La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (PPL), examinée le 10 mars par le Sénat, sera discutée ce 6 avril en dernière lecture à l’Assemblée nationale.
Prétendant soutenir les personnes souhaitant arrêter la prostitution, cette PPL prévoit notamment la création d’un « parcours de sortie de la prostitution », qui serait mis en œuvre par des associations agréées. Nous n’avons eu de cesse d’interpeller les parlementaires sur la conditionnalité de l’accès à ce volet social et sur son applicabilité sur l’ensemble du territoire pour les personnes proposant des services sexuels tarifés.
Nous déplorons les conditions imposées aux personnes pour bénéficier des mesures sociales, notamment l’obligation de cesser la prostitution : cette conditionnalité pose un vrai problème au regard de l’égal accès aux droits pour tous.
De plus, les aides proposées sont confuses, insuffisantes et précaires : comment cesser l’activité prostitutionnelle sans titre de séjour ni hébergement pérenne, ni allocation suffisante ?
En effet, le budget annoncé est actuellement de 4,8 millions d’euros. A l’instar de l’OCRTEH [1], si on estime à 30 000 le nombre de travailleuses du sexe en France, et comme ne cessent de le proclamer les abolitionnistes, toutes ces personnes sont « victimes de prostitution », le budget alloué à la sortie de la prostitution serait alors de 160€ par personne et par an. Si cette PPL se veut être à la hauteur des objectifs affichés, un travail sérieux pour permettre aux personnes qui souhaitent changer d’activité supposerait un budget de 547 millions d’euros [2] par an.
Les parlementaires ne pouvant pas grever les finances publiques et le gouvernement n’ayant prévu qu’à peine plus d’un centième de la somme nécessaire, il est évident que le volet social n’est rien de plus qu’un effet d’annonce ayant pour but de masquer la dimension essentiellement répressive de ce texte. Qui plus est, ce fonds, nettement insuffisant, prévu pour financer ce parcours est constitué au détriment d’autres actions essentielles comme la lutte contre le VIH, contre les violences ou pour l’accès à l’IVG [3].
Par ailleurs, les conditions de délivrance de l’agrément nécessaire aux associations qui pourront accompagner les bénéficiaires de ce parcours de sortie restent floues. Fin février, les préfectures ont adressé, à certaines associations seulement, un questionnaire visant à identifier leurs besoins autour de ce projet de parcours de sortie.
Nous déplorons le tri arbitraire opéré qui exclut certaines structures incontournables, œuvrant en première ligne, et dont le travail de terrain auprès des prostituéEs est reconnu de touTEs.
La répartition des quelques 4 millions destinés à financer le « parcours de sortie de la prostitution », [4] aurait-elle déjà été décidée à l’avance [5] ?
Nous interpellons les législateurs sur les risques de dérives idéologiques de certaines préfectures qui excluent d’emblée certains acteurs de terrain travaillant auprès de et avec les prostituéEs.
Treize ans après la Loi de Sécurité Intérieure (LSI) de 2003, dont nous avions anticipé les effets délétères sur les conditions de vie et de santé des personnes concernées, nous interpellons les législateurs sur la faisabilité, l’applicabilité et le financement de ces mesures d’accompagnement.
Nous rappelons la nécessité impérieuse de garantir à toute personne un égal accès aux droits, ce sans condition, et sur l’ensemble du territoire [6].
Enfin, nous alertons sur le fait que le contexte politique national, la crise migratoire et les politiques iniques qui l’encadrent, le basculement sécuritaire et les mesures législatives actuelles qui favorisent la précarité sont autant de leviers pour mettre en place un véritable parcours non pas de sortie mais bien d’entrée dans la prostitution.
[1] Office Central pour la Répression de la Traite des Etres Humains.[2] Prise en charge estimée à environ 1 520 € mois / personne. La durée de prise en charge est estimée à 18 mois.[3] https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2016/pap/pdf/DBGPGMPGM204.pdf , p.27 et 31.[4] http://strass-syndicat.org/projet-de-loi-finances-2016-moins-dargent-pour-la-sante-des-femmes-plus-pour-la-propagande-abolitionniste/
[5] https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2016/pap/pdf/DBGPGMPGM137.pdf , p. 24 et 25, où les seules associations cités sont des associations abolitionnistes.[6] http://www.cncdh.fr/sites/default/files/les_essentiels_-_rapport_traite_2015_v2def_0.pdf