Souvenez-vous, il y a trois ans de cela, l’adoption de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe avait très vite été ternie par la diffusion d’une circulaire émanant du ministère de la justice, privant du bénéfice de cette loi un grand nombre de couples binationaux.
Cette circulaire du 29 mai 2013 alertait en effet les procureurs sur l’existence de onze conventions bilatérales [1] aux termes desquelles un mariage entre personnes du même sexe ne pouvait pas être célébré en France si la loi nationale du conjoint étranger l’interdisait.
Notre collectif d’associations [2] est né dès le mois de juin 2013 pour promouvoir le respect effectif pour toutes et tous du principe d’égalité entre les couples quelle que soit leur orientation sexuelle, et soutenir ceux et celles dont la nationalité, ou celle de leur conjoint, les prive de la possibilité de se marier en France.
L’année passée, à l’occasion du deuxième anniversaire de la circulaire, nous ne pouvions que nous féliciter de la victoire que représentait l’arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2015, autorisant le mariage entre deux hommes, l’un Français et l’autre Marocain, en dépit des orientations discriminatoires qui avaient été données par la Chancellerie.
Si elle fut profondément difficile à vivre pour le couple, cette procédure a permis de rappeler que la nouvelle loi avait fait du mariage homosexuel une composante de l’ordre public international français. C’est d’ailleurs au nom de celui-ci que des dispositions étrangères, interdisant par exemple les mariages inter-religieux, sont déjà depuis longtemps écartées par les juges français.
Ce dénouement a donc constitué une réelle avancée selon notre collectif d’associations, en rendant caduques les dispositions de la circulaire du 29 mai 2013 qui étaient, rappelons-le, conditionnées à l’actualité de « l’état du droit et de la jurisprudence ».
Mais aujourd’hui 29 mai 2016, après trois ans de mobilisation et de parcours judiciaire, le Ministère de la Justice n’a toujours pas daigné tirer les conséquences de la décision de la Cour de Cassation en prenant les mesures qui s’imposent pour modifier la circulaire et en informer les parquets et agent d’état civil.
Quatre de nos associations (GISTI, ARDHIS, Amoureux au ban public, Inter-LGBT) ont rencontré le ministère de la Justice sur cette problématique le 24 mars 2016. Nos interlocuteurs ont écouté nos préoccupations et ont reconnu la nécessité de supprimer ou actualiser la circulaire 29 mai 2013.
Pourtant, deux mois plus tard, le Ministère de la Justice n’a communiqué aucune nouvelle instruction à destination des parquets, et certains couples rencontrent toujours des difficultés à se marier, voire y renoncent purement et simplement. Face à cet immobilisme, une question écrite visant à ce que le gouvernement prenne position sur le mariage des couples homosexuels, vient d’être posée au garde des sceaux par Sergio Coronado [3], député des Français établis hors de France. Or une question similaire avait déjà été posée en mai 2015 par la députée Catherine Quéré, demeurée sans réponse [4].
Le Défenseur des droits souligne également dans son rapport « les droits fondamentaux des étrangers en France », publié le 9 mai 2016, avoir déjà lui aussi interpellé le gouvernement à plusieurs reprises sur cette question en 2015 et 2016, sans succès.
Aucun motif ne justifie ce positionnement discriminatoire !!
Que faut-il de plus pour que le gouvernement fasse preuve d’une réelle volonté politique de reconnaître dans les faits, au-delà des discours, la formidable avancée en termes d’égalité et de reconnaissance qu’a incarnée la loi sur le mariage pour toutes et pour tous ?
[1] Il s’agit du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, du Cambodge, du Laos, de la Pologne, de la Slovénie, du Monténégro, de la Macédoine, de la Serbie et du Kosovo. Il est à noter qu’en ce qui concerne le Laos, le Cambodge, l’Algérie, et la Tunisie, un courrier du 1er août 2013 de la Chancellerie aux Procureurs généraux, se fondant sur le fait que les conventions avec ces pays ne concernent que les seuls ressortissants français, a permis d’admettre la célébration des mariages des ressortissants de ces États.
[2] Composé d’associations de défense des droits humains et notamment des personnes étrangères (ADDE, ADHEOS, ARDHIS, la Cimade, les Amoureux au Ban Public, Fasti, Gisti, Inter-LGBT, l’Autre Cercle, Ligue des Droits de l’Homme, Act up, etc.)
[3] Publiée au Journal officiel le 3 mai 2016 sous le numéro 95471.
[4] Publiée au Journal officiel le 26 mai 2015 sous le numéro 80138.