Act Up-Paris s’est entretenu avec le Cabinet du Ministre de l’Education nationale représenté par son conseiller territoires et politiques interministérielles, Thierry Ledroit, le 12 septembre dernier. Quelques jours après, le 18 septembre, l’association était présente au colloque « jeunes et IST » se tenant au Ministère de la santé. Les discours entendus au cours de ces deux évènements ne font pas de doute : les Ministères de la Santé et de l’Education nationale, les Agences Régionales de Santé et les Rectorats laissent faire le sida et les anti éducation sexuelle chez les plus jeunEs.
Le colloque en question n’était que la présentation de l’avis du Conseil National du Sida et des hépatites virales (CNS) émis en février 2017 et portant sur la situation des IST chez les jeunEs, avis découlant d’une saisine conjointe des Ministères de la Santé et de l’Education nationale sur le sujet. Le dernier bulletin de Réact’Up (https://www.reactup.fr/wp-content/uploads/2019/09/Bulletin_REACTUP_19.pdf) revenait sur cet avis et analysait les recommandations émises par le CNS. Cet avis trouve son origine dans une hausse préoccupante de la fréquence des IST chez tous les jeunEs : les IST diagnostiquées chez les jeunEs de 15 à 24 ans représentent environ 40% des IST (VIH, syphilis, gonocoque, et chlamydia) diagnostiquées en 2013-2014 en France, ce qui correspond à une hausse de 10% par rapport à 2012 [1]. Concernant plus précisément le VIH, les contaminations restent stables chez les jeunes depuis plus de 10 ans, cependant parmi les nouvelles infections touchant les jeunes, un groupe est de plus en plus représenté, celui des jeunes gays et bisexuels, qui voit une importante augmentation des infections. En l’espace de 10 ans, les découvertes de séropositivité ont presque triplé chez les jeunes HSH de 18 à 24 ans (x 2,7), atteignant, en 2014, 51% de toutes les nouvelles découvertes pour les jeunes de cette classe d’âge [2].
Le CNS a fait des recommandations intéressantes, mettant en évidence des évolutions de comportements et de pratiques à risque dans certaines sous-populations de jeunes. Les groupes qui ont attiré son attention, où l’épidémie de VIH n’est pas contrôlée, sont (en gardant ses formulations) : « les jeunes HSH et les jeunes économiquement défavorisés qui ont moins souvent recours que les autres au dépistage et à la prise en charge des IST ». Par ailleurs, le CNS propose une approche positive de la santé sexuelle plutôt qu’une information centrée sur les risques liés à la sexualité, rappelle l’importance d’une pérennisation des financements de tous les acteurs travaillant sur le sujet, relève la priorité insuffisante accordée par certaines Agences Régionales de Santé au pilotage et à la coordination de la lutte contre les IST chez les jeunEs, alors même que cela fait partie de leurs missions, et montre que l’éducation à la sexualité n’est pas portée de façon prioritaire au sein des rectorats. Il est à noter aussi que la stratégie nationale de santé sexuelle (agenda 2017-2030) sortie fin mars a de beaux objectifs, qui viennent en écho aux recommandations du CNS et que leur application nécessitera un courage politique.
Les autorités ont bien compris qu’il y avait un problème concernant les IST et le VIH, le CNS a fait des recommandations utiles, mettant en avant des publics plus concernés, mais la réponse proposée par les administrations n’est pas à la hauteur des enjeux et laisse toute place au sida et aux réactionnaires.
En effet, à la place d’une volonté politique globale, les ministères comptent :
- Sur l’engagement militant de certainEs professeurs, chefFEs d’établissements et infirmièrEs scolairEs pour que des moments consacrés à l’éducation sexuelle aient bien lieu.
Sur des petits groupes de pilotage d’établissements scolaires incluant des représentantEs de parents comme les Comité d’Education à la Santé et à la Citoyenneté (CESC) pour améliorer les niveaux d’adhésion des parents à l’éducation sexuelle proposée. Alors même que les réactionnairEs sèment le doute constamment, mettant en cause la façon de faire des acteurRICEs, souvent associatifVEs, qui doivent tout le temps se justifier. - Sur les consultations de médecines générales pour pallier le manque de consultations tenues par les Cegidd (Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic) qui ont vu leurs horaires réduits à cause des baisses des subventions. Pourtant, il a été mis en évidence par les représentants des ministères que la consultation chez leA généraliste, d’autant plus lorsqu’ilELLE est leA médecin de famille, n’est pas le meilleur endroit pour faciliterla parole concernant ces sujets. Pour les étudiantEs, les feuilles de soins de la mutuelle étudiante arrivent par la poste au domicile familial par la suite.
- Sur les jeunEs et leurs parents pour aller se faire vacciner, à défaut de proposer la vaccination via les médecins et infirmièrEs scolairEs. La Direction Générale de la Scolarité dit que l’école à vocation à enseigner ce qu’est un vaccin, que l’infirmièrE scolairE a vocation à regarder le suivi des vaccinations lors des visites médicales, mais que l’acte de vacciner ne doit pas s’y faire, précisant leurs peurs vis-à-vis des réactions des parents, fondées sur les scandales de la vaccination hépatite B et grippe aviaire. Les cancers liés au Papillomavirus humain (col de l’utérus, anus, pénis, oraux-pharingés) ont de beaux jours devant eux, la couverture vaccinale française étant médiocre.
- Sur rien pour les élèvEs trans, puisque pour le Ministère de l’Education nationale, rendre possible un prénom d’usage pour ces élèves est inenvisageable. Trop apeuré par les levées de boucliers des parents et des associations réactionnaires, il n’y aura aucune directive provenant du Ministère sur les modalités d’accueil des élèvEs trans à l’école. Ainsi, ils laissent faire les discriminations à l’école, venant des autrEs élèvEs et des professeurs, sur lesquelles le sida s’immiscera des années plus tard lorsque leLA jeunE trans sera précariséE et rejetéE de partout.
L’Agence Régionale de Santé d’Ile-de-France, quant à elle, compte sur son Programme Régionale de Santé. Celui-ci vise notamment à réduire les inégalités territoriales et environnementales de santé. Concernant la lutte contre les IST, le représentant de l’ARS a expliqué que ce programme voulait mieux répartir l’offre de soins, c’est-à-dire déplacer des Cegidd à des endroits où il en manque. Cette politique, outre ne pas concerner à proprement dit les jeunEs, n’est qu’un cache misère et n’a aucune ambition pour augmenter le dépistage et mettre en place à l’horizon 2020 la fin de l’épidémie avec les 90-90-90 [3]. Le système de dépistage est actuellement saturé. L’ARS fait en sorte de ne pas le voir, faute d’argent et laisse faire le sida. Les Contrats Locaux de Santé, incluant des généralistEs sensibiliséEs à plus prendre en charge la santé sexuelle, ne feront pas le poids.
Ce qui est proposé est risible. Des enjeux concrets pointés par le CNS, rien ne sera résolu :
- Ni les conditions d’accès aux préservatifs : il n’existe pas de positionnement institutionnel sur la question de la mise à disposition des préservatifs dans les collèges. L’accès aux préservatifs par distributeurs dans les lycées soulève la question de leur lieu d’implantation pour un accès confidentiel.
- Ni le financement du dépistage : concernant le système de santé : les Cegidd se heurtent à des difficultés de plusieurs ordres, liées à des contraintes financières qui entravent leurs capacités à assurer leurs missions et à l’obligation faite aux mineurEs qui désirent bénéficier d’une pratique confidentielle de tests de dépistage d’être accompagnéEs d’unE adultE de référence.
Face au Ministère de l’Education nationale nous n’avons pas ri lorsque son représentant a dit qu’il laisserait faire les réactionnaires et leurs sites internet faits de désinformations sur l’éducation sexuelle à l’école, reprenant des logos d’instituts de prévention officiels à côté de textes détournés. Les empêcher serait leur faire trop de lumière. Nous n’avons pas ri lorsque son représentant a dit qu’il laisserait des bus d’anti stationner devant les écoles et déployer leurs manèges de mensonges. A les entendre, les professionnelLEs de l’éducation nationale sont très bien forméEs par les équipes du rectorat et sauront réagir.
Si les problématiques des jeunEs précairEs de banlieue ont été abordées au travers des missions locales, nous n’avons pas ri lorsque, durant les trois heures du colloque au ministère de la santé, il n’a pas été à un seul moment question des jeunes gays, des jeunes HSH. C’est pourtant eux qui sont très touchés par le VIH. Ce silence nous a rappelé des moment sombres de la lutte contre le sida.
Act Up-Paris exige que soit mis fin à cette plaisanterie dès à présent :
- Les jeunEs doivent devenir un public cible à part entière
- Les jeunes gays et les jeunEs trans doivent recevoir une prévention adaptée et ne pas être ignoréEs.
- L’offre de dépistage, sur toutes ses composantes doit être développée grandement pour répondre à la demande et mettre fin à l’épidémie.
CONTACT PRESSE : media@actupparis.org
Notes
[1] Avis suivi de recommandations sur la prévention et la prise en charge des IST chez les adolescents et les jeunes adultes, CNS, 2017, https://cns.sante.fr/rapports-et-avis/avis-jeunes-2017/
[2] Découvertes de séropositivité vih chez les jeunes en France 2003-2013, InVS, 2015
[3] 90% des personnes vivant avec le VIH connaissant leur statut sérologique, 90% de toutes les personnes dépistées recevant un traitement anti rétroviral durable, 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral ayant une charge virale indétectable.