Ceci est un témoignage personnel avant et après une interruption d’environ cinq ans pendant lesquels il a été vital de déconnecter avec le VIH. ChacunE comprendra.
Plus de 1600 personnes sont venues nous voir depuis 2000. Encore aujourd’hui certains reviennent 10 ans après quand ils sont en vie… 80 % sont des hommes. J’ai rejoint Act Up-Paris en 1989 pendant quelques mois pour aider le groupe ici et là puis j’ai assisté à la première Assemblée Générale, une époque où la communauté était soudée, où il était malheureusement courant d’aller rendre visite à unE amiE à l’hôpital. Je ne pensais pas que 10 ans plus tard en 2000, j’y reviendrais pour y demander des renseignements personnels et faire le point sur ma nouvelle vie. Je cherchais, sans le savoir à l’époque, à militer dans la lutte contre le sida. En réalité, c’est l’incompréhension des autres face au vécu de ma propre maladie qui m’a rendu en colère. Ils n’arrivaient pas à comprendre à quel point j’étais fatigué, diminué. Petit à petit je me suis naturellement intégré à l’équipe en place. Ce que j’y ai aimé tout de suite, c’est l’aide par l’information aux malades «vision malade» et cela change tout. Je me suis rendu compte à quel point la société en arrivait à culpabiliser les malades d’être malades. La Permanence a pour vocation de recevoir les malades et de les entendre en les informant de leurs droits et en analysant le pourquoi de leurs situations. Parfois nous devons intervenir directement auprès de la Caisse d’Allocation Familiale (CAF), de la Caisse Nationale d’Allocation Familiale (CNAF), des Maisons Départementale Pour le Handicap (MDPH), des bailleurs sociaux, etc. Nous essayons bien évidement d’apporter à la Commission Droits Sociaux et au groupe plus généralement une synthèse mensuelle de la situation sociale des malades du sida en nous basant sur les cas traités pendant le mois. Si le groupe souhaite ensuite s’emparer d’un dossier ou d’une thématique, il a par devers lui tous les éléments pour le faire. La Permanence ne fait pas un travail politique stricto sensu, nous nous cantonnons à apporter des solutions au cas par cas. Les rapports humains y sont forts et riches. Puis, forts de l’analyse et de notre expertise, nous passons de l’individuel au général, au collectif et donc au travail politique. Cela se passe au sein de la Commission Droits Sociaux et ensuite emprunte les tuyaux de l’information du groupe en vue de faire ou pas un CP, une action…ou simplement d’en constituer archive : notre mémoire vivante. Les malades que nous rencontrons à la Permanence sont très souvent des séropos perduEs, isoléEs, vivant une grande solitude due à la fois à la maladie, à la honte et à la précarité. Les gays constituent le vivier le plus important de mes suivis. Ce sont toutEs des malades désespéréEs qui arrivent chez nous souvent en dernier ressort, en dernière extrémité. C’est tout un travail que de leur redonner confiance en leur prouvant qu’il y a d’autres alternatives à la gestion de leurs problèmes. CertainEs se posent plein de questions sur leur devenir, en général après une fracture sociale ou amoureuse qui devient un« déclencheur de conscience » de la maladie à vivre. D’autres sont déjà bien ancréEs dans la maladie et sont terriblement conscientEs de leur état. La liste ce qu’ils/elles considèrent comme « la perte d’une chance ». Je sens bien qu’ils/elles font un deuil de leur vie et qu’il faut absolument leur insuffler la notion de deuil du deuil pour pouvoir construire encore dans la promesse d’un meilleur lendemain. Et puis, il y a les malades lourdement traitéEs depuis longtemps. Chaque deuil est un échec et nous renvoie vers des sentiments contradictoires et humainement difficiles. Les usagerEs viennent pour recevoir des conseils, obtenir des aides dans leurs démarches et apprendre à gérer leurs problèmes. (Appartement de coordination Thérapeutique (ACT), Logement, MDPH, CAF, prestations, assurances, expulsions, surendettement, refus de soins dentaires, travail…).D’autres pour témoigner de leur désarroi face au vide de prise en charge, désarçonnéEs par tel ou tel évènement qui leur apparaît insurmontable. Ce ne sont pas des malades militantEs mais des usagerEs. CertainEs quittent parfois l’étiquette d’usagerEs pour devenir militantEs, mais c’est assez rare pour être souligné. Tout relève de l’urgence, sans toit, on ne se soigne pas, sans prestations, on ne vit pas, sans soins adéquats plus rien n’est faisable. Mais voyez-vous, pour réussir, il faut être au minimum militantE quand même, et c’est ce que les usagerEs apprennent à faire pendant toute la période de suivi chez nous. Ils/elles font de la politique à la première personne c’est-à-dire ils/elles apprennent à penser à eux/elles avant tout à construire pour eux/elles. Nous leur offrons toutes les informations que des pairs peuvent offrir et les aidons à matérialiser leurs voies pour atteindre leur but en les guidant à travers les écueils et il y en a tout le long. Il faut savoir penser aussi à la vocation des ACT (Appartements de Coordination Thérapeutique) pour PVVIH âgées, malades et dépendantes, aux maisons de retraites, au maintien à domicile, à une mort dans la dignité, aux soins post-mortem…Tout ca, c’est penser à la vie. « vieillir avec » devient extrêmement complexe, gérer les prestations retraite avec de l’AAH en perdant tel ou autre avantage ; décider ou pas de passer en retraite prématurément quand on est handicapé et malade ; autant de choix difficiles à faire quand on ne maîtrise pas le système. Le labyrinthe des droits et des non droits, des pertes de droits est archi-compliqué et encore archi-inconnu. Nous avançons sur un chemin très mal balisé. Notre but est de redresser des situations de détresse vers des situations de survie puis de vie, dans le respect de la personne, de la volonté du malade et de son consentement, le tact et la mesure. Urgence pour les logements d’urgence ! Le concept a du mal à passer et pourtant je vois bien qu’arrivé à un point d’extrême urgence, il n’y a simplement pas de dispositif adéquat pour la communauté séropositive ou malade. C’est difficile pour moi de l’admettre, mais je n’ai pas de réponse en l’état actuel des choses. La question de comment se soigner devient alors cruciale, incontournable. La précarité tue et continue. Il y a encore et toujours des problèmes avec les MDPH. Nous en souffrons depuis le début de l’épidémie et pourtant nous nous sommes battus cruellement pour aboutir à ces maigres acquis. Il y a des séropos qui travaillent. Certains se débrouillent tout à fait bien tout seul et même parfaitement bien et heureusement. Mais ils admettent volontiers qu’ils mentent sur leur maladie. Elle n’a pas de place dans leur monde du travail. Le dire, le faire admettre à l’entreprise et le « bien vivre » reste quand même exceptionnel. Comment reconvertir sa vie professionnelle quand on est malade dans le long terme ? Chacun essayera sa voie avec son vécu et ses choix. Il me parait indispensable de savoir accepter et respecter les séropos qui choisissent de ne plus se concentrer que sur leurs soins. C’est ici que commence toute l’importance du certificat médical. Je n’ai jamais ressenti de pression exagérée des malades sur l’AAH, c’est une garantie de première pour rester précaire. L’AAH est au dessous du seuil de pauvreté en France et en Europe, ce n’est pas le luxe ni la planque… En choisissant Act Up-Paris, j’ai fait le pari de survivre, de vivre en me sentant utile. Frédéric COHEN – Responsable de la Permanence Droits Sociaux à Act Up-Paris