Alors que les résultats de l’essai Voice montrent de très mauvais résultats chez les femmes, les PREPs ont aussi été au cœur des débats lors de la rencontre Femmes & VIH, Enjeux de préventions : toujours concernées ?
Yves Welker : « En ce qui concerne les PrEPs (Prophilaxie pré-exposition), il y a un énorme paradoxe : des études ont été faites en Afrique sur des couples sérodifférents hétérosexuels, pour ensuite les transposer dans un pays développé sur les homosexuels masculins dans un protocole qu’on appelle Ipergay. Je crois donc que le combat est loin d’être fini. Vous avez gagné la pilule, vous avez gagné en tant que femmes séropositives d’être regardées dans une maternité comme une femme et non pas comme une femme séropositive, donc les choses évoluent malgré tout. Mais ce sera plus lent, plus long. C’est probablement au travers de colloques comme celui d’aujourd’hui que les choses changeront.
La PrEP est un traitement antirétroviralqui pourrait être utilisé par une personne séronégative afin de la protèger du risque de contamination lors de rapports sexuels. Enfin, c’est la théorie. Que montrent les études ? Sur les couples sérodifférents, les essais qui ont été faits en Afrique montrent que cette attitude protège aux alentours de 40-44 %. Donc ça veut dire que dans 60 % des cas, vous avez des rapports sexuels non-protégés en pensant être potentiellement protégé mais vous ne l’êtes pas. Juste un détail, on ne prescrirait pas un antibiotique qui guérirait à 40 % la pathologie pour laquelle on donne cet antibiotique. Donc la PrEP telle qu’elle est testée actuellement avec le Truvada® dans la population homosexuelle c’est à mon sens une catastrophe.
Carine Favier, Présidente du Planning Familial : « J’aimerais donner aussi la raison pour laquelle les PrEPs ont été mises au point et proposées dans un certain nombre de situations. On peut être d’accord ou pas, mais il faut savoir pourquoi. Chez des personnes en situation de prises de risques importantes la baisse de 40 % n’est pas négligeable. Il faut poser ces questions en débat avec les personnes concernées, c’est-à-dire dans quelles circonstances et dans quel cadre ce moyen peut être utilisé. La difficulté principale qu’entraînent ces pratiques de prévention qui ont une efficacité relative, est la façon dont cela va influer la prévention et le discours en général. La question des microbicides se pose aussi, une baisse de 40 % ou 50 %, ce n’est pas négligeable quand dans certains endroits, la prévalence est de 20, 30, 35 %. C’est-à-dire que là où une personne sur trois est séropositive, diminuer le risque de 40% ce n’est pas rien.
Mais ça doit se faire avec un vrai accompagnement, avec une vraie discussion sur ces 60% de risques qui restent et que les personnes prennent. Après il faut voir comment ces discours, qui sont destinés à des situations particulières, vont être compris et projetés, au risque d’entraîner un relâchement des comportements. C’est là que la difficulté réside. Mais on ne peut pas, dans certaines situations, avec des populations particulièrement exposées complètement rejeter le fait que l’utilisation de la réduction des risques peut au moins se discuter et être proposée. Je crois qu’il fallait nuancer le propos.»
Yves Welker : « Premièrement, il y a une différence entre le Nord et le Sud et je suis d’accord concernant les pays du Sud. 40 %, c’est mieux que rien. Mais quand on a des traitements qui peuvent être efficaces à quasiment 100%, je trouve que c’est mieux. Deuxièment, pourquoi dans le même temps, quand il y a des accidents d’exposition sexuelle ou des accidents d’exposition au sang, on donne des trithérapies et pas des bithérapies ? On est dans une situation quasi similaire, c’est de la post-exposition. On n’est pas chez les chimpanzés, on est chez l’homme et c’est ça qui me pose un problème sur le plan éthique, sur le plan philosophique, même si sur le plan « conception » j’entends que la PrEP a sa place. Ajouté au fait qu’actuellement sur Paris, comme dans toutes les capitales européennes, il y a une augmentation des chlamydia trachomatis, des gonococcies et des syphilis, qui sont les principaux vecteurs d’accélération du processus VIH, la PrEP ne doit pas faire oublier le préservatif. »
VOICE nous laisse sans voix
L’essai VOICE, mené chez plus de 5000 femmes en Afrique du Sud, Ouganda et Zimbabwe, est venu compléter l’essai FemPrEP, dont les résultats étaient catastrophiques. Et sans surprise, ses résultats le sont aussi, où l’ont voit l’absence patente d’efficacité des PrEPs dans ce contexte. L’essai comportait 5 bras avec une indication de prise quotidienne : ténofovir oral (Viread®) ; ténofovir + emtricitabine (Truvada®) ; ténofovir gel (application locale) ; placebo oral et placébo vaginal.
L’incidence globale dans l’essai fut de 5,7 %, avec de grandes différences selon les sites de l’essai. Mais surtout, ce résultat d’incidence montre l’efficacité plus que relative des stratégies de PrEP. Le tenofovir + emtricitabine ne montre aucun signe d’efficacité, le gel tenofovir une très légère différence d’incidence (5,9 %, contre 6,8 % dans le bras placebo), et pire encore, le tenofovir seul s’est avéré moins efficace que son placebo (6,3 % d’incidence, contre seulement 4,2 % dans le bras placebo), l’essai ayant ainsi vraisemblablement provoqué des contaminations, à l’instar de l’essai FemPrEP, qui, lui, avait été arrêté prématurément…
Ainsi, l’efficacité du tenofovir dans ce contexte est de 48,8 %, celle de la bithérapie tenofovir+emtricitabine de 4,2 % et de 14,7 % pour le gel. Ces résultats sont attribués par les investigateurs de l’étude à une observance très faible (les médicaments étaient indétectables chez une majorité de participantes), impliquant selon eux que la priorité, avant de penser implémenter les PrEPs, est de connaître les déterminants psycho-sociaux de l’observance et de la perception du risque. On se dit que cela fait beaucoup de contaminations pour une telle conclusion. Enfin, les résultats montrent un véritable fossé d’efficacité entre femmes mariées et non-mariées (les secondes ayant connu une incidence 2 à 7 fois plus élevée selon les pays), et aussi selon l’âge (les femmes de moins de 25 ans ayant connu une incidence plus de deux fois supérieures à celle des femmes plus âgées). Cet essai est une preuve supplémentaire que les stratégies actuelles de PrEP testées chez l’homme ou la femme ne sont pas adaptées à leur sexualité, avec cependant quelques variations selon les contextes (gays, femmes au Sud, etc.). Dans tous les cas, la question de l’observance est l’obstacle principal, obstacle qu’on tente parfois de faire passer pour secondaire (comme si on était sûr de le régler) en citant les résultats des quelques participants parfaitement observants (soit moins de 1 % des personnes dans l’essai iPrEX…).