Suite au lancement officiel en mars 2013 des négociations sur un nouvel accord de libre échange (ALE) entre l’Union européenne (UE) et le Royaume de Thaïlande, les deux parties se rencontrent cette semaine (16-20 septembre) à Chiang Mai (Thaïlande) pour un deuxième tour de négociations commerciales qu’elles souhaitent achever en très peu de temps (18 mois).
Cette semaine, près de 5 000 militantEs du droit à la santé, de la protection des consommateuRICEs et des organisations paysannes de divers réseaux de la société civile thaïlandaise se mobilisent pour défendre l’accès aux biens publics dans cet accord, et organisent un large éventail d’actions : manifestation, conférence de presse, rencontre avec la délégation européenne,… Les militantEs du droit à la santé tiennent à rappeler aux négociateuRICEs de l’UE et à leurs homologues thaïlandaiSEs que l’accord ne doit pas contenir des disposition sur les droits de « propriété intellectuelle » allant au delà des règles déjà strictes prescrites par l’Organisation mondiales du commerce (contenues dans l’accord ADPIC). De telles mesures ne feraient que renforcer les monopoles des compagnies pharmaceutiques, provoquer une hausse du coût des médicaments et créer de nouvelles barrières à l’accès aux traitements génériques abordables. Les activistes appellent également les négociateuRICEs à ne pas inclure dans l’accord des dispositions qui permettent aux investisseurs (par exemple aux compagnies pharmaceutiques) de poursuivre le gouvernement thaïlandais devant des tribunaux internationaux d’arbitrage opaques et remettre en cause des mesures prises pour promouvoir l’accès aux médicaments, alors même que ces mesures sont autorisées par l’ADPIC et la déclaration de Doha. Act Up-Paris, Oxfam International, Health Action International et Action against AIDS Germany soutiennent fermement la société civile thaïlandaise. L’UE doit prendre en compte l’importance de l’accès à des médicaments génériques abordables et de qualité pour les patients en Thaïlande lors de la négociation de cet accord commercial. Depuis 2002, un système de couverture santé couvre 99% de la population thaïlandaise. La production et la disponibilité de médicaments génériques abordables et de qualité est un élément-clé du maintien de ce système. « Nous craignons que si des dispositions ADPIC+ ou des mesures de protection des investissements dangereuses sont inclues dans l’accord de libre échange Thaïlande/UE, la capacité du gouvernement thaïlandais à sauvegarder l’actuel système de santé et à fournir à ses citoyens les médicaments dont ils ont besoin pourrait être mise en danger », déclare Leïla Bodeux d’Oxfam International. « La position de l’UE sur la protection de la propriété intellectuelle dans les précédents accords de libre échange, y compris dans les négociations avortées entre l’UE et L’ASEAN, suggèrent que l’UE va faire pression pour inclure des règles de propriété intellectuelle plus strictes et donner de tels pouvoirs aux investisseurs, et notamment à l’industrie pharmaceutique, qu’ils risquent d’ouvrir la porte à des abus mettant en péril les efforts du gouvernement thaïlandais pour fournir des soins à tous », dit Tessel Mellema de HAI. « L’UE devrait s’abstenir d’exiger une protection de la « propriété intellectuelle » qui va au delà des règles de l’OMC, tout comme des mesures relatives à l’investissement qui s’avèrent dangereuses. Pour renforcer les intérêts commerciaux de son industrie pharmaceutique, l’UE met en danger les opportunités d’innovation et l’accès aux médicaments en Thaïlande », déclare Céline Grillon d’Act-Up Paris. Download the English version in PDF Pour en savoir plus : Renforcer les droits de « propriété intellectuelle » et leurs mesures d’application restreint et retarde l’arrivée sur le marché de la concurrence légitime entre fabricants de génériques, celà renforce les monopoles et permet le maintient de prix élevés, restreignant de façon significative l’accès à des traitements abordables. Les dispositions ADPIC+ dans les accords de libre échange précédemment négociés ont considérablement réduit la disponibilité des médicaments génériques ce qui a conduit à une augmentation des prix des médicaments [[All costs, no benefits : How TRIPS – plus intellectual property rules in the US-Jordan FTA affect access to medicines, Oxfam International (2007), http://www.oxfam.org.uk/resources/issues/health/downloads/bp102_trips.pdf. A Trade Agreement’s Impact on Access to Drugs’ (2010), Ellen R. Shaffer and Joseph E. Brenner, CPATH, www.healthaffairs.org; IFARMA. Impact of the EU Andean Trade Agreements on Access to Medicines in Peru. November 2009. HAI Europe. http://haieurope.org/wp-content/uploads/2010/12/11-Nov-2009-Report-IFARMA-Impact-Study-on-EU-Andean-Trade-Agreement-in-Peru-EN.pdf]]. Les ONGs de santé publique et associations de malades, le Parlement européen, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Commission britannique sur les droits de propriété intellectuelle et la politique de développement, la Commission des Nations Unies sur le VIH/sida et la loi, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ainsi que plusieurs universitaires spécialistes de la propriété intellectuelle ont unanimement reconnu le lien entre les dispositions ADPIC+ qui favorisent de manière disproportionnée les titulaires de droits et la dégradation de l’accès aux médicaments. Une licence obligatoire est une possibilité offerte par l’accord ADPIC aux Etats de passer outre un brevet pharmaceutique pour autoriser la production ou l’importation de médicaments génériques. Cela permet de faire baisser drastiquement le prix d’un traitement dont ils ne pourraient sinon pas faire bénéficier leur population. Depuis 2007, la Thaïlande a émis plusieurs licences obligatoires sur des traitements contre le VIH/sida, divers cancers et maladies du coeur. Depuis, la Thaïlande est dans la ligne de mire de l’industrie pharmaceutique qui se sent menacée par de telles mesures. La Banque mondiale a estimé en 2006 que si la Thaïlande utilisait les licences obligatoires pour réduire le coût des traitements antirétroviraux de seconde ligne de 90%, elle économiserait 3,2 milliards de dollars d’ici 2025 . Il est donc indispensable que le futur accord de libre échange n’empêche pas la Thaïlande de recourir aux licences obligatoires lorsque les besoins en santé publique le requièrent. Selon nos informations, l’UE va très probablement faire pression pour inclure dans l’accord de libre échange une clause d’arbitrage investisseur-Etat. Selon ce mécanisme, une compagnie pharmaceutique peut arguer que la règlementation en matière de santé publique du gouvernement contrevient à ses droits en tant qu’investisseur. Cela peut conduire une compagnie pharmaceutique à poursuive le gouvernement thaïlandais devant un tribunal arbitral international pour faire annuler des mesures qui promeuvent l’accès aux médicaments, par exemple l’émission d’une licence obligatoire. La compagnie pharmaceutique américaine Eli Lilly & Co. poursuit actuellement le gouvernement canadien en vertu de l’article 11 de l’accord de libre échange nord-américain (NAFTA) suite à la décision d’un tribunal canadien de révoquer le brevet pour le médicament Strattera, qui est utilisé pour traiter le trouble déficitaire de l’attention. La compagnie pharmaceutique demande 500 millions de dollars en compensation.