Alors que le Conseil national du sida s’apprête à rendre son avis sur les auto-tests ce vendredi 22 mars, Act Up-Paris met à disposition tout au long de la semaine de la documentation sur le sujet afin d’éclairer le débat. Aujourd’hui, nous publions un résumé écrit de notre position et de nos recommandations présentées au Conseil national du sida lors de l’audition de représentants d’Act Up-Paris le 25 octobre 2012.
De quel point de vue parlons-nous ?
• En tant qu’association de personnes vivant avec le VIH et d’activistes de la lutte contre le sida, nous ne menons pas d’action de terrain autour du dépistage.
• Dans nos débats internes récents concernant les auto-tests, des militantEs qui avaient récemment découvert leur séropositivité ont insisté pour dire à quel point elles et ils pensaient qu’il aurait été très dur de l’apprendre seulE, sans l’appui d’une tierce personne (médecin, associatif, etc.). Elles se sont inquiétées des conséquences que cela pouvait avoir sur des personnes particulièrement isolées.
• Selon nous, il est toujours préférable de connaître son statut sérologique. Cela permet une prise en charge précoce ; c’est donc un gain pour la santé individuelle. La connaissance de sa séropositivité peut s’accompagner d’une adaptation des comportements de prévention.
Notre position historique, et ce qui l’a fait évoluer
Act Up-Paris était opposée à l’autorisation des auto-tests, suivant en cela les divers avis du CNS. Les problèmes de fiabilité, les enjeux éthiques que peut poser un tel outil mis à disposition librement (par exemple le dépistage à l’insu d’une personne) ou les craintes que peut susciter l’idée d’un diagnostic découvert sans accompagnement fondaient notre position.
Le maintien d’une épidémie cachée, l’échec des politiques de dépistage à l’endiguer et la nécessité que les personnes qui l’ignorent connaissent leur statut sérologique justifient qu’on réinterroge ce refus. La seule étude menée en France sur les connaissances, représentations et utilisations des auto-tests portent sur les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes et a fait l’objet de deux publications dont les résumés sont accessibles à cette page et celle-ci. On en trouvera une analyse sur notre site React Up. Elle indique que la mise à disposition d’auto-tests serait utile à des personnes qui prennent des risques et qui ne vont pas se faire dépister, notamment pour des raisons qui tiennent à la peur d’être identifiés comme homosexuels, ou la crainte de stigmates supplémentaires liés à tout ce que véhicule le VIH/sida. Ces données, en l’absence regrettable d’autres études, peuvent cependant être extrapolées à d’autres populations qui ne vont pas se faire dépister par peur du stigmate supplémentaire. L’auto-test peut donc être utile à des populations qui échappent totalement au dépistage traditionnel.
Cette adaptation à une réalité indéniable ne doit cependant pas faire oublier toutes nos réserves sur l’outil qui permettrait d’y faire face. Il s’agit donc de trouver un mode de diffusion, de counselling, d’orientation, adapté aux situations identifiées mais qui évite une banalisation, et qui permette un raccrochage au système traditionnel. Enfin, la discussion sur les auto-tests ne doit pas faire oublier les causes de l’échec du dépistage « traditionnel » chez certaines personnes : la discrimination, la peur de l’exclusion, l’homophobie, le sexisme, etc. ; mais aussi le manque de moyens pérennes accordés à la diversification de l’offre de dépistage, notamment le soutien à des actions menées par des petites structures locales.
Nos recommandations au Conseil national du sida
• Il est nécessaire de lutter contre la sérophobie, l’homophobie, le sexisme, la transphobie et tout ce qui empêche des personnes d’aller se faire dépister. La discrimination est une expérience partagée par de nombreuses personnes vivant avec le VIH. Qu’elle soit légale (soins funéraires interdits, franchises pour soins, refus d’assurance) ou non, il est toujours possible d’agir sur elle. L’introduction d’un nouvel outil, moins fiable, pour combattre les freins au dépistage ne doit pas dispenser les pouvoirs publics de lever ces freins. Travailler contre ces discriminations est d’autant plus nécessaire que les freins au dépistage sont le plus souvent des freins à l’accès aux soins.
• Les auto-tests doivent être complémentaires de tous les dépistages existants, et non se substituer à eux. Il est donc nécessaire d’intégrer les discussions sur leur mise à disposition dans un débat plus général sur l’offre de dépistage. Il est notamment nécessaire qu’un bilan exhaustif et critique des diverses formes récentes de dépistage (dépistage rapide, hors les murs, communautaires, etc.) afin que la mise en place des auto-tests réponde aux besoins de façon optimum.
• La question du counselling et de l’orientation d’une personne séropositive qui se serait auto-diagnostiquée doit être posée et recevoir des réponses satisfaisantes[[Dans l’étude citée plus haut, 3 personnes sur plus de 9000 répondants déclarent avoir découvert leur séroposivité dans les derniers mois grâce à un auto-test. Aucune de ces personnes n’est ensuite allée consulter un médecin pour la prise en charge du VIH.]]. Cette discussion doit d’ailleurs prendre en compte les problèmes généraux de counselling et d’orientation dans le cadre du dépistage traditionnel.
• Des études supplémentaires sur la situation française sont nécessaires. La recherche américaine, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas directement applicable à la situation française tant les paysages du dépistage des deux pays diffèrent. La seule étude française concerne exclusivement les HSH et comporte de nombreux biais décrits par les auteurs eux-mêmes. Il faut donc, avant, pendant et après la mise en place des auto-tests, produire l’expertise scientifique sur les populations qui pourraient avoir le plus besoin de cet outil, sans oublier les femmes. Sans cette expertise, la réflexion sur les canaux de mise à disposition échouera.
• Les auto-tests doivent être gratuits pour être accessibles à toutes les personnes qui en ont besoin. Faute de quoi, les pouvoirs publics produiraient de la discrimination en fonction du revenu.
• Les auto-tests ne doivent pas servir à justifier la mise à disposition des PrEPs (antirétroviraux préventifs, pas encore commercialisés en France), sous prétexte que ces tests seraient une garantie supplémentaire de bon usage des PrEPs (qui nécessitent des tests réguliers) : les PrEPs posent des problèmes de mise à disposition plus complexes, et les auto-tests constitueraient a priori un risque de « bricolage » préventif trop important.