Deux militants d’Act Up-Paris sont présents toute la semaine à Atlanta pour suivre la vingtième édition de la CROI, la conférence américaine sur les rétrovirus et les infections opportunistes. Conforme à son principe fondateur, « Information = pouvoir », Act Up-Paris considère que cet événement scientifique est un lieu essentiel de réappropriation du savoir médical.
Comme toujours, cette conférence très dense donne lieu à des comptes-rendus quotidiens, qui tentent de refléter au mieux les principaux résultats présentés lors de la conférence, mais qui permettent surtout de développer certains points, qu’il nous semble important de diffuser auprès des personnes. Conforme à son principe fondateur, « Information = pouvoir », Act Up-Paris considère que cet événement scientifique est un lieu essentiel de réappropriation du savoir médical. Nouvelles pistes de recherche La session consacrée aux jeunes chercheur-e-s, posait des questions très diverses, de l’actualité de la recherche sur les réservoirs du VIH à la prévention biomédicale, en passant par des travaux consacrés à l’hépatite C. Dans une intervention intitulée « Prévention du VIH, et après ? », Susan Buchbinder, du San Francisco Department of Public Health présentait des données générales sur l’épidémie, avec un focus sur les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), aux États-Unis et dans le monde. Elle reprenait à son compte l’importante question du réseau sexuel, qui constitue l’une des explications de la diversité de prévalence entre les populations : en bref, le nombre de partenaires infectés dans une population et leur proximité implique des risques différents selon les situations, et explique le fait que l’épidémie puisse être généralisée dans certains groupes et non dans les autres. Buchbinder se référait notamment à un article récent, qui compare différents modèles de réseaux sexuels [[Carnegie NB, Morris M (2012) Size Matters: Concurrency and the Epidemic Potential of HIV in Small Networks. PLoS ONE 7(8): e43048. doi:10.1371/journal.pone.0043048]], et qui pose notamment la question de l’exclusivité sexuelle : ainsi, l’exposition au virus et donc l’éventualité d’une contamination n’est pas la même si les relations sexuelles d’un groupe de personnes se chevauchent (concurrency), ou si elles se succèdent selon un modèle d’exclusivité sexuelle. La question du réseau sexuel se pose également à un autre niveau, celui de la circulation entre groupes à forte prévalence et population générale. À cet égard, on peut opposer deux modèles de prévention : celui qui agit sur les groupes à forte prévalence en ciblant les interventions préventives, dans le but de réduire globalement l’épidémie, et celui qui cible les interactions entre des groupes à forte à prévalence (par exemple les HSH ou les sexworkers) et le reste de la population. Ce dernier modèle pourrait amener à penser une prévention plus ciblée sur les bi et les clients des travailleurs de sexe par exemple, illustrant une forme de cynisme qui consiste à abandonner le groupe à risque à sa forte prévalence. Par ailleurs, ce type projet en matière de prévention se heurte bien souvent à son absence de réalisme : comment identifier les personnes que l’on veut toucher, et comment mettre en œuvre des stratégies efficaces dans ce cadre ? Susan Buchbinder commentait également les résultats des essais de PrEPs. Bien qu’elle n’ait pas apporté d’éléments nouveaux par rapport aux données connues, elle a insisté sur le problème récurrent de l’observance, qui explique généralement l’échec de cette stratégie ou sa relative efficacité (suivant les études). Elle plaidait pour le développement de nouveaux modes de délivrance des PrEPs, tels que les anneaux intra-vaginaux, les injections périodiques ou des solutions locales. Hépatite C Robert Schooley de l’Université de Californie à San Diego a présenté ce qui devrait amener des changements importants dans la recherche contre l’hépatite C dans les prochaines années. Il est parti d’une comparaison entre les épidémies d’hépatite C et de VIH aux USA, indiquant que le nombre de personnes infectées par le VHC, de même que le nombre de morts, est plus important que pour le VIH. Par ailleurs, la majorité des infections à l’hépatite C se fait par usage de drogue, alors que la transmission sexuelle est largement majoritaire pour le VIH. La proportion de séropositifs au VIH co-infectés à l’hépatite C est importante, alors que celle de séropos au VHC co-infectés au VIH est nettement plus faible. Passant très brièvement sur les résultats parmi les plus prometteurs des antiviraux directs en cours d’essai, il conclut que des taux élevés de guérison devront être atteints d’ici un lustre. Aussi de nouveaux enjeux se poseront, comme celui de tester l’efficacité et la tolérance face à des molécules mises sur le marché dans des populations qui ne sont généralement pas inclues dans les essais de phase II et III. On peut dire que ça s’appelle une perte de temps pour la recherche et une perte de chance, par exemple pour les co-infectés, dont certains seront morts entre-temps. Il est par ailleurs prévu que le pic de maladies du foie dues à l’hépatite C aura lieu dans les 10 ou 15 ans ; c’est pourquoi il sera nécessaire de mieux comprendre la fibrogénèse et la carcinogénèse due au VHC afin d’y trouver des préventions, y compris pour les personnes guéries mais ayant une cirrhose. Il y aura ensuite encore du travail sur l’allègement du traitement, de sa durée, de ses effets indésirables et de ses possibles interactions. Là encore, il faut préciser que les firmes doivent dès maintenant faire des études d’interactions. Robert Schooley incite à faire d’avantage de recherches pour un vaccin prophylactique, qui pourraient s’avérer utiles pour d’autres infections. Réflexion sur le design des essais La session consacrée au design des essais revenait sur des débats méthodologiques qui animent fréquemment la recherche, à l’image du débat sur la nécessité ou non d’un bras placebo pour l’essai IPERGAY en France. Avec beaucoup de pédagogie, Caroline Sabin revenait sur les mérites comparés des différents types de design envisageables pour des essais : essais randomisés avec un bras contrôle, cohortes, études de cas, etc… Timothy Allett, quant à lui, interrogeait l’articulation entre essais (sur des personnes) et modèles (mathématiques). Plaidant pour une vision « symbiotique » de cette articulation, il insistait sur la nécessité de ne pas mettre en concurrence essais et modèles dans les politiques de la recherche, par exemple en défendant le caractère plus « pur » des modèles, ou au contraire en pourfendant leur manque de réalisme. Dans cette idée de symbiose méthodologique, les modèles servent notamment à construire les protocoles les plus pertinents pour de futurs essais, mais également à extrapoler, les dites extrapolations devant ensuite être vérifiées par des essais, permettant de construire de nouvelles hypothèses… En somme, cette alliance disciplinaire des mathématiques et de la recherche empirique permet de construire des cercles vertueux afin de mieux appuyer les hypothèses de recherche. Recherche vaccinale Le matin, Beatrice Hahn de l’université de Pensylvanie (Philadelphie) rapportait dans la session des jeunes chercheur-e-s les résultats de recherches visant à caractériser le phénotype des virus VIH-1 capables d’être à l’origine de nouvelles infections, cela partant de l’idée que tous les phénotypes de virus, c’est-à-dire leur forme ou leur présentation, n’ont pas le même potentiel d’infectiosité. En effet, l’infection d’une cellule nécessite l’action de protéines d’enveloppe à la surface du virus. La question est de caractériser les souches de virus qui ont été identifiées comme capables de traverser les muqueuses et d’infecter les cellules de l’organisme. De telles souches, qualifiée en anglais de « transmission/founder » (TF) ont pu être identifiées grâce à des recherches expérimentales et théoriques. Les études présentées par Beatrice Hahn ont confirmé le tropisme CCR5 des virions TF. CCR5 est un des co-récepteurs qui peut jouer le rôle d’une clef pour que le virus puisse entrer dans la cellule. Plus récemment, les propriétés biologiques des clones TF passant par les muqueuses ont été comparées à celles de virus contrôles (sous-types B et C du VIH-1) dans des expérimentations sur les premières étapes de l’infection à VIH-1. Les virions TF se sont avérés plus infectieux et présentaient plus de glycoprotéines d’enveloppe. Ils ont aussi une bonne capacité à se lier aux cellules dendritiques, donc d’être transportés par elles, comme d’être transférés rapidement de ces cellules aux CD4. Il apparaît aussi, que comparativement, ils ont une bonne résistance à une réponse immunitaire innée et rapide puisqu’ils se répliquent rapidement en présence d’interféron alpha. Helder Nakaya, de l’Emory University d’Atlanta, a montré dans une intervention en début d’après-midi comment le développement récent de technologies pouvait permettre de faire avancer l’immunologie via la prédiction de certaines réactions immunitaires face des agents. En effet, si pendant des siècles des vaccins ont été développés sans que l’on comprenne exactement les mécanismes à l’œuvre dans leur efficacité, il est désormais possible d’accéder à des informations sur tous les composants d’un système biologique (gènes, protéines, cellules…) et de les modéliser. Après avoir décrypté les caractéristiques de plusieurs vaccins d’efficacité et de durée différentes, faisant des allers-retours entre la caractérisation clinique et la modélisation, il devient ainsi possible de préfigurer comment devrait être le candidat vaccin le plus efficace. Mais cela reste néanmoins un travail de longue haleine, et apparemment relativement peu avancé pour ce qui est du VIH… La suite dans le prochain épisode