La ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, déclarait vouloir « éradiquer » la prostitution et, à cette fin, réformer l’arsenal pénal français pour pénaliser les clients de la prostitution.
L’équation « pénalisation des clients = éradication de la prostitution » n’est pas nouvelle. Elle vient d’être reprise par une proposition de loi déposée par la députée socialiste Maud Olivier qui crée une « interdiction d’achat d’acte sexuel ». Osons le dire : derrière cette nouvelle mesure répressive se cache une véritable régression sociale. Sous bien des aspects, ce texte demeure pour nous, acteurs de terrain, mensonger, dangereux et inefficace.
Mensongère, cette proposition l’est en tournant le dos aux expériences déjà menées en la matière, notamment en Norvège ou en Suède, expériences qui, loin de prouver leur efficacité en matière « d’éradication de la prostitution », témoignent d’une précarisation accrue des personnes se prostituant. Les effets néfastes de ces lois sont en tous points semblables à ceux unanimement constatés en France suite à l’instauration en 2003 du délit de racolage passif : éloignement des structures de soins, de dépistage et de prévention, isolement des personnes et exposition accrue aux violences et à l’exploitation, stigmatisation, accès aux droits entravé.
Si les clients sont poussés à la clandestinité, les personnes se prostituant, elles, le seront d’autant plus. C’est en cela que la proposition est dangereuse. Mises à l’écart des centres-villes, éloignées de l’offre de soin et de prévention, elles seront davantage exposées aux risques sanitaires, au VIH/sida et autres IST. Qu’elles soient ou non contraintes à la prostitution, socialement, économiquement ou par les réseaux, les personnes proposant des services sexuels tarifés verront leur capacité de négociation réduite, les forçant à accepter certaines pratiques ou rapports non protégés. Cette plus grande clandestinité rendra plus difficile l’action des services de police dans la lutte contre la traite et l’exploitation. Ainsi, si les risques liés à l’exercice de la prostitution existent, la précarité et l’isolement induits par des mesures législatives répressives les décuplent.
« Depuis son application en 1999, la loi n’a pas amélioré les conditions de vie des travailleurs du sexe, mais au contraire les a empirées ». Tel est le bilan sans détour du « modèle suédois » dressé par le Programme des Nations Unies pour le développement. L’Organisation mondiale de la santé, l’Onusida, le Conseil national du sida sont par ailleurs unanimes : la pénalisation de la prostitution nuit à la santé des personnes qui la pratiquent. En dépit de ces conclusions et sans aucune considération pour les intérêts de santé publique les promoteurs de cette proposition de loi s’obstinent. La proposition d’abroger le délit de racolage public, préalable indispensable à un meilleur accès aux soins et au respect des droits fondamentaux des personnes se prostituant, si elle est saluée par nos associations, sera cependant totalement inefficace si ce délit est remplacé par la pénalisation des clients, de même que les mesures sociales si celles-ci sont conditionnées à l’arrêt de toute activité sexuelle tarifée.
Nos associations ne peuvent s’en satisfaire alors que les besoins en termes de santé et de droits sont réels. Une politique ambitieuse doit cesser de faire l’amalgame entre prostitution et traite. Elle doit se pencher plus avant sur la lutte contre l’exploitation, les parcours de sortie des réseaux dans un objectif de favoriser l’accès à la prévention, aux soins et de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes. Elle doit d’une part permettre à tous et toutes de sortir de la prostitution par une démarche volontaire et non imposée et d’autre part garantir le respect de la dignité, des droits et de la santé des personnes qui continueront de rester dans cette activité. Ces mesures, qui relèvent d’une approche humaniste et pragmatique de la prostitution, permettraient d’améliorer concrètement la situation des personnes, leur accès à la prévention, aux soins, au dépistage, à la santé et aux droits fondamentaux.
Thierry Brigaud, président de Médecins du Monde
Eve Plenel, directrice de Arcat
Laure Pora, présidente d’Act Up-Paris
Véronique Sehier et Carine Favier, coprésidentes du Planning familial
Bruno Spire, président de Aides