Le séminaire de recherche annuel de l’ANRS s’est tenu les 25 et 26 mai à l’Institut Pasteur de Paris. Nous y étions ; nous partageons avec vous les propos contenus dans quelques interventions.
Questions posées au clinicien en 2013
Toute une série de questions se posent maintenant aux cliniciens lorsqu’ils/elles doivent prendre en charge des malades séropositifVEs, et cela à plusieurs niveaux. Quelles sont-elles ? Christine Katlama (Hôpital La Pitié Salpétrière/AP-HP, Université Pierre et Marie Curie et INSERM U943) a présenté ces questions qui guident aussi la recherche actuelle.
La durée du traitement : quelle toxicité à long terme ? Comment faire cohabiter cette toxicité et les comorbidités induites par l’âge et le traitement (problèmes rénaux, osseux, cardio-vasculaires) ? Est-il possible de réduire la quantité de traitement tout en maintenant un contrôle viral ?
Individualisation du traitement : peut-on, et dans ce cas comment, adapter le traitement à chaque individu pour avoir les meilleurs contrôle viral, performances immunitaires et la plus faible activation immunitaire[[l’activation immunitaire pose le problème de l’inflammation au long court : voir plus bas l’intervention de Laurence Weiss]] ? L’initiation du traitement doit-elle se faire en fonction du niveau de charge virale ? Comment adapter le traitement à l’histoire thérapeutique de la personne ?
Rémission de l’infection à VIH : des données observationnelles chez des contrôleurs depuis plusieurs années après l’arrêt du traitement initié en primo-infection semblent indiquer que des personnes sont en rémission (résultats de VISCONTI), c’est-à-dire avec une baisse du réservoir viral sans traitement ; est-ce possible ?
Stratégies pour réduire le réservoir viral : Quel impact des molécules anti-latence[[période pendant laquelle une maladie est asymptomatique. Période pendant laquelle un virus est présent dans une cellule et dans son génome sans qu’il y ait réplication. Le VIH peut être latent ]] en développement sur le réservoir viral ? Comment réduire l’activation immunitaire et ses effets délétères ?
Les promesses des biomarqueurs
Laurence Weiss (Hôpital Européen Georges Pompidou, Université Paris Descartes, Institut Pasteur de Paris) a dressé brièvement un état de l’art au sujet des marqueurs biologiques permettant de prédire divers évènements, de la survenue d’un stade sida à des comorbidités comme l’athérosclérose.
Il existe différents types de biomarqueurs :
– immunologiques : antigène p24, nombre de lymphocyte T CD4, rapport CD4/CD8, b2 microglobuline et néoptérine sérique marquent l’activation du système immunitaire et ont été les premiers marqueurs prédictif d’un stade sida, dès le début des années 90. Le niveau du plateau d’activation des lymphocytes T CD8 à la fin de la primo-infection est prédictif de la chute ultérieure de lymphocytes T CD4.
– virologiques : quantité d’ARN-VIH dans le sang, la quantité d’ADN-VIH associé aux cellules mononuclées du sang périphérique sont également des marqueurs prédictifs, indépendamment des marqueurs immunologiques, de la survenue d’un stade sida. La charge virale maximale atteinte est également prédictive de la chute ultérieure de lymphocytes T CD4.
– génétiques : les génotypes des allèles HLA de classe I ont une influence sur la progression du VIH. Les allèles HLA-B27 et B57 ont un effet protecteur, alors que HLA-B35 a un effet délétère. Autre marqueur génétique la délétion delta 32 du corécepteur CCR5. Homozygote, cette délétion rend résistant à l’infection par un virus de souche R5. Hétérozygote, elle en ralentit la progression.
Grâce aux traitements antirétroviraux il est possible de contrôler la réplication virale à un niveau très faible mais pas de faire baisser l’activation immunitaire à la normale ; il en résulte une inflammation au long court qui a des effets délétères. L’activation immunitaire chronique peut avoir plusieurs sources : présence du VIH, réponses immunes innée et adaptative – mais surtout innée -, translocation [[le terme de translocation renvoie au passage des microbes ou de composants microbiens au travers de la barrière que constitue l’épithélium digestif. Une telle translocation, qui se produit du fait de l’ampleur de la dégradation immunitaire du tube digestif, contribue à l’inflammation chronique chez les séropositifs qui entraine par exemple des problèmes cardio-vasculaires.
La recherche de stratégies thérapeutiques vise, soit en amont, à maintenir intacte la fonctionnalité du tissu immunitaire propre au système digestif, soit en aval, à résorber l’inflammation par des techniques anti-inflammatoires.]] microbienne et réactivation d’autres virus.
Parmi les biomarqueurs présents dans le sang (plasmatiques), certains sont prédictifs de la mortalité, comme le CD14 soluble et la cytokine pro-inflammatoire IL-6, d’autres prédisent le risque de comorbidités, notamment les troubles cardiovasculaires associés avec une élévation des concentrations de la protéine C réactive (CRP) de la phase aigüe, du CD14 soluble (marqueur d’activation monocytaire), d’IL-6 et des D-dimères[[D-dimères : marqueur qui signe une hypercoagulabilité ; son élévation est associée à des risques de comorbidité cardiovasculaire telle la formation de caillots, et donc de thrombose veineuse profonde et d’embolie pulmonaire ou encore d’infarctus. L’augmentation des D-dimères donne un risque et une orientation diagnostique mais ne permet pas de poser un diagnostic sûr ; tandis qu’un taux très faible de Personnes séropositives au VIH:Rapports sexuels > Usage de droguesD-dimères permet d’exclure la présence d’une thrombose. ]]. Le taux de CD163 soluble, marqueur d’activation macrophagique, est associé de façon plus claire que ceux d’IL-6 et D-dimères a une fragilité des plaques d’athérosclérose, et donc au risque d’infarctus du myocarde. Selon des résultats récents, il semble que les marqueurs d’activation monocytaires sont plus prédictifs d’infarctus du myocarde que les autres marqueurs plasmatiques. Cela vient probablement du rôle des macrophages dans l’athérosclérose. « Une des étapes cruciales de l’athérogenèse provient de l’infiltration des monocytes (cellules sanguines) dans l’espace sous-endothéliale des artères : là, ils se différencient en macrophages qui entraînent une réaction inflammatoire chronique locale (production de cytokines), favorisant le développement puis la fragilisation de la plaque ».
Il convient de mettre en garde sur une utilisation, par exemple par des assurances ou des banques, des marqueurs, notamment génétiques, à des fins discriminatoires. Cela été souligné au cours d’une autre intervention.
Cependant, si les mécanismes principaux de l’inflammation résiduelle étaient bien compris, il deviendrait possible là aussi de mettre en place des approches ciblées et individualisées afin d’en prévenir les effets délétères.
Les recommandations de mises sous traitement en pratique
Euguenia Krastinova (Hôpital Bicêtre/AP-HP, INSERM U1018, Université Paris-Sud) a présenté une étude sur l’adéquation entre les recommandations de mises sous traitement ARV et les pratiques des médecins ; cela sur une période durant laquelle les recommandations ont changé à plusieurs reprises. Pour ce faire, l’équipe s’est penchée sur deux cohortes de l’ANRS : PRIMO (1267 personnes inclues entre 1996 et 2010) et COPANA (800 personnes inclues entre 2004 et 2008).
Il en résulte que les recommandations sont globalement bien suivies mais que des facteurs virologiques, sociaux et la perception des médecins peuvent influencer la décision de mise sous traitement au cours d’une infection chronique, comme avoir une charge virale inférieure à 5log, soit 100 000 copies/ml, un faible niveau d’étude et des conditions de vies précaires.
Intérêt de la détection des variants résistants minoritaires
Stéphanie Raymond (INSERM U1043, CHU de Toulouse) a présenté les résultats d’une étude réalisée par une équipe de Toulouse quant au possible intérêt de l’utilisation des techniques de séquençage à haut débit pour détecter les variants résistants minoritaire.
Avec l’avènement du séquençage à haut débit l’on peut détecter et quantifier des variants minoritaires en deçà de 20% de la population virale.
Or, comme selon les molécules utilisées, des résistances peuvent être sélectionnées, entrainant un échec du contrôle viral, la question qui se pose est de savoir s’il y a un bénéfice à utiliser le séquençage à haut débit.
La réponse est oui : parmi les personnes sous inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI), il y a plus de deux fois plus d’échec chez ceux dont le séquençage haut débit avait revélé des résistances minoritaires aux INNTI (37%) que chez ceux où aucune résistance avait été détectée (15%). La présence de variants X4 minoritaires a aussi été investiguée sous l’angle de l’efficacité du maraviroc, anti-CCR5. Aussi l’utilisation du séquençage à haut débit pour la détection des variants résistants minoritaires pourrait permettre d’affiner les choix de classe thérapeutique. Des études prospectives doivent confirmer les données et pouvoir indiquer des seuils de résistances à partir desquels faire ces choix.
Et d’autres choses intéressantes ont été présentées au séminaire. Parmi elles, l’intervention de Marguerite Guiguet sur une étude observationnelle de stratégies de maintenance par monothérapie d’inhibiteur de protéase boosté par ritonavir qui nous a incité à l’inviter à la 92ème RéPI sur les allègements thérapeutique. La suite dans Protocoles 76.