Ce deuxième jour de CROI, un sujet d’actualité est à l’honneur plus que les autres. On parle prévention biomédicale à Seattle et plus spécifiquement PrEP.
La plénière qui débute la journée a été l’occasion de résumer les épisodes précédents, si l’on peut dire, en rappelant les différents résultats déjà collectes, 42% d’efficacité dans l’essai iPrEx en 2012, essai international ayant inclus des gays et trans et qui a révélé que le talon d’Achille de cette technique était l’observance comme disent les scientifiques. Nous y reviendrons. Mais aussi les 75% d’efficacité obtenus dans Partners prep avec des couples hétérosexuels serodifferents et puis la difficulté rencontrée dans les essais chez les femmes dont les résultats sont un raté.
Certes, Raphael J. Landowitz a rappelé comment on a étudié et trituré ces données dans tous les sens en stratifiant les données en fonction de l’observance pour se dire que finalement ça devait marcher, et même très bien, et que finalement, il fallait oser l’écrire, la PrEP, ça marche quand on s’en sert !
Mais c’est après l’approbation par l’administration américaine en 2012 de l’utilisation du truvada en PrEP que les difficultés du terrain sont apparues. Quels médecins peuvent, ou ont le droit, de prescrire, pour qui exactement, avec quel suivi. ? Même si ces éléments étaient déjà connus, ils n’avaient jamais subi l’épreuve du terrain et de nombreuses expériences de mise à niveau ont été nécessaires et le seront encore. Il est clair que les expériences de New York ou de San Francisco, particulièrement engagées, seront profitables pour lancer l’expérience en Europe.
Mais nous n’en sommes qu’au début. Pourtant, si beaucoup de choses restent à inventer, il est de plus en plus clair pour tous que l’accompagnement des personnes apparait apparaît déjà comme le déterminant de la réussite de l’implémentation des PrEPs. Mais de quoi parle-t-on quand on dit ça ? En fait les choses seront plus développées plus tard dans la journée. Pour la plénière de ce matin on s’est contente contenté de poser une autre question non moins intéressante : de combien de PrEP a-t-on besoin pour réussir ? Autrement dit quel est le niveau d’implémentation nécessaire pour infléchir l’épidémie ? Pour l’heure on en reste aux modèles mathématiques. Affaire à suivre.
La session de présentations orales est le moment attendu de la journée. Sheena MacCormac ouvre le bal avec la présentation des résultats de l’étude anglaise PROUD. Explication de l’essai : l’objectif était de monter un essai qui évalue ce que la PrEP donne chez les gays dans la vraie vie. D’où les dépistages, examens et prises en charges diverses organisées tels qu’en routine. Sauf qu’il y a de la PrEP et que c’est une recherche dans laquelle les participants (il y en a eu au total 545) sont répartis par tirage au sort en deux groupes, l’un qui bénéficie de la PrEP tout de suite (276) versus l’autre qui ne l’aura que dans un an (269). Et on compare. Résultat : 3 infections aux VIH dans le groupe immédiat versus 19 dans le groupe différé malgré la prescription de 174 TPE au cours de l’essai. Ce qui revient à dire que la stratégie a protégé à 86% (intervalle de confiance à 90% : 62-96%; P=0.0002). Côté observance, le dispositif est assez succinct puisque basé essentiellement sur le nombre de prescriptions de Truvada effectué aux participants. Il ne faut pas perdre de vue que le protocole recommandé ici est la PrEP en continu, une pilule par jour. Côté dépistage d’IST, c’est à peu près la même chose dans les deux groupes, 29% dans le groupe immédiat versus 27% dans le groupe différé. Le produit a été bien toléré dans l’ensemble mais il est à déplorer l’apparition de résistances à l’emtricitabine dans les trois cas de contamination du groupe immédiat.
A suivi la présentation par Jean-Michel Molina des résultats de la phase en double aveugle de l’essai IPERGAY. L’essai propose de tester l’efficacité d’une PrEP « à la demande », c’est-à-dire en suivant un protocole bien précis de prises en fonction de l’intention des participants. Le schéma typique est deux pilules de truvada au moins deux heures avant un risque d’exposition puis une pilule 24h après puis encore une 24h après la précédente. Schéma minimum pour, disons, un rapport sexuel. Pour prolonger la séquence, il suffit de continuer à prendre une pilule par 24h tant qu’on éprouve le besoin d’être protégé et de terminer la séquence par les deux pilules hors exposition au risque. L’accompagnement offert aux participants par l’essai n’est pas vraiment de la routine. C’est plutôt la classe luxe. Conseils en prévention, mise à disposition de préservatifs et gel, vaccinations si besoin, TPE en cas de besoin, dépistage et prise en charge des IST ainsi que de l’hépatite C,… Mais il faut dire que les volontaires recrutés sont répartis par tirage au sort en deux groupes, l’un recevant du truvada, l’autre un placebo mais sans que les participants (pas plus que leurs médecins) ne sachent ce qu’ils prennent. Au final, le comité indépendant de l’essai, après avoir examiné les données réelles en novembre 2014 a recommandé l’arrêt immédiat du bras placebo et la mise à disposition de PrEP à tous les participants, jugeant que la preuve était faite. En effet, sur les 414 personnes recrutées et réparties dans les deux groupes à cette époque, on a observé 16 contaminations. 14 concernent les personnes du groupe placebo et ces contaminations sont réparties tout au long de l’étude. Deux concernent le groupe truvada et sont intervenues presque simultanément après un an et demi d’étude. Ces données déterminent l’efficacité montrée par l’essai : avec 6,75 pour cent personne-année infectée dans le groupe placebo versus 0,94 pour cent personne-année infectée dans le groupe truvada, l’essai démontre que le truvada protège de l’infection à 86% (intervalle de confiance à 95%: 39.4-98.5%, P=0.002). Mais ce n’est pas tout.
De nombreux recueils de données pour mesurer ce que les gens ont fait au cours de l’essai ont été réalisés. Et des dosages de médicaments dans le sang ont été effectués pour vérifier la réalité. De tout ceci il résulte plusieurs choses intéressantes. Les participants ont utilisé en moyenne 14 pilules par mois. Quand on regarde la répartition de cette utilisation on ne trouve qu’un joli patchwork très bigarré mais aucun comportement privilégié ne ressort. Et enfin, les deux personnes contaminées dans le groupe truvada n’utilisaient plus le traitement depuis quelque temps lorsqu’elles ont été contaminées. Tout ceci donne à réfléchir à la fois sur la « vraie vie » de l’utilisation de truvada et aussi sur la réelle efficacité démontrée par l’essai. Hormis tout ça, pas de souci majeur de tolérance du truvada dans l’essai. Quant aux IST, on est à peu près au même niveau que dans PROUD, ici, 34% de personnes concernées dans l’essai quel que soit le groupe.
Bien d’autres présentations de cette session mériteraient aussi quelques commentaires. Mais il s’agissait là des résultats les plus attendus et les moins connus.
Ce qu’apporte le résultat d’IPERGAY c’est sans conteste une certaine satisfaction à la vue de ces 86%. Mais en fait, il faut aller bien au-delà. On a senti que chez les journalistes durant la conférence de presse qui a suivi la session comme une progressive prise de conscience qu’IPERGAY, c’était autre chose que juste un essai de PrEP de plus qui marche. Il y a dans ce concept de PrEP « a la demande » une nouvelle proposition qui renverse les discours entendus jusque-là propos de l’observance. Les personnes qui prennent de la PrEP ne sont pas des malades. On ne leur inflige pas un traitement à suivre à la lettre, IPERGAY offre aux personnes un nouveau dispositif de prévention et la liberté qui va avec de l’utiliser ou de ne pas l’utiliser, de choisir « non, pas de pilule bleue, ce soir, c’est capote ». Et ils l’ont montré ! Il y a plus d’utilisation de préservatif par les participants à la fin d’IPERGAY qu’au début. Les journalistes étaient étonnants, on aurait cru des enfants découvrant un nouveau jouet : untel de San Francisco « mais alors si quelqu’un se prépare un week end de fun, il démarre le vendredi et le lundi il arrête ? »
C’est un peu la fin d’une longue période de recherche, mais c’est aussi le début d’une période de mise en œuvre à laquelle nous venions d’assister.