Depuis la CROI (Conference on Retrovirus and Opportunistic Infection) 2016 à Boston, voici quelques repères de la journée de mercredi.
Ici commence un monde inconnu pour la plupart d’entre vous. Mirage ou réalité? Non, nous sommes bien à la CROI à Boston en 2016. Les deux plénières de ce matin font l’effet de la découverte de continents jusque là inconnus et de révélations pour beaucoup de celles et ceux qui assistent à la conférence. Avoir mis ces deux sujets à l’ordre du jour ne peut que laisser interrogatif. Et sans doute sans réponse évidente. La thérapie génique dans le VIH d’une part et la population transgenre et le VIH d’autre part, s’agit-il pour le comité d’organisation de combler un vide ou d’une révélation ? La CROI ne sera décidément jamais une conférence comme les autres.Les progrès de la thérapie génique contre le VIH
Ce que Paula M. Cannon (UCLA) nous expose ce matin est à peu de chose près incompréhensible ou presque. Arriver à restituer ses travaux et ses propositions demande de se replonger dans quelques épisodes précédents pour comprendre un peu mieux de quoi il s’agit. Il y a quelques années, l’affaire du « patient de Berlin » fit grand bruit dans le petit monde du sida. Une guérison aurait été réussie grâce à une affaire de greffe de moelle osseuse ! Sans réexposer l’ensemble de l’histoire, résumons simplement en disant que le fameux patient, séropositif au VIH mais aussi leucémique, a bénéficié d’une greffe de moelle osseuse pour guérir sa leucémie mais qu’en plus cela l’a rendu insensible au VIH. En effet, le donneur de la greffe faisait partie des rares individus porteurs d’une mutation génétique rare appelée delta 32 qui empêche les cellules du porteur d’être infectées par le VIH. La mutation consiste en une modification du gène qui code pour un récepteur de surface des cellules immunitaires appelé CCR5 et qui sert au VIH de porte d’entrée dans les cellules. Plus de CCR5, plus de porte d’entrée. La greffe de moelle osseuse consistant à remplacer chez le receveur ses cellules souches du sang par des cellules d’un donneur, notre patient de Berlin s’est vu attribuer des cellules souches le dotant de cellules immunitaires résistantes au VIH dont il était porteur auparavant. Plus de cellules infectables, plus de virus ! Cette histoire a donné des tas d’idées à des chercheurs. C’est cela dont nous parle l’oratrice de ce matin. Parmi ces idées, la plus répandue et la plus testée est celle qui consiste à prélever les cellules souches d’un séropositif, les manipuler génétiquement en leur conférant une résistance au VIH puis en réimplantant ces cellules au donneur. La greffe est ici infiniment plus simple puisque le donneur et le receveur sont une seule et même personne. Pas de souci de compatibilité. Il y a juste quelques différences par rapport au cas précédent, notamment le fait que les patients ne subissent pas la destruction de leurs cellules immunitaires et restent donc porteurs de cellules infectées. Ce que l’on espère de cette technique, c’est que les nouvelles cellules, plus résistantes, prennent peu à peu la place des anciennes et que cette concurrence affecte aussi les cellules latentes infectées qui constituent le réservoir viral. De très bons résultats ont déjà été observés chez les personnes traitées ainsi y compris le fait de leur conférer un statut de « elite controller », c’est-à-dire d’être capables de maîtriser la réplication virale sans l’aide d’un traitement antirétroviral. Voilà levé en partie le mystère de la thérapie génique dans le VIH. En conclusion des travaux menés dans ce sens en recherche clinique, notre oratrice souligne que le procédé est sûr et bien toléré, que le compte de cellules CD4 et de lymphocytes totaux en a été augmenté, que les cellules modifiées persistent bien et à long terme. Ce que l’on espère c’est que le réservoir régresse. Si ce type de technique présente d’intéressants résultats, il n’en demeure pas moins qu’elles font appel à des moyens énormes et complexes et que leur déploiement sur un grand nombre de personnes semble pour le moins à l’heure actuelle difficile à envisager. Le VIH dans les populations transgenre, les eaux connues et inconnues Le titre de la deuxième plénière de ce mercredi est clair et a de quoi surprendre dans une conférence telle que la CROI. Mais peut-être à tort au fond. Tout au moins pourra-t-on dire qu’il en aura fallu du temps pour que cette conférence si rigoureuse aborde un sujet que l’on sait depuis longtemps incontournable. Sans doute est-ce encore un de ces effets collatéraux de la résolution de l’ONUSIDA (L’objectif 90.90.90 de l’ONUSIDA fait l’objet d’un symposium plus tard dans la journée) qui vise la fin de l’épidémie et qui oblige enfin, si l’on veut s’y affronter, à cesser d’occulter les populations minoritaires et à s’atteler à la tâche comme il en a été question dans certaines présentations hier. Tonia C. Poteat (John Hopkins Univ. Baltimore) connait parfaitement le sujet et le présente avec une précision remarquable. Nous ne donnerons dans cette chronique que quelques repères en assurant nos lecteurs que nous y reviendrons plus longuement et dans le détail tant ce travail mérite qu’on s’y penche et qu’on le fasse connaître. L’oratrice a bien entendu commencé par définir clairement de qui elle parle, transgenres hommes et femmes vs cis-genres. Elle a ensuite proposé une certaine évaluation de la population transgenre (697 529 aux Etats Unis, 0,3% de la population ; 0,1 à 0,5% en Europe ; 0,7 à 2,9% en Asie… ) avant de parler de la prévalence du VIH chez les transgenres en différenciant la question des trans hommes moins documentée selon ses propos que les trans femmes. Son estimation basée sur la compilation de 39 études sur 15 pays à travers le monde entre 2000 et 2011 est de 19% de prévalence soit 49 fois celle de la population générale. Elle serait de 22% aux Etats Unis (34 fois la pop. générale). La revue systématique de la littérature entre 2012 et 2015 permet d’afficher une augmentation exponentielle, une estimation de 2% des jeunes et 45% des travailleuses du sexe et des femmes de couleur, une incidence estimée entre 1,2 et 3,6 pour 100 personnes années. Enfin, les femmes trans qui ont des relations sexuelles avec des hommes ont la prévalence la plus élevée au VIH de toutes les populations clés. En Afrique, les femmes trans sont séropositives au VIH dans des taux disproportionnés par rapport à la population. Ainsi au Lesotho où la prévalence du VIH chez les adultes est de 23%, elle est de 27% chez les femmes, de 18% chez les hommes, de 28% chez les HSH et de 60% chez les femmes trans. Notre oratrice dresse ensuite un tableau détaillé de ce qui fait la vulnérabilité au VIH des femmes trans. Les paramètres sont d’une part biologiques. L’utilisation des hormones pose de nombreuses questions d’interactions avec les antirétroviraux, que ce soit dans le cadre de la PrEP ou du traitement de la maladie, mais aussi d’interaction avec la muqueuse anale. Pour les femmes trans opérées, on n’a aucune idée des risques de transmission. Enfin, l’utilisation de prothèses diverses pose des questions sanitaires et des interrogations sur les risques inflammatoires chez les séropositives au VIH. Ces paramètres sont aussi d’ordres structurels et sociaux. Sous la pression sociale, nombre de femmes trans sont des travailleuses du sexe, ce qui les expose plus que d’autres aux risques. Mais l’ensemble des questions soulevées par la discrimination et la stigmatisation compliquent pour elles la question de l’accès aux soins et à la prévention et augmentent tous les risques de dérive dus à l’usage de produits ou l’excès d’alcool qui peut être la conséquence du renforcement de la pression psychologique subie autant que la dégradation de leurs conditions sociales. Le mouvement « positively Trans » a dressé la liste des 5 sujets prioritaires pour les femmes trans séropositives : – Le respect du genre et la non discrimination dans le soin, – Les traitements hormonaux et les effets secondaires – La santé mentale y compris les traumatismes – Les besoins personnels comme la nourriture – Les traitements antirétroviraux et les effets secondaires Dans une enquête portant sur 400 femmes trans dont 48% utilisaient un traitement hormonal depuis au moins 6 mois, il a été observé que si leur médecin traitant pour le VIH était le prescripteur d’hormonothérapie, les femmes trans étaient trois fois plus susceptibles d’avoir une charge virale indétectable et avaient bénéficié d’une visite médicale VIH dans les six derniers mois. Le catalogue des recherches à mener sur les trans est vaste et varié. Qu’il concerne la biologie, la clinique, les communautés, le design des études médicales (cessons de confondre HSH et trans) ou la société, les questions sont innombrables et complexes. Des résultats et des avancées ne pourront être obtenues sans une véritable approche respectueuse du genre. Recherche en prévention, méli-mélo de résultats La session O-9 n’est pas vraiment un fourre-tout de la prévention, elle est surtout le résultat de l’effervescence de la recherche sur le sujet. On y a croisé des scientifiques blasés comme des chercheuses passionnées. Présenté par Roy Gulick, l’essai HPTN069 avait pour but de tester le maraviroc, un antirétroviral de la classe des inhibiteurs d’entrée, anti-CCR5 en tant que nouvel agent de PrEP. Tester ainsi de nouveaux candidats devient maintenant plus compliqué puisqu’il s’agit de se comparer aux techniques de référence et de ne pas mettre les participants dans des situations à risque. Le design de l’essai était ici une comparaison entre deux groupes, l’un recevant le maraviroc seul, l’autre maraviroc plus du truvada. L’essai était mené en double aveugle avec placebo, c’est-à-dire que tous les participants recevaient les mêmes pilules mais certains avaient des pilules placebo à la place des composés absents de leur combinaison. Le résultat final est satisfaisant en termes d’efficacité. L’incidence dans l’essai est de 1,6%. Elle est constituée par 5 contaminations au VIH, une dans le groupe maraviroc+truvada et quatre dans le groupe maraviroc seul. Dans tous ces cas, les mesures de concentration de médicaments dans le sang montrent un niveau très inférieur à celui souhaité, indiquant une absence d’observance du traitement préventif ayant exposé les participants à un risque d’acquisition du VIH. Ian McGowan présente ensuite les résultats pharmacodynamiques de ce même essai HPTN069. En effet, il était important pour les chercheurs ayant mené cette étude de vérifier la présence du produit dans les tissus rectaux et plus particulièrement l’influence du maraviroc sur le tissu lymphoïde associé au tissu intestinal. Le résultat de cette sous-étude montre clairement qu’il n’y a aucune modification induite par le produit testé susceptible de rendre la muqueuse intestinale plus vulnérable. Par ailleurs les concentrations de produit mesurées dans les tissus sont satisfaisantes. Chasity D. Andrews nous a résumé l’étude d’efficacité d’un autre antirétroviral destiné à un usage de PrEP sur des macaques chez qui l’efficacité a été testée par la soumission à des injections de virus. Le but de cette étude était de tester la possibilité de protection chez les usagers de drogue injecteurs. Le produit testé est le cabotegravir. La particularité du produit est de se présenter sous une forme qui permet la diffusion lente sur une longue période à partir d’une injection du produit. Plusieurs modes d’administration ayant été testés, ils ne se montrent pas tous totalement efficaces mais ils ont permis au total une protection de 88% des animaux contre le risque d’acquisition du virus. Ces essais soutiennent l’intérêt de tester ce produit pour une protection des usagers de drogue injectable. L’étude ECLAIR, quant à elle consistait en une mesure de la tolérance du même produit, le cabotegravir en injection longue durée en PrEP chez des volontaires humains. Il a été mené en double aveugle contre placébo chez des hommes à faible risque. L’espacement des injections est de 12 semaines. Il s’avère que le problème numéro un de ce produit est la douleur au point d’injection. Elle a conduit douze participants à interrompre leur participation à cet essai. Au final il y a eu deux contaminations dans l’essai, l’une dans le bras placebo, l’autre dans le bras cabotegravir. Les mesures de concentration du produit chez cette personne ont montré des niveaux inférieurs à ceux nécessaires pour être efficaces. En conclusion de cette recherche, les résultats sont encourageants pour poursuivre le développement du cabotegravir en PrEP. L’absorption et l’élimination du produit injecté est plus rapide que prévu, faisant atteindre des niveaux sub-optimaux entre deux injections. Il est donc envisagé de poursuivre le développement en s’orientant vers une administration toutes les 8 semaines. Dans tous les cas, la satisfaction des participants pour cette formulation a été satisfaisante et supérieure à celle du traitement proposé en comprimés. Nous avons eu ensuite la joie de retrouver Geraldo Garcia-Lerma, ce qui, dans une session consacrée à la PrEP, était un honneur. En effet, ce chercheur est celui qui a le premier publié une évaluation du tenofovir en PrEP chez les macaques en 1995, ce qui fut le prélude à toute l’aventure de la recherche sur la PrEP. Il s’agissait ce jour pour lui de présenter le résultat d’une étude de la nouvelle formulation du ténofovir de Gilead, le TAF que le laboratoire entend commercialiser très bientôt. Le principal avantace de ce tenofovir alafenamide (TAF) qui devrait remplacer le précédent fumarate de tenofovir disoproxyl (TDF) est principalement une bien meilleure absorption de cette pro-drogue de ténofovir qui permet de n’utiliser qu’un dixième de la dose du produit précédent pour obtenir une concentration identique de tenofovir intracellulaire. Cette étude pré-clinique est sans doute la clé indispensable à Gilead pour obtenir la future License de son nouveau produit en PrEP. C’est avant tout une histoire de gros sous puisque le brevet du tenofovir TDF arrive à échéance l’an prochain. Il n’aura échappé à personne l’aspect prestigieux pour la firme pharmaceutique de confier à Geraldo Garcia-Lerma le soin de réaliser cette étude. Cela s’appelle du marketing. S’en est suivi la présentation d’une étude de microbicide rectal au design si compliqué et au résultat si incertain qu’il est vraiment difficile d’en dire grand-chose sinon que, face à l’efficacité de la PrEP orale, ce type d’étude devient quelque peu obsolète. Et pour conclure ce florilège de résultats de recherche préventive, les deux dernières présentations portaient toutes deux sur les résultats d’efficacité des anneaux vaginaux. Deux études séparées du même dispositif, menées en parallèle par deux groupes différents mais tous deux organisés dans différents pays d’Afrique. Précisons que le dispositif testé ici est un anneau diffuseur local d’un antirétroviral, la daprivirine. Mis en place dans le vagin, il agit un peu comme les microbicides appliqués sous forme de gel mais a la particularité d’être un diffuseur à long terme. Les essais menés l’ont été contre placebo. Les résultats sont assez semblables. L’essai ASPIRE montre une réduction de 27% entre le groupe de femmes testant le produit et celui ayant eu le placebo. En excluant les sites d’investigation dont le niveau d’adhésion à la technique est faible, on arrive à 37% d’efficacité. Mais finalement la stratification la plus intéressante des résultats est celle par âge. En effet, l’efficacité tombe à 10% chez les moins de 21 ans tandis qu’elle est alors de 56% chez les aînées. L’étude IPM donne des valeurs très similaires puisqu’elle affiche une réduction de 31% des contaminations dans le bras testant le produit. Plusieurs conclusions sont à tirer de ces résultats. Comparés à ce qui a été obtenu en PrEP orale, ces résultats semblent dérisoires. C’est oublier ce qu’a été iPrEx et les essais de PrEP précédents organisés comme ceux-ci contre placebo à une époque pas si lointaine où l’on se devait de dire aux participants qu’on ne pouvait pas leur garantir une protection. Les niveaux d’observance ne sont pas mauvais mais il reste beaucoup à explorer pour comprendre une certaine disparité de résultats. Et en particulier, il faudra étudier ce qui a fait l’insuccès si marqué chez les jeunes femmes de moins de 21 ans. Le dispositif semble malgré tout intéressant parce qu’il offre une protection que les femmes peuvent s’approprier et maîtriser. Il faudra sans doute encore quelques efforts d’analyse de ces résultats et d’adaptation de la technique pour optimiser le résultat.