Plénière du matin
En ce lundi de conférence la plénière qui ouvre le programme officiel de la conférence de l’IAS nous propose trois orateurs dont les spécialités autant que les sujets de présentation sont capables de faire un tour d’horizon très complet de l’état de la science du l’infection à VIH : Cure et perspective d’avenir, PVVIH : l’état du monde et La nouvelle donne de la prévention.
Yves Levy ouvre la série. Aujourd’hui directeur de l’INSERM, il est un des grands immunologistes français qui a beaucoup œuvré pour le programme de recherche vaccinal en France et la création du VRI, l’institut de recherche français sur les vaccins. Rappelons aussi pour l’anecdote qu’il est le mari de l’actuelle Ministre de la Santé. Son sujet est essentiellement celui des recherches actuelles qui visent à l’éradication du virus chez les personnes porteuses. Il nous parle donc en premier des réservoirs viraux dans le corps en rappelant l’état actuel des connaissances. Les derniers travaux laissent à penser que le site sanctuaire des réservoirs le mieux protégé et qui lui assure une stabilité à toute épreuve se situe dans les centres de germination des ganglions lymphatiques. On trouve là des cellules dendritiques spécialisées qui pourraient constituer la source de persistance du virus étant donné leur interaction avec les autres cellules immunitaires. Pourquoi cet endroit est-il sanctuaire ? Simplement parce que l’accès aux cellules immunitaires y est restreint, en particulier, les lymphocytes CD8, les cellules susceptibles de tuer les autres cellules dès lors qu’elles sont infectées ne peuvent y pénétrer. La deuxième partie de son topo porte sur le développement de la recherche vaccinale contre le VIH avec, en particulier le développement d’anticorps ciblant efficacement le VIH. De très grands progrès ont été accomplis ces dernières années dans ce domaine mais l’on sait que cette piste à elle seule ne suffit pas à maintenir une activité immunitaire capable de contrôler le virus dans l’organisme. Tout au moins, même si les réponses sont bonnes, la protection disparait avec le temps. Troisième aspect de cette recherche dont d’intéressants résultats ont été révélés il y a peu de temps par une équipe française, la recherche de marqueurs des cellules réservoir et le moyen d’activer les cellules infectées latentes. C’est l’équipe de recherche de Moncef Benkirane à Montpellier qui est à l’honneur avec sa découverte d’un tout nouveau marqueur le CD32a capable d’identifier les cellules du réservoir. Enfin, Yves Levy conclue en expliquant comment la combinaison de ces outils peut nous laisser espérer une réussite dans l’idée de l’éradication ou tout au moins du contrôle de l’infection.
Wafa El Sadr est une épidémiologiste égyptienne. Elle est directrice du Centre International pour les Soins du SIDA et des Programmes de Traitement (ICAP) et directrice du Centre de recherche épidémiologique sur les maladies infectieuses (CIDER) à l’Université Columbia où elle est également professeure. Sa présentation consiste essentiellement à montrer à quelle distance est-on de l’objectif fixé par l’ONUSIDA de 90% de séropositifs diagnostiqués, de 90% de ces personnes incluses dans le soin et sous traitement antirétroviral et de 90% des séropositifs sous traitement avec une charge virale contrôlée. Ses constats sont essentiellement ceux des pays en développement, les plus éloignés de ces objectifs. Depuis la dernière conférence de Paris qui consacrait la création du fonds mondial, on est arrivé progressivement à des efforts conjoints qui font que pour la première fois cette année plus de la moitié des séropositifs dans le monde ont accès à un traitement. Mais cela signifie qu’il reste un effort énorme à faire, celui de permettre encore cet accès à un traitement antirétroviral à plus de dix millions de personnes d’ici 2020 puis d’environ 3 millions et demie de plus jusqu’à 2030 (objectif 95-95-95). Même si la mortalité due à l’infection au VIH a été divisée par deux ans le même temps, elle reste encore d’un million de personnes tous les ans. Et puis surtout, malgré les connaissances, plus de la moitié des naissances de femmes séropositives se fait encore sans traitement. Mais sa démonstration est surtout celle de la nécessité d’améliorer les structures de prise en charge en mettant à profit tout ce que le soutien et l’entraide communautaire peut apporter en terme d’efficacité sur le maintien dans le soin, donc sur l’observance dont l’enjeu est la réussite du 3e « 90 » de l’objectif de l’ONUSIDA. Si les pays industrialisés sont en bonne voie, le monde du sud a encore d’importantes marges pour réaliser ces objectifs.
Sheena Mc Cormac est une clinicienne et chercheuse les plus en pointe sur le VIH du Royaume Uni. Mais surtout, elle a travaillé depuis de nombreuses années dans le domaine de la recherche en prévention biomédicale puisqu’elle a expérimenté des microbicides longtemps avant d’en arriver récemment à l’essai PROUD de PrEP. Ce qu’elle présentait ce matin c’est l’évolution du paysage de la prévention de l’infection à VIH. Elle a ainsi commencé par une rétrospective des recherches menées en gros ces vingt dernières années. Elle a ainsi rappelé les résultats des études fricaines (Ouganda et Orange Farm, Afrique du sud) sur le caractère protecteur (entre 55% et 6à% de la circoncision. Puis elle a évoqué l’essai de vaccin RV144, le premier essai de phase 3 à avoir atteint un niveau de protection, en fait 30%. Puis l’essai CAPRISA (Afrique du Sud) d’un gel de ténofovir à application externe pour la protection des femmes qui qui atteignait en moyenne 34% de protection. Et puis il y a eu le résultat de l’essai HPTN052 qui prouvait que le traitement efficace chez les séropositifs réduisait la transmission de 96%. Enfin, le premier essai de PrEP mené chez des homosexuels masculins annonçait 44% de protection de Truvada en prise quotidienne mais avec une assez mauvaise observance. Les résultats stratifiés en fonction de l’observance montraient qu’on pouvait en attendre un taux de protection très important, de l’ordre de 96%. C’est ce résultat qui a permis la mise sur le marché de la PrEP aux Etats Unis. Et enfin, les essais IPERGAY de PrEP à la demande en France et PROUD au Royaume uni ont tous deux été interrompus en raison de leurs résultats d’efficacité extrêmement élevés afin de permettre l’accès à tous les participants. Sa présentation de la Prep innove en ce qu’elle fait la synthèse des connaissances en proposant des règles simples : la PrEP avec Truvada marche lorsqu’on la prend, la posologie est d’un comprimé par jour. Comment démarre-t-on ? Pour les hommes, comme l’a montré IPERGAY, par deux comprimés au plus court deux heures avant une exposition potentielle au virus et 7 jours avant d’obtenir une protection optimale pour les femmes. Comme arrête-t-on ? 48h après le dernier risque d’exposition pour les hommes et 7 jours après ce risque pour les femmes. Mais au-delà de la PrEP, sa présentation fait aussi état de l’ensemble de l’accompagnement en santé sexuelle proposé par la clinique londonienne de Chelsea qui assure une prise en charge optimale pour un objectif d’efficacité maximale.
L’accès au dolutégravir en questions…
A l’issue de la plénière, les activistes de toutes les régions du globe se sont réuniEs et ont traversé l’espace d’exposition en cortège jusqu’au stand du laboratoire ViiV. Puisque celui-ci, par ses politiques de prix et de licences, continue d’empêcher l’accès de touTEs au dolutégravir, les activistes ont répondu en déroulant des rubans « Access denied ». Des slogans (« DTG for all ! » / « DTG now ») et une die-in ont complété cette action.
Le VIH et les populations migrantEs, suite
Dans la lignée du symposium du CNS de la veille, lundi après-midi, un amphi était consacré à la situation des migrantEs. Notre chère Caroline Izambert, désormais à AIDES, a contrasté les pratiques et le respect des engagements internationaux, qui hélas sont loin d’aller de pair. Elle a notamment pointé les pratiques de dépistage obligatoire et d’enfermement des séropositifVEs en Grèce, au mépris du droit à l’intégrité des personnes ; la jurisprudence en lente amélioration de la cour européenne de justice sur la protection contre l’expulsion des personnes malades vers des pays sans accès aux traitements, censée se fondée sur l’interdiction des pratiques dégradantes ou inhumaines, et qui est passée d’une interprétation de ces notions en une interdiction en cas de « risque réel de décès dans d’importantes souffrances » (décision UK 1997) à « pas seulement une réduction durable de l’espérance de vie » (décision UK 2008), à « un déclin rapide et d’intenses douleurs » (décision Belgique 2016). En la matière, quoique particulièrement dégradé depuis la loi de 2016, et même s’il n’a pas su éviter des expulsions, le droit au séjour pour soins en France est un outil dont il faut mesurer l’importance, et pour le renforcement et la généralisation duquel il importe de plaider.
Les résultats de l’enquête PARCOURS ont été présentés au cours de la session, qui a permis de les mettre en regard de ceux qui s’attachent autant à décrire les facteurs sociaux pouvant mener à des contaminations parmi des populations migrantEs dans des contextes tout autres. Ainsi, Lynn Michalopoulos a présenté des travaux quantitatifs sur la situation de populations migrantEs de Zambie, des chauffeurs routiers et des femmes transitant pour échanger des ressources issues de la pêche. Les échanges économico-sexuels existant sont ainsi mis en avant, et sont notamment associés à une stigmatisation importante. Les activistes savent bien que c’est celle-ci qui est susceptible d’alimenter l’épidémie.
Valérie Delpech a ensuite présenté la situation au Royaume-Uni. Encore un nombre important des migrantEs séropos du Royaume-Uni ignorent leur statut sérologique (16%). Selon l’origine, entre 50% et 30% des migrantEs séropos se sont contaminés après leur arrivée au Royaume-Uni. Parmi les obstacles à franchir pour que la situation s’améliore, le manque de connaissance des différents outils, par exemple de la PrEP est pointé par l’étude Mayisha menée à Londres en 2016. Tout ceci permet de tirer des enseignements pour les politiques de prévention : en particulier, Valérie Delpech a insisté sur le besoin de ne pas penser comme des catégories mutuellement exclusives les gays et bis d’une part, les migrantEs d’autre part, et de ne pas penser le problème comme seulement lié aux personnes originaires d’Afrique subsaharienne.
La PrEP à la demande, quels enjeux ?
Comodérée par Sheena McCormack, la session de l’après-midi faisait écho aux conclusions de la plénière du matin, et entendait faire le point sur les enjeux autour de la PrEP à la demande (prise orale de TDF/FTC), actuellement recommandée seulement pour certains publics par l’OMS.
La première présentation, de Walid Heneine revenait sur les résultats obtenus à partir des études sur les macaques, qui sont susceptibles de constituer des objets d’étude, aux conditions que la pharmacologie reproduise ce que serait l’équivalent chez les humains, et que la physiologie à l’oeuvre dans la transmission via les muqueuses anales et vaginales soit similaire. La conclusion était de souligner l’intérêt que ces modèles pourront apporter pour fournir des premiers résultats sur la prochaine génération des PrEP, avec d’autres molécules, ou même d’autres classes de traitements.
De retour sur des données sur les humains, en matière de pharmacologie et de physiologie, la présentation d’Angela Kashuba, a permis de faire le point sur ce que l’on sait et qui est susceptible d’expliquer les recommandations différenciées de schémas de PrEP.
Premier enjeu, la nécessité que le traitement atteigne une concentration importante dans les muqueuses vaginales et anales. Angela Kashuba a rappelé que les données disponibles montraient que la variabilité au sein d’une classe de traitements était importante en la matière, et qu’en général la concentration est plus importante, et plus durable, dans les muqueuses anales. C’est en particulier le cas pour les concentrations de ténofovir diphosphate (TFVdp) après la prise de TDF (sa prodrogue). Autre déterminant secondaire des différences dans l’effet obtenu selon les muqueuses, la disponibilité d’éléments nucléotidiques endogènes, susceptibles d’entrer en concurrence avec le TFVdp, qui est plus grande dans la muqueuse vaginale.
La présentation a ensuite souligné les besoins de couverture par les doses dans le temps, en soulignant qu’il était estimé que la couverture dans les tissus vaginaux devait être de l’ordre d’une semaine après l’exposition. Or, en la matière, 3 jours après la dernière prise de TDF/FTC, 20% des patientEs ont perdu le niveau ciblé dans les tissus vaginaux, et 50% à 5 jours.
En conclusion, la PrEP à la demande, d’un point de vue phamarcologique, a synthétisé Angela Kashuba, c’est possible :
- 1/ si le traitement peut atteindre rapidement les sites d’infection,
- 2/ s’il peut atteindre le niveau de concentration « nécessaire » (cette définition étant assez peu claire du point de vue clinique, mais plutôt fondée sur des observations statistiques et les intervalles de confiance obtenus),
- 3/ s’il reste présent suffisamment longtemps pour couvrir des risques résiduels. Et c’est cela qui explique les différences actuelles de recommandations.
Les présentations suivantes sont revenues sur les essais menés et en cours. D’abord, ceux qui ont été effectués depuis un temps suffisant pour permettre des méta-analyses (Robert Grant), qui a aussi évoqué les résultats des cohortes suivies en France et à Montréal. L’essai en cours à Montréal permet d’établir que la PrEP à la demande y est utilisée par des personnes plus âgées en moyenne, et par des personnes ayant moins de partenaires sexuels. Des études également mentionnées par Robert Grant ont démontré que, quel que soit le schéma de prise en charge, la PrEP était une stratégie dont l’analyse coût-efficacité était en faveur de son accessibilité. Robert Grant a ensuite présenté plusieurs études ayant des résultats sur l’adhérence, mettant en avant le fait que certaines études ont mis en avant une moindre observance de la dose post-exposition par rapport à la dose pré-exposition. C’est notamment le cas des essais IPrEP en Afrique de l’Est et HPTN067 (site du Cap en Afrique du Sud).
Puis, Timothy Holtz a présenté des résultats issus d’essais auprès des MSM permettant de mesurer l’observance, la couverture et l’acceptabilité du schéma à la demande. Dans l’essai HPTN067, le fait que l’observance post-exposition soit moins bonne que celle pré-exposition est retrouvé à Bangkok et New York. Le profil socioéconomique différent des participants semble susceptible de jouer sur les niveaux globaux d’observance. La conclusion de Timothy Holtz est que ce qui peut favoriser l’observance est bon à prendre, notamment si des rappels peuvent être mis en place sur des systèmes dédiés (applications par exemple). Et qu’en somme, le schéma à la demande marche bien pour ceux qui peuvent facilement planifier leurs rapports sexuels, mais que c’est aussi un schéma qui peut être exploré pour ceux qui ont des difficultés avec le schéma en continu.
La discussion a notamment permis de rappeler que la présentation conjointe de résultats sur les gays et les bis et les femmes trans est réductrice sur certains enjeux et de pointer le manque de connaissance des mécanismes à l’oeuvre dans la muqueuse d’un néovagin.