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La fameuse conférence la plus prisée du milieu sida, la CROI, conférence annuelle rétrovirus et infections opportunistes, ouvre ce lundi 22 février à Boston.

Imperceptible changement dans les habitudes, la session d’ouverture est un lundi et non plus comme depuis des années un dimanche soir. Elle sera suivie néanmoins par les habituels trois jours de conférence qui, comme à l’accoutumée, seront des journées plus remplies que jamais où il faudra choisir entre une multitude de sessions parallèles toutes plus intéressantes les unes que les autres. L’avantage de la CROI est que dans un délai guère au-delà des 24 heures, tout est visible en ligne sur le site de la conférence www.croiconference.org en anglais, évidemment…

Mais avant la session d’ouverture de ce lundi soir, le programme a déjà commencé à se dérouler. Depuis ce matin 9h, une foule se presse pour assister à la session du comité d’organisation destinée aux jeunes investigateurs et qui rassemble de plus en plus de monde en dehors des premiers concernés. Pourquoi cela ? Simplement parce que cette session est une idée géniale. Conçue au départ pour acculturer les jeunes étudiants et chercheurs au domaine qui est le nôtre, cette session est une présentation par les membres du comité d’organisation des principaux sujets traités lors de la conférence et présentés sur un mode plus accessible que ne le seront les sessions. Les grands thèmes sont présentés un à un avec un rappel de connaissances et une contextualisation des recherches qui feront l’objet des présentations de la semaine. Rien n’est dévoilé totalement, la primeur appartient aux auteurs, mais tout est dit sur les thèmes, les sujets et les questions d’actualité que la conférence traitera. Rien de tel que d’y assister pour se préparer à prendre la bourrasque de science des prochains jours.

Alors, de quoi la CROI 2016 sera faite ?

Cinq thèmes ont été présentés à cette session : la virologie moléculaire, l’immunologie et les vaccins, les réservoirs et la guérison, l’évolution du paysage de la prévention et les complications à long terme de l’infection à VIH.

Virologie moléculaire

Présenté par Wesley L. Sundquist, ce thème fait partie de ce qu’on appelle la recherche fondamentale. Ardu pour ne pas dire inaccessible à beaucoup de monde, on est là dans ce qu’on nomme aussi la physiopathologie. Diverses petites choses seront présentées à la CROI 2016 en la matière mais l’on retiendra surtout ce qui fait la tête d’affiche de la conférence, l’annonce de la découverte d’un nouveau mécanisme de restriction cellulaire susceptible de bloquer le VIH mais contrecarré par une des protéines virales, nef. D’accord, ça demande un peu de décodage. Le VIH colonise les cellules cibles dans lesquelles il met à profit la machinerie cellulaire afin de se reproduire. Mais les cellules humaines visées ne restent pas insensibles aux infections virales. Elles ont acquis au cours de l’évolution des mécanismes de défense. On en a découvert déjà plus d’un capable de déjouer l’infection par le VIH de la cellule. Leurs noms barbares sont ceux des protéines générées par les cellules et responsables de ces mécanismes : apobec, trim 5 alpha, thetherin… Hélas les choses ne sont pas si simples et le VIH possède aussi ses contre-mesures, de petites protéines de contrôle qui peuvent bloquer ces mécanismes : comme vif pour apobec.
Un laboratoire de recherches vient de publier le résultat de ses travaux sur la découverte d’un mécanisme de ce genre et présentera à la CROI sa synthèse. Le mécanisme cellulaire se nomme serinc et la protéine virale qui le bloque est nef. L’on connaissait déjà nef pour d’autres fonctions et l’on savait que sans cette protéine, le virus avait beaucoup de mal à se répliquer dans les cellules infectées. Ce qui vient d’être découvert c’est cette famille de protéines cellulaires serinc (il y en a 5) et le fait qu’elles pouvaient bloquer la réplication virale à condition de ne pas trouver nef sur leur chemin. On en sait encore peu sur le rôle de ces protéines dans les mécanismes des cellules saines. Il reste encore beaucoup à étudier sur le sujet.

Pourquoi c’est important ? Parce que c’est en découvrant des mécanismes comme celui-là que les chercheurs identifient les cibles potentielles pour attaquer le virus. Cette découverte, comme l’ont été beaucoup d’autres avant elle, sera peut-être mise à profit dans un avenir proche pour mettre au point une piste thérapeutique, voire préventive, un traitement ou un vaccin. C’est comme cela que l’on découvre en quelque sorte les failles de sécurité du virus.


Immunologie et vaccins

C’est vers des domaines plus étranges que nous a emmené Richard L. Koup ce matin. En commençant sa présentation du sujet par nous parler de ce qui fait l’actualité de la recherche biologique depuis quelques temps déjà, le microbiote, il a surpris son auditoire en rappelant ce qu’on en sait actuellement, à savoir, qu’un humain héberge pas moins de 10^14 bactéries qui composent ce qu’on nomme le microbiote humain, alors qu’il est composé lui-même de 10^13 cellules. A se demander qui domine… On sait que ce microbiote évolue en variété et en quantité au cours de la vie, qu’il est sensible à beaucoup de choses qui font les conditions de vie d’un individu, qu’il est sensible aux prises d’antibiotiques et aux maladies diverses. Ce que l’on se demande depuis peu dans l’étude de ce milieu, c’est jusqu’à quel point il influence des choses comme nos réactions aux maladies ou aux vaccins. Il a été clairement établi que l’infection à VIH d’un individu affecte son microbiote. C’est donc dans ce type de recherche que nous emmèneront une partie des travaux présentés à la CROI 2016.

Les réservoirs et la guérison

Parmi les sujets d’actualité, celui-ci est devenu un incontournable. Huldrych F. Günthard a présenté le sujet sous un angle intéressant, celui des questions et des controverses non résolues. Et ce n’est pas ce qui manque en matière de réservoir. Quelles cellules infectées constituent le réservoir viral ? Qu’est-ce qui maintient l’infection, est-ce la réplication à bas bruit du virus dans quelque compartiment caché ou difficilement atteignable par les antirétroviraux ou bien les cellules infectées latentes ont-elles une durée de vie particulièrement longue ? Comment mesurer la taille du réservoir ?
Là encore, il semble qu’on n’attende pas de cette conférence des annonces essentielles ou révolutionnaires, rien ne va venir résoudre les controverses cette année à Boston. Mais on aura quand même quelques détails sur les pistes actuellement explorées de contrôle de la latence des cellules pouvant mener vers une rémission fonctionnelle si ce n’est la guérison.

L’évolution du paysage de la prévention

Sharon L. Hillier ne nous annonce pas non plus de révolution sur le terrain des recherches en prévention qui ont connu leurs heures de gloire à la CROI de l’an dernier mais plutôt une foison de résultats d’études de mise en œuvre ou d’implémentation. Cependant, un résultat important est attendu à Boston, celui des essais d’anneaux vaginaux, un dispositif de prévention par application locale plutôt que par administration systémique. Les anneaux vaginaux sont en effet des dispositifs capables de dispenser un produit antirétroviral à visée préventive localement pour prévenir du risque d’infection. D’autres résultats sont attendus en matière de PrEP comme ceux d’essais de nouveaux antirétroviraux mais aussi de formulations permettant l’administration à long terme. Certaines études devraient aussi nous en apprendre davantage sur les risques de ce type de technique. Plusieurs sessions, présentations orales, discussions à thème ou symposiums seront à découvrir cette semaine.

Les complications à long terme de l’infection à VIH

Quant aux aspects classiques de la recherche clinique, ils feront l’objet de quelques sessions essentiellement consacrées aux complications et comorbidités de l’infection à VIH disséminées au long de ces trois jours de conférence. Au menu, les questions d’inflammation et leurs conséquences sur les risques cardiovasculaires, de cancer et autres soucis métaboliques. Mais Judith S. Currier nous promet aussi quelques considérations intéressantes sur le tissu adipeux et ses propriétés insoupçonnées de réservoir.

Session d’ouverture

La conférence a été ouverte ce lundi soir par sa présidente, Julie M. Overbaugh. Cette CROI 2016 rassemble 3912 personnes de 95 nationalités. La prochaine CROI aura lieu à Seattle du 13 au 16 février et celle de 2018 se tiendra à Boston du 4 au 7 mars. Si ces villes hébergent la conférence, c’est principalement à cause de leur attractivité tarifaire à une période de l’année où leur climat est moins attractif que les villes du sud, mais cela permet à la CROI de maintenir un tarif abordable pour les participants.

La traditionnelle présentation à la mémoire de Bernard Fields a été confiée cette année à Bruce D. Walker. Une présentation remarquable sur le rôle des lymphocytes T CD8 dans l’infection à VIH résumant l’ensemble des connaissances acquises en trente ans de recherche.

La dixième présentation à la mémoire de N’Gali et Mann a été faite par un pionnier de la lutte contre le sida, Gerald H. Friedland ayant été l’un des premiers à prendre en charge les usagers de drogue, population ô combien vulnérable et persécutée dans les années 80 ainsi que le problème de la tuberculose dans les populations pauvres autour de New-York.

Enfin, pour clore cette session inaugurale, la fondation CROI a invité le président de l’AmFAR, Kenneth Cole pour un hommage et une rétrospective de l’exceptionnelle fondation crée par Elisabeth Taylor au tout début de l’histoire du sida.