Action 137, diffusé pour la marche du premier décembre, reprenait comme éditorial notre texte d’appel à la mobilisation du 1er décembre.
Epidémie politique, luttes politiques !
En 2016 comme en 1995, c’est avec un mot d’ordre mettant en avant les séropos que nous avons choisi de marcher ce premier décembre, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida. Nous sommes bien entendu loin du mot d’ordre de 1995 – « Séropos, la France vous préfère mortEs ! » – parce que, sur bien des aspects, la situation des personnes vivant avec le VIH s’est améliorée, notamment du fait des progrès thérapeutiques. Pourtant, avec ceux-ci, les gains d’espérance de vie posent de nouvelles questions, parce que les premiers traitements et leurs effets indésirables exposent à des incapacités, à la survenue de nouveaux risques et de maladies liées au vieillissement, ou à des trajectoires complexes qui pèsent sur les droits à la retraite de nombre d’entre nous, exposéEs à un avenir proche du minimum vieillesse. De plus, l’accès aux soins, aux droits, au logement, à l’emploi, etc. restent des questions cruciales… Et, même si nous ne l’inscrivons pas sur une banderole de tête, il y a toujours autant besoin d’une remobilisation générale des séronégatifVEs, tout particulièrement sur les enjeux de prévention et de lutte contre la sérophobie. Si le nombre de contaminations par le VIH reste stable ces dernières années en France, il continue d’augmenter chez les gays et les bis, et en particulier pour les plus jeunes d’entre eux et pour les seniors. À l’international, la situation s’améliore très lentement, avec notamment une baisse conséquente des transmissions mère-enfant dans certains pays, une baisse des décès liés au sida et une hausse de la mise sous traitement des séropositifVEs ; mais cet équilibre est précaire, faute de financements supplémentaires. Le risque d’une reprise généralisée de l’épidémie, qui s’observe déjà dans certains pays, criminalisant les usagerEs de drogue, réprimant les minorités sexuelles et de genre, est réel. Ce quinquennat a d’un côté été marqué par des décisions iniques (pénalisation des clients des travailleurSEs du sexe, expulsion d’étrangerEs malades, PMA abandonnée, coupes dans les financements internationaux, fixation des prix des médicaments, etc.) ; de l’autre, certaines réclamations des associations ont été imparfaitement satisfaites et arrivent trop tardivement (autotests trop chers, salles de consommation à moindre risque expérimentées tardivement et uniquement adossées à des hôpitaux, réforme des centres de dépistage sans budget supplémentaire, réforme des minima sociaux aux conséquences bien incertaines, campagne d’affichage de prévention ciblée acquise au forceps, etc.). De plus, au lendemain des primaires de la droite et du centre, la campagne présidentielle est amenée à s’intensifier dans les prochaines semaines. Face à tout cela, ce 1er décembre, il est urgent d’agir, de s’organiser pour peser sur la campagne, pour dénoncer que celle-ci parte aussi mal lorsqu’il s’agit d’aborder les enjeux liés à la lutte contre l’épidémie, pour refuser les promesses sans lendemain et exiger des moyens et des mesures concrètes. Ce faisant, nous rappelons que l’épidémie a des causes politiques et que, dès lors, la lutte contre le sida est une lutte politique. Celle-ci passe par la réaffirmation du caractère politique de nos communautés, par le fait de rendre visible nos orientations sexuelles, nos identités de genre, nos statuts sérologiques, et de faire entendre la voix et les revendications des plus discriminéEs et invisibiliséEs d’entre nous.Ce que nous refusons
Nous, séropos, séronegs, pédés, biEs, gouines, trans, intersexes, femmes, migrantEs, putes, usagèrEs de drogue, prisonnierEs, qui manifestons ce 1er décembre sommes une communauté politique qui refuse de donner un blanc-seing au gouvernement sortant, qui s’est joué des droits des minorités en faisant traîner les débats autour de l’ouverture du mariage aux couples de personnes du même sexe, sans avancer sur la PMA ; a offert une simplification minimale du changement d’état-civil pour les personnes trans et a si peu œuvré pour lutter contre les discriminations, renforçant celles que subissent migrantEs et travailleurSEs du sexe ; a avancé sur la PrEP et a mis à disposition les autotests, mais a tardé à promouvoir une stratégie globale sur les questions de santé sexuelle, et a continué de rationner les moyens des hôpitaux ; n’a rien fait pour que les détenuEs maladEs sortent massivement de prison ; a annoncé s’engager à baisser le prix des traitements sans qu’on en voit véritablement la couleur, notamment sur l’hépatite C ; s’est targué d’un volontarisme de façade à l’international pour finalement refuser d’augmenter la contribution de la France au Fonds mondial de lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose, tout en y effectuant des coupes (ainsi que sur UNITAID) pour les engagements actuels. Nous qui manifestons le 1er décembre sommes une communauté politique qui refuse de considérer sous un jour comparable les menaces encore plus grandes qui nous guettent si des forces politiques de droite extrême ou d’extrême-droite viennent à bénéficier d’une majorité gouvernementale, complétant la majorité sénatoriale et les majorités de bon nombre d’exécutifs locaux, lesquelles fournissent autant d’exemples des conséquences à attendre d’une telle alternance. Menaces sur l’Aide Médicale d’Etat, sur l’IVG, racisme, antisémitisme, islamophobie, sexisme, homophobie, lesbophobie, biphobie, transphobie, démantèlement des solidarités, casse de l’hôpital, renforcement des pouvoirs répressifs de la police, seraient alors généralisés. Nous qui manifestons le 1er décembre sommes une communauté politique qui ne se rendra pas. Nous nous mobilisons pour nous protéger de ce que ces iniques perspectives signifient : recrudescence de contaminations par le VIH d’une part ; nouvelles dégradations de la prise en charge des PVVIH d’autre part, qui peuvent avoir pour conséquence une recrudescence de cas de sida, voire une augmentation du nombre de décès liés au sida, d’autre part. Nous protéger, c’est protéger tous les publics les plus vulnérables et exposés au risque de contamination, et en particulier les plus précairEs d’entre nous.Ce que nous exigeons
Nous continuons donc d’exiger :- que soient multipliées les campagnes de prévention ciblées promouvant l’ensemble des outils de prévention combinée (préservatifs externes et internes et gel, Prep, TPE, Tasp, dépistage), et renforçant le recours au dépistage, et que l’amplification de la prévention ne s’arrête pas aux portes des lieux de privation de liberté, notamment par l’établissement de programmes d’échange de seringue ;
- que soit favorisé l’accès aux centres de santé communautaires, promouvant une offre de santé globale, en renforçant en particulier les moyens financiers de ceux-ci ;
- que soient accessibles les droits, l’emploi, les soins, le logement, pour les séropos, et/ou les personnes trans, et/ou les travailleurSEs du sexe, ou encore les migrantEs ;
- que les politiques reviennent sur les obstacles administratifs et juridiques et sur une répression policière qui écrase ces dernièrEs. C’est-à-dire, en particulier, revenir sur la pénalisation des clients des travailleurs du sexe, assurer un changement d’état-civil libre et gratuit pour les personnes trans devant un officier d’état-civil, mener une politique d’accueil sans entraves, renforcer l’aide médicale d’état, faciliter l’accès à celle-ci et maintenir, voire rétablir, les dispositifs qui y sont adossés, en particulier la tarification solidaire garantissant l’accès aux transports.