La rencontre des 6 et 7 décembre derniers, organisée par l’interassociatif Femmes & VIH[[le Collectif interassociatif Femmes & VIH est composé des associations Act Up-Paris, Médecins du Monde, Le Planning Familial et Sida Info Service, en partenariat avec Action Traitements, Actif Santé, AVH 78, Aides, Dessine- moi un mouton, Frisse, Ikambéré, Marie Madeleine et Sol En Si]], a démarré par une table-ronde portant sur : « Les nouvelles stratégies de préventions » et réunissant plusieurs professionnels qui se sont prêtés au jeu des questions de l’assemblée. Nous en présentons ici quelques morceaux choisis, concernant plus particulièrement les aspects liés aux traitements chez les femmes séropositives.
Autour de la table, les professionnelLEs réuniEs étaient : Mamadou Dieng, du GIP Esther ; Dr Yves Welker chef de service du SMIT )Centre des Maladies Infectieuses et Tropicales) du Centre hospitalier de Poissy/St-Germain et fondateur de l’AVH 78 ; Dr Nadine Atoui, du SMIT de l’hôpital de Montpellier ; et Rosine Réat, psychologue, Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques liés à l’usage de drogues (Caarrud) de Sida-Paroles.
Mamadou Dieng : « en ce qui concerne les femmes, selon moi deux questions se posent. La première est celle de la vulnérabilité biologique : deux études faites en 2007 et 2009 montrent que les femmes sont désavantagées quand elles sont sous traitements. On y voit que dès le début, à cause de la stigmatisation et de la peur du partage de statut, elles ne viennent pas au rendez-vous ou prennent mal leurs médicaments. Et quand on s’aperçoit qu’elles sont en échec thérapeutique, après avoir effectué une recherche dans le sang, on découvre que 30 % de ces femmes n’ont pas de trace de molécules, c’est-à-dire qu’elles n’ont jamais pris leur traitement. Ça explique pourquoi il faudrait avoir une approche différente car dans ce cas ce n’est pas à cause des médicaments puisqu’elles ne les prennent pas, il faudrait donc s’interroger sur pourquoi elles n’ont jamais pris de médicaments.
L’autre question est que le taux d’antirétroviraux qui sont hautement actifs est plus faible chez les femmes, c’est 57% chez elles et 75% chez les hommes. Ça veut dire que la stigmatisation, la place des femmes et les inégalités sociales font qu‘elles sont moins observantes que les hommes. Donc, là ce n’est plus une question de molécules mais de travail autour de l’accompagnement. »
Rosine Réat : « à Sida-Paroles nous avons essayé de décliner la réduction des risques en toxicomanie au féminin. Sida-Paroles est une association de réduction des risques liés à l’usage de drogues qui gère des Caarrud. Nous y accueillons des personnes qui sont usagères de drogues actives, certaines sont séropositives, d’autres non. L’association a été créée en 1993, en banlieue parisienne où il y avait beaucoup de contaminations, notamment chez les usagers et les usagères de drogues. En 2000, un lieu d’accueil s’est ouvert, la question des besoins des femmes et de leur accès au dispositif n’est apparue qu’en 2005.
Pourquoi ça a mis autant de temps ? Parce qu’il a fallu d’abord mettre en place des services qui étaient urgents, notamment le dispositif d’échanges de seringues, afin de donner les moyens aux personnes de ne plus se contaminer. Et puis à ce moment-là, et c’est toujours le cas, le public rencontré était essentiellement composé d’hommes. A l’heure actuelle on accueille à peu près 85 % d’hommes pour 15% de femmes. Donc en 2005 (…) la première déclinaison au féminin de la réduction des risques, était déjà de prendre conscience qu’il y avait des hommes et des femmes, et de prendre conscience que ce qu’on proposait de manière générale était essentiellement axé sur des besoins d’hommes et ne prenait pas en compte les besoins plus spécifiques. Il a donc fallu commencer par prendre le temps de discuter avec les femmes qui étaient là et nous nous sommes aperçu qu’elles n’étaient pas nombreuses, et surtout que celles qui passaient dans ce lieu le faisaient de manière très furtive. Au fur et à mesure des réunions avec elles nous nous sommes rendu compte que si les usagers de drogues souffraient de stigmatisation, cette stigmatisation était encore beaucoup plus forte chez les femmes. C’est un milieu, comme beaucoup de milieux, assez sexiste, et par ailleurs le regard de la population générale sur les femmes usagères de drogues est aussi souvent très dévalorisant. C’est ainsi qu’à leur demande un temps d’accueil qui leur était dédié a ouvert.
Avec le recul je peux dire que l’intérêt de ce temps d’ouverture spécifique pour les femmes, qui s’appelle « Paroles de femmes », leur a surtout permis de s’approprier le lieu et penser que le Caarrud n’était pas qu’un lieu pour les hommes.
Concernant la réduction des risques et sa déclinaison au féminin, je pense vraiment qu’en premier lieu il faut travailler sur les représentations et sur les questions de stigmatisation parce que c’est ce qui porte le plus de préjudices aux femmes. On parle beaucoup de vulnérabilité et certes il y a des situations de vulnérabilité, mais l’expérience nous a aussi montré que les femmes avaient beaucoup de compétences. »
Parmi les souhaits des femmes il y a eu la volonté de travailler sur les questions autour de la santé sexuelle. (…) Ce qui a été très enrichissant pour l’équipe dans ce questionnement des besoins spécifiques des femmes, c’était de nous interroger nous-mêmes et de nous remettre en question sur les représentations de genre, (…) ne pas penser que la sexualité ou la contraception sont uniquement de la responsabilité des femmes, d’ouvrir et remettre en cause. À la fois faire des choses spécifiques, tout en ne cessant pas de réinterroger ces actions spécifiques pour ne pas retomber à nouveau dans des représentations qui clivent les choses et qui, au bout du compte peuvent être gênantes dans l’accès aux soins des personnes, et dans l’accès aux droits. »
Une femme dans l’assemblée : « Je vis avec le VIH depuis onze ans, je suis aussi militante sur le terrain et je partage toutes les semaines avec un groupe de femmes séropositives mais pas seulement car il y a aussi des femmes séronégatives qui vivent dans des conditions qui les exposent. Ce qui m’interpelle c’est, pourquoi est-ce qu’on parle toujours des besoins des femmes et jamais de leurs priorités ? Je crois qu’on devrait déjà partir de leurs priorités en tant que femmes, qu’on soit sur le continent africain ou sur le sol français. Ce que je vois toutes les semaines dans mon groupe c’est qu’il y a des femmes qui ne prennent pas leurs traitements et qui n’osent pas le dire à leur médecin. Si on leur demandait simplement pourquoi ? Et quelles sont leurs priorités dans la vie ? Quand on est une femme, qu’on vit seule avec des enfants, qu’on doit s’assumer, c’est difficile de prendre un traitement avec les effets secondaires comme la fatigue par exemple. Souvent elles arrêtent de prendre leur traitement pour pouvoir continuer à travailler ou faire face à leurs problèmes de papiers, leurs problèmes sociaux ou ne serait-ce que pour avoir une sexualité.
Quant aux TasPs, je pense que maintenant la communauté scientifique s’accorde à dire que quand on est indétectable, on est beaucoup moins contaminantE, mais dans notre groupe on en rigole : effectivement quand on est indétectable on n’est plus contaminante, parce qu’on ne baise plus puisqu’on n’a plus de libido (rires et applaudissements). Donc peut-être que si on se posait aussi des questions sur la stigmatisation et sur nos besoins… On a des priorités et ça nos priorités on nous les demande jamais. J’ai commencé un traitement VIH il y a 2 ans. J’ai la chance d’avoir un organisme qui a pu lutter contre le VIH sans avoir spécialement besoin de prendre des antirétroviraux immédiatement, sauf que je venais de me marier, couple sérodifférent, donc j’ai pris un traitement. (…) Et effectivement au bout d’un mois, j’étais indétectable et mon infectiologue m’a dit : « d’ici quelques temps vous pourrez abandonner le préservatif ». Eh bien, on n’a pas eu besoin de l’abandonner parce qu’au bout d’un mois, je venais de me marier j’étais très amoureuse, mais je n’avais plus de libido, donc c’est clair que je ne risquais pas de contaminer mon mari sans préservatif. Je ne dis pas qu’il faut arrêter son traitement mais moi j’ai fait le choix de l’arrêter, j’ai retrouvé ma libido, mes préservatifs et tout va bien. »
Nadine Atoui : « Juste un éclairage sur la fatigue provoquée par les traitements antirétroviraux, c’est une réalité. Les personnes qui nous en parlent le plus finalement ce sont des infirmières quand, par exemple, elles ont un accident d’exposition et qu’elles sont mises sous traitement post-exposition. La fatigue est une réalité, vous nous l’expliquez quand on vous revoit, quinze jours ou un mois après la mise sous traitement. Mais je pense qu’on a à disposition actuellement suffisamment de molécules pour vous prescrire des multi-thérapies où on va essayer de minimiser ces effets indésirables. Parce qu’il y a une chose entre ce qui est décrit dans les AMM (Autorisations de Mise sur le Marché) sur les effets des médicaments et entre ce que vous ressentez effectivement. On est bien obligé de tenir compte de la réalité, mais ce n’est pas une raison suffisante pour dire que vous étiez mieux avant, sans traitement. C’est un leurre de penser ça, parce que le virus induit une inflammation chronique quand cette infection n’est pas traitée, et que cette inflammation est délétère pour le cerveau, pour le système cardiovasculaire entre autre. Le calme apparent qu’on a quand on n’est pas sous traitement est un leurre. Il vaut mieux, se battre avec des armes très diverses, mais des armes puissantes. »
Une femme dans l’assemblée : « Je suis séropositive depuis 23 ans, ma question concerne le vieillissement prématuré que nous vivons, nous les femmes, et qui est toujours très mal entendu par les médecins. Pour preuve, à 42 ans, on vient de m’annoncer que j’avais une ostéoporose. Je viens d’avoir une hystérectomie totale et je n’ai pas eu d’enfants, on ne m’en a pas donné le droit. »
Yves Welker : « Le problème du vieillissement prématuré est important parce qu’il est question de savoir s’il y a une accélération du processus. La réponse c’est oui. Il y a une accélération des processus de vieillissement sur l’ensemble des organes. D’abord il y a l’ostéopénie, et ensuite l’ostéoporose. Il s’avère que le VIH peut entraîner ces ostéopénies qui ne vont pas forcément conduire à quelque chose qui est la maladie ostéoporotique et éventuellement aux risques de fractures, parce que c’est ça la problématique de l’ostéoporose. Par contre il y a des traitements dont on sait pertinemment qu’ils ont une action directe sur le métabolisme osseux. Et là il faut juguler les traitements de telle façon que cet effet secondaire soit un peu décalé dans le temps.
Mais le VIH par lui-même entraîne un vieillissement cellulaire c’est une réalité, et même le VIH traité a potentiellement un effet sur le vieillissement cellulaire. Aujourd’hui il reste un vrai travail à faire autour des effets secondaires »
Nadine Atoui : « A la question : « est-ce qu’il y a un suivi particulier pour les femmes séropositives ? » Oui évidemment, les recommandations françaises sont claires pour le suivi gynécologique. On insiste beaucoup sur la réalisation annuelle d’un frottis lorsque les CD4 sont supérieurs à 200, et tous les six mois lorsqu’ils sont inférieurs à 200, ou s’il y a des antécédents de dysplasies du col. Concernant l’ostéoporose, il n’y a pas eu d’adaptation des recommandations en France pour le dépistage. Dans la population générale, il est recommandé un dépistage de l’ostéoporose à partir de 50 ans, pour nos patientes effectivement c’est un peu tard cinquante ans. Il faut vraiment tenir compte de tous les autres facteurs de risques d’ostéoporose ; en particulier si on a eu un indice de masse corporelle très bas à 25 ans, on est plus à risque de faire une ostéoporose ; si on a des troubles des règles, on est plus à risque aussi, or les troubles du cycle sont extrêmement fréquents chez les femmes séropositives. Tout ça ce sont des choses à discuter avec votre médecin ou votre gynécologue de façon à pouvoir bien explorer le problème. Il y a une liste d’examens à réaliser de façon au moins annuelle.
A la question : « y a-t-il des interactions entre les traitements hormonaux et certains traitements antirétroviraux ? » Oui, il y a des interactions. Là aussi il faut prévenir le gynécologue qui prescrit un traitement hormonal à visée contraceptive ou à visée de PMA, des traitements antirétroviraux que vous recevez. La semaine dernière j’ai eu une patiente qui fait sa dernière tentative de PMA à Marseille. Cette patiente est sous Kaletra® et le médecin qui l’accompagne pour la PMA a prescrit un traitement à base d’oestrogènes et de progestérones. Or, le Kalétra® et le ritonavir en particulier en présence d’oestrogènes ont un effet inducteur. Donc il y a des risques d’inefficacité des traitements qu’elle va recevoir pour la PMA. D’où l’importance pour les médecins à se mettre en relation. »