En automne dernier, nous décidions de faire évoluer notre position sur les auto-tests et à en faire valoir les bénéfices éventuels, tout en insistant sur les recommandations qui nous semblaient essentielles. Le Conseil national du sida (CNS), qui nous a auditionné, ainsi que d’autres associations et les principaux laboratoires en mesure de développer des autotests, entre autres, a rendu un rapport le 22 mars dans lequel il recommande, à certaines conditions, l’autorisation des auto-tests. Nous faisons ici le point sur les données scientifiques sur lesquelles il est indispensable de s’appuyer pour avoir une vision claire des bénéfices et des risques de tels outils, notamment concernant leur fiabilité. Nous en profitons pour rappeler que les enjeux ne sont pas seulement ceux de la bio-médecine ; ils sont aussi politiques et sociaux.
Que sont les auto-test ?
Les auto-tests sont des TROD, « Tests rapides pour l’orientation diagnostique », déjà validés quand ils sont utilisés par des associations en complément de l’offre classique de dépistage. Autoriser les auto-tests revient à autoriser l’usage autonome de certains TROD. La personne se le procure, réalise le prélèvement elle-même (soit de sang, soit de salive), le dépose sur une bandelette, lit et interprète elle-même le résultat. Une notice propose à la personne d’appeler un numéro pour s’informer, et l’invite à faire confirmer son test par des professionnels. Plusieurs tests ont été évalués par les autorités françaises dans le cadre des auto-tests : OraQuick Advance® (un test salivaire, un test sanguin),Vikia®, Determine ™ (deux tests différents), et INSTI ™ . Chacun de ces tests détecte les anticorps du VIH, un des deux produits DetermineTM détecte en plus l’antigène p24[[l’apparition de cet antigène dans le sang précède celle des anticorps spécifiques au VIH, eux-mêmes mis en évidence par un test ELISA ou par un Western Blot, lorsqu’il y a contamination récente. Cette recherche permet de réaliser un diagnostic précoce de l’infection. La présence de l’antigène p24 dans le sang est transitoire, elle apparaît 2 à 3 semaines après la contamination et disparaît dans les semaines qui suivent, mais il peut réapparaître ultérieurement de façon aléatoire. Cet antigène correspond aux protéines dont est constituée l’enveloppe du virus qui entoure et protège l’acide nucléique. ]].
Pourquoi avons-nous fait évoluer notre position ?
Nous considérions encore récemment que les auto-tests n’étaient pas souhaitables. Ils sont moins fiables que les tests de dépistage classiques. Ils peuvent faire l’usage d’emploi coercitif, ou à l’insu d’une personne. La découverte en solitaire d’un résultat positif n’est sans doute pas idéale. Outre le choc, la question se pose de l’orientation vers un médecin.
Aucune de ces réserves n’a réellement disparu. Cependant, depuis un an, des données scientifiques (voir ci-dessous) ont permis de montrer une augmentation de la fiabilité de certains de ces tests.
D’autres résultats indiquent que les auto-tests pourraient toucher des personnes qui refusent le dépistage existant, par peur du résultat ou même d’une révélation publique de leur démarche, qui serait associée à des pratiques stigmatisées dans leur environnement. C’est ce qu’indique l’enquête « Webtest » de Tim Greacen (retrouvez une analyse détaillée de l’enquête Webtest sur notre site React Up consacré aux débats scientifiques de la prévention chez les gays.), menée par Internet sur près de 9 000 hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH). Sur les 6 421 HSH qui ne connaissaient pas les auto-tests, 86 % se sont dits intéressés par un tel outil, parce qu’il serait plus facile, rapide et discret. L’intérêt pour l’outil est manifeste pour les personnes, nombreuses, qui affirment vivre leur homosexualité discrètement, déclarent des pratiques à risques, et indiquent qu’ils ne se sont jamais fait dépister. Dans la mesure où ces personnes ne semblent pas à l’heure actuelle en mesure d’accéder au dépistage à l’extérieur, il semble pertinent de leur autoriser l’accès à un test qu’elles pourraient utiliser seules, même si celui-ci est moins fiable et présentent des inconvénients.
Pour que cette autorisation soit efficace et éthique, il convient que les usagErEs y aient accès de façon gratuite, qu’une information claire soit fournie à touTEs, information sur l’emploi, les risques, la nécessité de faire confirmer un résultat négatif et d’aller consulter si le test indique une séropositivité. Par ailleurs, les auto-tests doivent être considérés comme un complément de l’offre actuelle de dépistage, non comme un dispositif de substitution.
Les auto-tests sont-ils faciles à utiliser ?
Au-delà de sa fiabilité médicale, la fiabilité d’un test est d’abord liée à sa facilité d’usage. Plus un prélèvement est compliqué à faire, à déposer sur la bandelette et à lire, plus les contraintes du test seront importantes, plus difficile sera son interprétation et moins on pourra se fier à son résultat.
Dans son avis, le CNS se fonde sur une analyse du test salivaire OraQuick® par l’administration sanitaire américaine, la Food drug administration (FDA), qui l’a validé l’année dernière.
Le CNS estime que l’usage autonome ne présente pas de difficultés majeures. L’administration américaine, la FDA, ne recense que 56 échecs pour 4 465 utilisations, soit un taux de 1,25 % de mauvais usages. De même, la compréhension des informations essentielles sur l’usage et des contraintes dépassent les 95 % – à deux exceptions près, essentielles, que nous verrons plus loin.
Mais ces chiffres doivent être nuancés : d’une part, l’évaluation par la FDA ne concerne que l’OraQuick® salivaire : on ne dispose pas d’informations similaires pour les autres tests. D’autre part, l’évaluation s’est faite dans un cadre idéal. Une ligne d’information, spécifiquement dédiée à cet auto-test, a été ouverte 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Aura-t-on, en France, le même dispositif ? Ces réserves n’invalident pas un usage autonome des TROD, mais elles militent pour une information complète, claire et indépendante sur tous les aspects des auto-tests.
Quels sont les critères de fiabilité ?
Outre la facilité d’usage, la fiabilité dépend aussi de la capacité du dispositif à indiquer le bon résultat. Deux critères sont à prendre en compte : la sensitivité mesure la capacité du test à donner un résultat négatif quand l’infection n’est pas présente, donc à ne pas produire de « faux positifs » ; la sensibilité mesure la capacité du test à donner un résultat positif quand l’infection est présente, donc à ne pas produire de « faux négatifs ». En matière de santé individuelle comme de santé publique, « sensitivité » et « sensibilité » n’ont pas la même importance. Bien sûr, il peut être particulièrement dur de se découvrir séropositif alors qu’on ne l’est pas. Mais en matière de prise en charge de la personne, comme de prévention, un faux négatif aura de plus grandes conséquences.
Quels sont les auto-tests les moins fiables ?
En 2010, l’administration sanitaire française, l’AFSSAPS – devenue depuis ANSM -, a financé une étude comparative des tests à lecture rapide. 200 personnes majeures, dont on avait diagnostiqué la séropositivité, ont été testées avec les 6 tests des 4 marques déjà citées. La sensibilité moyenne sur tous ces tests est de 95 %. Cela veut dire qu’en moyenne, les tests ont entraîné 5 % de faux négatifs. Cette sensibilité reste inférieure à celle des tests de dépistage classiques.
Les tests qui ont amené le plus de faux négatifs sont ceux d’OraQuick®. Le test salivaire a donné 27 résultats négatifs, et 10 résultats douteux. Cela donne une sensibilité de 86,5 %. Le test sanguin s’en sort mieux, avec une sensibilité de 94,5 %, mais qui reste inférieure à celle des autres marques (98,5 % pour Vikia®, 94,9 % et 95,8 % pour les deux tests Determine ™, 99 % pour INSTI ™). On retrouve les résultats détaillés dans le tableau ci-dessus.
Les résultats d’OraQuick® sont donc les moins bons. La sensibilité du test salivaire est particulièrement basse. Or, on sait que l’attention se concentre beaucoup sur ce produit, du fait qu’il a été validé par les autorités américaines. On a parfois l’impression, dans les débats sur les auto-tests et les comptes-rendus qui en sont faits dans les médias, qu’il n’existerait pas d’autre alternative. Certes, un test salivaire a l’avantage d’éviter un prélèvement sanguin, ce qui est rédhibitoire chez certainEs. Mais peut-on ne considérer que cet avantage et oublier les résultats décevants tels que l’AFSSAPS les a produits ?
Ces résultats sont d’ailleurs inférieurs aux évaluations faites par l’administration sanitaire américaine. Les scientifiques françaisEs et le CNS proposent plusieurs explications à ce phénomène. Elles sont pertinentes, mais il n’en reste pas moins que les autres tests ont produit moins de faux négatifs. Parmi les facteurs qui expliquent les différences entre les évaluations françaises et américaines, on peut prendre en compte les suivants : dans le panel de l’AFFSAPS, il y aurait plus de personnes dont la charge virale est indétectable, qui échapperaient donc aux auto-tests. Il y aurait une plus grande diversité de souches virales, dont certaines seraient moins facilement détectées. Enfin, il y aurait plus de personnes en primo-infection, détectées en France par une nouvelle génération de tests Elisa qui n’étaient pas utilisés dans l’étude américaine.
Quelles que soient leurs différences, tous les auto-tests posent des problèmes de sensibilité quand ils sont utilisés sur une personne en phase de séroconversion ou de primo-infection. À la présentation du rapport du CNS, dans les débats concernant la fiabilité du produit et la discussion sur les chiffres de l’AFSSAPS, la virologue Christine Rouzioux a insisté sur le fait qu’un plus grand pourcentage de personnes en primo-infection aurait immanquablement fait chuter la sensibilité des auto-tests.
Que faudrait-il faire pour optimiser l’usage des auto-tests ?
L’information entourant l’autorisation d’auto-tests doit être très claire pour que soient intégrés les enjeux de la séroconversion, et les réflexes à avoir en cas de tests négatifs. Les auto-tests ne sont pas fiables si on les utilise pour vérifier l’impact d’une prise de risque éventuelle au cours des dernières semaines, quand on est possiblement au stade de primo-infection. Et un résultat négatif doit être confirmé par un test classique.
C’est un enjeu essentiel. Dans une première évaluation présentée à la FDA en janvier 2008, plus de 95 % d’usagErEs étaient conscientEs de nombreuses contraintes liées à l’usage de l’OraQuick®, 85 % n’avaient pas intégré les enjeux de la primo-infection. Et 77,5% ne savaient pas quoi faire en cas de résultat négatif. Ce dernier résultat implique qu’un quart des personnes utilisant OraQuick® salivaire s’estiment séronégatives, sans chercher à confirmer ce résultat, et prennent des décisions, en matière de prévention et de santé, avec cette idée en tête. Or, comme on l’a vu, OraQuick® salivaire est le test qui produit le plus de faux négatifs. Cette inquiétude est confirmée par certains résultats de l’enquête Webtest. Parmi les 69 personnes ayant déclaré avoir utilisé un auto-test, 62 affirment que le résultat était négatif, et seulement 29, moins de la moitié, l’ont confirmé. Une information claire est donc indispensable. Lors d’une phase ultérieure de l’étude présentée à la FDA, le packaging s’étant en partie améliorée, les scores de compréhension de ces enjeux cruciaux avaient largement augmenté.
Auto-tests : un problème politique autant que scientifique.
On le voit, l’autorisation des auto-tests pose un problème politique autant que scientifique. La fiabilité des auto-tests, donc son intérêt mesuré par un équilibre des bénéfices et des risques, dépend fortement de l’information qui va être donnée sur son usage, notamment du risque de faux négatif en cas de primo-infection. Cette exigence d’une information claire repose évidemment sur les laboratoires, les pouvoirs publics, les médecins, les médias. Mais elle repose aussi sur les associations. Un discours par trop enthousiaste, comme le tiennent certaines, qui font de l’avis du CNS une « révolution », induit de fausses idées. Cela fait croire que les auto-tests seraient l’alpha et l’omega. Or, on l’a vu, l’expertise nous indique qu’elle n’a d’utilité que si elle complète les dispositifs existants, et que si les utilisateurRICEs ont une conscience claire des limites des auto-tests, et de la nécessité de faire confirmer des résultats.
L’autre aspect politique de l’autorisation des auto-tests concerne la question de l’orientation vers la prise en charge. L’enquête Webtest a montré à quel point la peur de la stigmatisation empêchait de faire une démarche pour se faire dépister, cette démarche étant associée à l’homosexualité. Cela nous rappelle à quel point la lutte contre le sida passe par une lutte contre les discours et politiques de haine raciste, homophobe, sexiste, etc. Mais ce qui bloque l’accès au dépistage bloque aussi l’accès aux soins. Dans l’enquête Webtest, les trois personnes qui ont eu un résultat positif après avoir utilisé un auto-test ont déclaré ne pas avoir vu de médecins ensuite. Ces chiffres sont trop bas pour que des scientifiques les interprètent publiquement, mais nous, qui connaissons la réalité de l’accès aux soins, devons poser la question. Que peut bien signifier une mesure de diversification du dépistage, donc de lutte contre l’épidémie cachée, quand les pouvoirs publics ne font rien contre les blocages de l’accès aux soins (maintien des franchises médicales ou manque de moyens accordés aux centres de dépistage, par exemple) le tout en démantelant des services hospitaliers ? Les pouvoirs publics ne vont-ils pas utiliser les auto-tests à des fins budgétaires, en arrêtant de subventionner les centres de dépistages et les associations de terrain, dont certaines réussissent pourtant à cibler les bonnes personnes avec les TROD ?
Le danger est réel et nécessite que les différents acteurs de la lutte contre le sida se saisissent du débat sur les auto-tests pour poser de façon claire et intransigeante la question des liens entre prévention, dépistage et prise en charge, en montrant comment la diminution des moyens de la lutte contre le sida infléchit chacun de ces domaines et contribue ainsi à la dynamique de l’épidémie.