L’enquête ANRS VESPA2 réalisée auprès des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) suivies à l’hôpital en 2011 est une enquête nationale menée par l’ANRS en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Elle recueille des informations essentielles pour comprendre les conditions de vie des PVVIH dans leurs différentes dimensions sanitaires, économiques, sociales et comportementales. Un numéro spécial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Institut de veille sanitaire lui a été consacré[[« vivre avec le vih : premiers résultats de l’enquête anrs-vespa2 », BEH 26-27, 2 juillet 2013]] Publié le 2 juillet, voyons ce que l’on y apprend. Par manque de place, nous n’avons pas exploité deux articles publiés dans le bulletin, à savoir ceux sur la co-infection au VHC et celui sur la sexualité. Nous y viendrons très probablement dans un prochain numéro.
Comment l’enquête s’est-elle déroulée ?
L’enquête a eu lieu en France métropolitaine, à la Réunion, à Saint-Martin, en Guadeloupe, Martinique et Guyane (Cayenne) au cours de l’année 2011. Elle est le fruit d’un plan de sondage établi par croisement de bases existantes : déclaration obligatoire de séropositivité, cohorte ANRS CO4 FHDH, données des COREVIH et cohorte Aquitaine. VESPA2 a été conduite dans les hôpitaux ayant une file active supérieure ou égale à 100 personnes, sur des personnes majeures ayant été diagnostiquées séropositives au VIH-1 il y a plus de 6 mois. La passation des questionnaires qui durait environ 55 minutes était administrée par une personne spécialement formée et extérieure à l’hôpital dans des conditions prévues pour garantir l’anonymat. 3022 personnes ont répondu au questionnaire en métropole (taux de réponse de 58%) et 598 dans les départements d’outre-mer (taux de réponse de 64%). Pour tenir compte du biais dû au profil des personnes qui ont bien voulu répondre, les données ont été pondérées et redressées. Aussi les chiffres sont extrapolables à l’ensemble des PVVIH suivies à l’hôpital en France (sauf pour la Guyane, car seuls les services de Cayenne ont participé). « En métropole, en raison de la concentration de l’épidémie dans des groupes de la population bien circonscrits, avec des traits démographiques et sociaux spécifiques et des niveaux de prévalence et d’incidence très différents, des groupes socio- épidémiologiques exclusifs ont été créés : hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH[[hommes ne se définissant pas hétérosexuels ou ayant eu au moins un partenaire masculin au cours des 12 derniers mois, quel que soit leur pays de naissance.]]) ; usagerEs de drogues par injection (UDI[[transmission du VIH par usage de drogue ou histoire d’injection ou de substitution dans la vie, quel que soit leur pays de naissance et à l’exclusion des HSH.]]) ; immigréEs originaires d’Afrique subsaharienne ; et un groupe « autres », constitué de personnes non UDI, françaises ou immigrées nées dans un pays hors d’Afrique subsaharienne, principalement infectées par des rapports hétérosexuels. Hommes et femmes ont été distingués dans chaque groupe.»[[Dray-Spira R, Spire B, Lert F, et le groupe Vespa2. Méthodologie générale de l’enquête anrs-vespa2. Bull Epidémiol Hebd. 2013; (26-27):321-4.]] Les résultats sont présentés séparément pour les PVVIH métropolitaines et ultramarines.Résultats en métropole
Voyons d’abord comment se compose la population des séropositifVEs. La première enquête VESPA a été réalisée en 2003, selon un protocole similaire et depuis cette dernière étude, on compte parmi les personnes nouvellement diagnostiquées[[Dray-Spira R, Wilson d’Almeida K, Aubrière C, Marcellin F, Spire B, Lert F et le groupe Vespa2. État de santé de la population vivant avec le VIH en France métropolitaine en 2011 et caractéristiques des personnes récemment diagnostiquées. Premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2. Bull Epidémiol Hebd. 2013; (26-27):285-92.]] :- 39,7% d’immigréEs d’Afrique subsaharienne ;
- 36,4% de HSH ;
- 2,4% d’usagèrEs de drogues par injection ;
- 21,5% d’autres hommes et femmes hétérosexuelLEs.
- En 2011 la population infectée suivie à l’hôpital est répartie en : 39,1% de HSH ;
- 23,7% d’immigréEs d’Afrique subsaharienne (7,9% d’hommes et 15,8% de femmes) ;
- 10,9% d’usagèrEs de drogues par injection (6,8% d’hommes et 4,1% de femmes) ; 26,3% d’autres patientEs (12,8% d’hommes et 13,5% de femmes) ;
- en augmentation de proportion de femmes (de 28,8% à 32,9%) ;
- en forte baisse des usagers de drogues par injection (18% en 2003) qui s’explique par une baisse drastique de l’incidence de l’épidémie depuis la mise en place de programmes d’échange de seringues et un taux de mortalité élevé ;
- un doublement de la proportion d’immigréEs d’Afrique subsaharienne (de 11,5% à 23,7%) car si le nombre de nouveaux diagnostics parmi eux a baissé il reste nettement supérieur à celui des hétérosexuelLEs néEs en France et des UDI ;
- une diminution de la part des « autres » hommes et femmes (de 31,5% à 26,3%).
- diagnostic et initiation de traitement depuis 2003 : dans ce groupe épidémiologique, les femmes sont clairement majoritaires (66,7%) parmi les personnes dépistées depuis 2003. Les femmes sont plus jeunes au moment du diagnostic que les hommes (33 ans d’âge médian contre 38). « Le lieu estimé de la contamination est le pays d’origine pour la majorité des hommes et des femmes (54,5% et 59,5%), la France pour 19,1% et 20,0%, et il est inconnu pour les autres. » 46,5% des hommes et 32,2% des femmes ont été dépistéEs suite à une démarche volontaire, tandis que 20% des hommes et 15% des femmes disent avoir été dépistéEs sans le savoir. 61,8% des hommes et 56,4% des femmes ont été diagnostiquéEs à un stade tardif, et ultra tardif pour 42,4% et 34,2% respectivement. « La très grande majorité est entrée dans les soins rapidement après le diagnostic, mais pour 10% des hommes et 7,8% des femmes, ce délai a dépassé 6 mois, des proportions plus élevées que dans les autres groupes. » ;
- population suivie à l’hôpital en 2011 : elle vient pour plus de 80% de Côte d’Ivoire, Cameroun, Congo Brazzaville, République démocratique du Congo et Centrafrique. Les femmes sont majoritaires (66,5%). L’âge médian est de 48 ans pour les hommes et de 39 pour les femmes. Ont acquis la nationalité française 17,2% des hommes et 22% des femmes. Sinon, 4/10 ont une carte de résident, la moitié une carte de séjour d’un an et 1/10 est sans-papiers ou en cours de régularisation. 37,4% des hommes ont un diplôme universitaire contre seulement 11,1% des femmes, 70,6% n’ont pas le bac. 70,2% des hommes et 87,5% des femmes sont ouvrièrEs ou employéEs. 45,7% des hommes et 36,1% des femmes vivent en couple ; respectivement 2,3% et 31,9% vivent seulEs avec des enfants. Près de 25% cherchent un emploi. Les taux d’invalidité sont très bas : 5,8% des hommes et 9,5% des femmes. Le revenu mensuel médian est de 964€ pour les hommes et de 783€ pour les femmes ; respectivement 28,9% et 34,3% déclarent des privations alimentaires. Près d’1/5 n’a pas de logement personnel.
- diagnostic et initiation de traitement depuis 2003 : ces données ont été regroupées dans la catégories « autres hommes et femmes » en raison du faible effectif.
- population suivie à l’hôpital en 2011 : l’âge médian des hommes et des femmes est respectivement de 49 et 48 ans ; aucunE n’a moins de 30 ans et très peu ont dépassé 60 ans. Près de 9/10 sont françaisE, dont plus de 35% ont des parents immigrés (majoritairement du Maghreb). 2/3 appartiennent aux catégories employéEs ou ouvrierEs. La proportion de personnes invalides est très élevée (48,9% des hommes et 58,2% des femmes). Seulement 35,8% des hommes et 18,2% des femmes ont un emploi. Le revenu médian est de 1000€par mois. Plus d’un quart des hommes et 40,3% des femmes rapportent des privations alimentaires (pire qu’en 2003). 16% des hommes et 9,3% des femmes n’ont pas de logement personnel.
- diagnostic et initiation de traitement depuis 2003 : Parmi les nouveaux diagnostiqués, on relève une majorité d’hommes (55%). Les femmes sont plus jeunes au moment du diagnostic que les hommes (39 ans d’âge médian contre 44). 81,7% des hommes et 73,6% des femmes sont néEs en France ; sans qu’il y ait de pays ou de région du monde qui se distingue parmi les autres. 25,3% des hommes – chiffre particulièrement faible – et 47,4 % des femmes ont été dépistéEs suite à une démarche volontaire, tandis que 21,6% des hommes et 13,1% des femmes disent avoir été dépistéEs à leur insu. Consécutivement au faible nombre de démarches volontaires de dépistage, le pourcentage d’hommes dépistés tardivement, voir ultra tardivement est important (respectivement 65,6% et 47% ; contre 39,7% et 17,7% chez les femmes). Le pourcentage de personnes a avoir initié un traitement dans le mois suivant le diagnostic est de 94% pour les hommes et de 87,5% pour les femmes ;
- population suivie à l’hôpital en 2011 : l’âge médian est de 53 ans pour les hommes (28,3% ont plus de 60 ans) et de 47 ans pour les femmes (16,3% > 60 ans). Plus de 85% sont françaisE de naissance, dont plus de 20% ont un parent immigré. Parmi les immigréEs, 4% viennent de l’Union européenne, 4,4% du Maghreb et 6,1% d’ailleurs. « La distribution des catégories sociales est assez voisine entre hommes et femmes, les femmes comptant plus d’employéEs et les hommes plus d’ouvrièrEs ». 53,9% des hommes et 42,4% des femmes vivent en couple. 62,9% des hommes et 57,4% des femmes ont un emploi ; respectivement 9,7% et 9,9% sont au chômage, tandis que le taux d’invalidité avoisine les 20%. 5,8% des hommes et 8,5% des femmes sont allocataires du RSA ; respectivement 13,9% et 21,3% sont allocataires de l’AAH. Le revenu mensuel médian est de 1533€ pour les hommes contre 1300€ pour les femmes. Les hommes sont plus souvent propriétaires de leur logement que les femmes, mais la proportion d’hommes sans logement personnel est plus élevée que celle des femmes (12,1% contre 5,9%).
- ancienneté du diagnostic : médiane de 12 ans ;
- 34,7% ont été diagnostiqués depuis 2003 ; taux insuffisant de dépistages volontaires, dépistage tardif chez 30% des patientEs, et 13,5% des dépistages considérés comme ayant été réalisés à l’insu des personnes ;
- vieillissement de la population ;
- 93,3% des patients reçoivent un traitement antirétroviral (dont 88,5% ont une charge virale contrôlée et 56,7% ont plus de 500 CD4/mm3) ;
- 97,5% des personnes diagnostiquées avant 2003 sont traitées, mais 12% de celles diagnostiquées depuis 2003 sont encore naïves en 2011 (durée médiane de 4 ans après le diagnostic) ;
- 24% déclarent une hospitalisation complète au moins une nuit dans l’année écoulée ;
- 25,8 % perçoivent leur état de santé comme excellent ou très bon ;
- 12,3% perçoivent leur état de santé comme médiocre ou mauvais ;
- 16,6% des PVVIH suivies à l’hôpital avaient une charge virale détectable ;
- co-infections avec l’hépatite B ou C en baisse ;
- comorbidité fréquente ;
- 16,4% des patients infectés par VHC ;
- 17,5% des patients sous traitement hypolipémiant[[qui diminue le taux de lipides (cholesthérol,triglycérides dans le sang]] ;
- 17,1% sous traitement anti-hypertenseur ;
- 13% des patients rapportent un épisode dépressif majeur, ainsi que 1,5% déclare «une tentative de suicide dans l’année.
Résultats parmi les PVVIH ultramarines
Les situations sont tellement variées selon les territoires et les groupes épidémiologiques qu’il nous semble plus clair de les présenter sous la forme d’un tableau synthétique permettant des comparaisons rapides. (L’enquête n’avait pas été réalisée en 2003 à La Réunion.)ce qu’il faut en retenir
La population des séropositifVEs est vieillissante (sauf en Guyane), avec en métropole une augmentation de la proportion d’immigréEs d’Afrique subsaharienne. Les PVVIH sont toujours socio économiquement défavorisées par rapport à la population générale, avec une absence d’amélioration dans les départements d’outre-mer. Les indicateurs de santé (traitement ARV, charge virale et CD4) sont en nette amélioration et les taux de co-infections VIH-hépatites B ou C sont en baisse. Cependant, les taux importants d’hospitalisation complète dans l’année (24%), de co-morbidités nécessitant des anti-hypertenseur, d’hypolipémiant et de personnes déclarant un épisode dépressif majeur dans les 12 derniers mois sont des sujets de préoccupation majeurs, comme le fait que pour 30% des PVVIH le dépistage reste tardif, impliquant une perte de chance thérapeutique. Une grande question se pose à l’endroit du dépistage ; une proportion importante de personnes déclare avoir été dépistée à son insu sans que l’on sache exactement ce que cela recouvre.