériel (en l’occurrence le procédé chimique du médicament) visant officiellement à compenser les efforts de recherche et de développement (R&D) qui auraient permis de l’inventer. Cette fiction a depuis longtemps été démontée. Les chiffres de R&D affichés par l’industrie ne représentent qu’une petite part du chiffre d’affaire (14 % dans le cas de Novartis en 2012, contre 24 % pour les frais commerciaux et de gestion). D’autre part, les industriels bénéficient du soutien des Etats et de la recherche publique, sans aucune contrepartie. Enfin, alors qu’au cours des quatre dernières décennies la « propriété intellectuelle » a été considérablement renforcée, on constate une baisse de l’innovation en matière de médicaments.
Bien que mensongère, cette fiction se traduit dans le droit par l’acquisition d’un brevet pour une durée minimum de vingt ans sur tout médicament considéré comme innovant, durée pendant laquelle seul le laboratoire détenteur du brevet est autorisé à produire et commercialiser le médicament. En l’absence de toute concurrence, il est libre d’en fixer le prix. Cette logique commerciale a été consacrée internationalement par l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), signé dans le cadre de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) en 1994.
Alertés par les activistes de la lutte contre le sida sur les conséquences désastreuses de cette logique sur l’accès aux médicaments dans le Monde, les Etats membres de l’OMC ont adopté en 2001 la Déclaration sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique (dite Déclaration de Doha) qui reconnaît la priorité des enjeux sanitaires sur la protection commerciale des produits pharmaceutiques.
Le travail des militantEs a payé : l’exploitation des quelques flexibilités de l’ADPIC et le recours accru aux médicaments génériques contre le VIH ont permis en dix ans une réelle augmentation du nombre de personnes sous traitements : de 5 % en 2001 à près de 50 % aujourd’hui. Mais ces progrès restent insuffisants, et le recours aux flexibilités de l’ADPIC est soumis à de fortes pressions politiques et économiques. Après avoir usé en 2006 d’une de ces flexibilités pour donner accès à sa population à l’efavirenz, la Thaïlande s’est vue menacée de rétorsions par les Etats-Unis et l’Union européenne. Le laboratoire Abbott, qui détenait un brevet sur l’efavirenz, a « puni » la Thaïlande en refusant d’y enregistrer plusieurs de ses nouveaux médicaments.
Faire valoir des exceptions restreintes à un système fondamentalement injuste n’est donc pas une réponse adéquate à la crise sanitaire, surtout que le contexte a beaucoup changé depuis la fin des années 90. En effet, jusqu’en 2005, l’Inde a profité d’un délai d’application de l’accord ADPIC pour développer son industrie du médicament générique et produire des versions jusqu’à 90% moins chères des médicaments contre le sida, le paludisme, etc. Elle est ainsi devenue la première source d’importation des produits pharmaceutiques disponibles au Sud (80% des antirétroviraux distribués en Afrique sont d’origine indienne), ce qui lui a valu le surnom de « Pharmacie du Monde ». Mais, depuis 2005, le pays a dû mettre sa législation en conformité avec l’ADPIC et reconnaître les brevets. Cela implique que les nouveaux médicaments anti-sida, moins toxiques et plus efficaces, ne pourront plus être génériqués ; leur prix restera donc prohibitif, alors que les malades des pays pauvres commencent à développer des résistances aux premières générations de médicaments anti-VIH.
Parallèlement, les pressions des industries pharmaceutiques sur les pays occidentaux visent à durcir encore plus la protection des médicaments princeps. Dans l’Accord commercial anti-contrefaçon ACTA, négocié entre autres par l’UE, les médicaments génériques sont assimilés à de la contrefaçon et fermement réprimés. C’est notamment grâce à la mobilisation des militantEs luttant contre le sida que l’accord a finalement rejeté par le Parlement européen en juillet 2012 . Mais l’UE, suivant l’exemple des Etats-Unis, continue de mener une guerre contre les génériques sur un autre front, celui d’accords commerciaux bilatéraux qui contiennent des dispositions renforçant encore plus la protection des brevets. L’Organisation mondiale de la santé, UNITAID et le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, se sont alliés aux activistes pour dénoncer les conséquences de l’accord négocié avec l’Inde sur l’accès aux médicaments.
De son côté, le laboratoire Novartis tente de limiter la production de génériques par une action juridique contre la loi indienne. La Cour Suprême du pays doit bientôt rendre sa décision après 7 ans de procédure.
15 000 personnes meurent chaque jour du sida, du paludisme et de la tuberculose. Ce sont les victimes quotidiennes d’une guerre menée par les industriels du médicament pour assurer leurs profits. Les malades des pays riches paient eux aussi leur tribut à cette politique tarifaire exorbitante : depuis juin, la Grèce connaît une pénurie de médicaments car les laboratoires refusent d’approvisionner les pharmacies qui ne sont plus remboursées par l’Etat. Face à cette réalité, on ne peut plus transiger.
Les gouvernements doivent abolir la « propriété intellectuelle » partout où elle tue, lutter contre la corruption par l’industrie pharmaceutique de tous les lieux de décision et de pouvoir, y compris les médias, et assurer un accès universel aux traitements. Le système de santé fondé sur le brevet gangrène les politiques sanitaires : il faut en changer.
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